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Aux origines

Créés par une société de chasseurs-cueilleurs entre 3700 et 3100 avant notre ère, les tertres monumentaux de Poverty Point témoignent d’un raffinement extrême dans la maîtrise de l’architecture de terre. Sont encore visibles cinq monticules, six crêtes semi-elliptiques concentriques, une esplanade et les vestiges d’une chaussée. Les travaux de réarrangement du sol visibles sous la surface de ces structures témoignent d’un étonnant système de terrassement imaginé pour tout à la fois lutter contre l’érosion et donner aux tertres la forme souhaitée. Sur l’esplanade, des trous, sans doute destinés à recevoir des poteaux de bois, sont encore visibles et laissent deviner à quoi pouvait ressembler ce premier établissement humain.

Influences françaises et espagnoles

Le plan d’origine de La Nouvelle-Orléans fut dessiné par un ingénieur militaire français qui imagina une structure en damier au découpage parfait des rues… le Vieux Carré était né, même si le plan est, en réalité, rectangulaire ! Au départ, les bâtiments étaient tous édifiés sur le même modèle avec un rez-de-chaussée légèrement surélevé et couverts d’écorces et de bardeaux ; les parcelles étant divisées de manière à permettre à chaque bâtiment de bénéficier d’une cour et d’un jardin. Ces premières constructions sont souvent appelées « cottages créoles ». En parallèle, les Français avaient opté pour la brique et la pierre pour leurs édifices publics et religieux, à l’image du Cabildo (ancien palais du gouverneur) et du Old Ursuline Convent (couvent des Ursulines) qui comptent parmi les plus anciens édifices de la ville. Marqués par les incendies à répétition, les Espagnols décident de modifier durablement le visage de La Nouvelle-Orléans. Les constructions en bois sont désormais interdites. La brique devient le matériau de prédilection, tandis que sur les toits, les tuiles remplacent les bardeaux de bois. Les bâtiments se dotent d’un ou deux étages supplémentaires, et les cours exiguës réservées aux communs se transforment en agréables et vastes cours et patios intérieurs. Les façades intérieures sont dotées de deux niveaux de loggias ornées d’arcatures en plein-cintre ou en anse de panier. Côté rue, les façades sont désormais rythmées d’une imposante porte-cochère et de balcons à encorbellements aux élégantes ferronneries.

Mais il serait bien trop simple de dire que telle architecture est uniquement française et telle autre uniquement espagnole, car très vite la Louisiane a développé un style créole unique, fait de multiples influences. Il s’agit notamment d’adapter l’architecture aux conditions climatiques. Les maisons créoles se dotent progressivement de grands porches ou d’avancées de toit créant des galeries protectrices. De même, la hauteur sous plafond est augmentée afin de faciliter la ventilation naturelle. Une ventilation qui s’effectue par un ingénieux système de courants d’air dans les étonnantes maisons de style « bracket shotgun ». Très étroites, ces maisons sont conçues pour s’adapter au parcellaire souvent plus profond que large. Le terme « shotgun » fait référence à l’organisation en enfilade des pièces dont toutes les portes sont alignées… ainsi, une balle tirée à l’entrée pouvait traverser toute la maisonnée ! Le terme « bracket », lui, fait référence aux consoles soutenant le toit en saillie qui protège la façade. La surélévation de ces maisons sur des piliers de brique permettait également de les éloigner de l’humidité et de favoriser la ventilation. De leurs origines caribéennes, ces maisons ont conservé leurs étonnantes et vibrantes couleurs. On en trouve beaucoup dans les quartiers Marigny et Bywater à La Nouvelle-Orléans.

Le quartier historique de Natchitoches est un autre superbe concentré de ce mélange des genres et des influences. Les présences française et espagnole se sont également manifestées par la mise en place d’une architecture défensive. Le fort Rosalie est l’un des premiers établissements blancs chez les Indiens Natchez ; tandis que le fort Saint-Jean illustre l’évolution des défenses militaires, les Espagnols ayant renforcé en brique ce fort français originellement de bois.

Le Vermilionville Living History Museum, sorte de musée à ciel ouvert, abrite de belles reconstitutions et d'authentiques maisons typiques d’un village acadien des XVIIIe et XIXe siècles. L’habitat acadien, dont les premières structures se sont inspirées de l’habitat sur pilotis avec la création d’une plateforme sur des poteaux de bois adaptés aux sols marécageux, s’est ensuite teinté des influences créoles louisianaises se dotant d’étages supplémentaires, de galeries et de hauts pignons. Dans les célèbres bayous, les Cadiens (Cajuns), eux, ont développé un habitat original, entre maisons sur pilotis et maisons flottantes en bois, autant de richesses vernaculaires aujourd’hui menacées par la montée des eaux…

Les plantations

Les maisons de plantation, dites de la première époque coloniale, sont souvent de plain-pied ou à un étage avec de multiples chiens-assis (petites lucarnes protégées d’un toit), tout en longueur, et entourées de parcs et jardins aux jolies gloriettes (petits pavillons d’agrément servant de belvédère). Mount Hope et The Myrtles en sont de beaux exemples. Puis leurs fortunes s’accroissant, les riches planteurs vont opter pour un néoclassique grandiloquent, baptisé ici Greek Revival, transformant leurs demeures en véritables palais antiques. La maison principale de la plantation Nottoway est l’une des plus somptueuses de Louisiane. Jugez plutôt : 22 colonnes corinthiennes, une galerie en hémicycle, 65 pièces, 7 escaliers et une salle de bal tout en marbre et bois blancs. Dans la plantation d’Oak Alley, une allée bordée de 28 chênes blancs mènent à une maison à 28 colonnes doriques dont le belvédère offre une vue sur les 28 dépendances du domaine ! Certaines demeures vont ensuite se parer des atours de l’éclectisme, telle celle de la Plantation San Francisco, dont certains ont qualifié le style de « steamboat gothic ». La silhouette de la maison rappelle, en effet, les superbes bateaux à vapeur naviguant le long du Mississipi ! Parmi les autres superbes plantations, ne manquez pas : Houmas House, Parlange, Rosedown ou bien encore Laura, la plus créole et colorée d’entre toutes. Mais que cette splendeur ne vous fasse pas oublier que tout le système de la plantation repose sur l’exploitation de l’homme par l’homme. Certaines plantations ont conservé les baraquements et cabanes de bois sommaires dans lesquels étaient contraints de vivre les esclaves. La plantation Whitney se consacre d'ailleurs entièrement à ce sujet. La ville d’Alexandria, elle, a conservé la Edwin Epps House. C’est avec l’architecte et charpentier Samuel Bass, qu’Edwin Epps, l’auteur de 12 Years a Slave, a construit cette maison en planche de bois avec une cheminée en brique et un porche-galerie… une modeste demeure qui lui a pourtant permis d’échapper enfin à sa condition d’esclave.

Puissance et modernité

Pour contrer les influences étrangères et imposer leur marque, les Américains ont multiplié les maisons de ville, reconnaissables à leur silhouette étroite, à leur structure à trois étages en stuc ou en brique et à leur balcon au 2e étage ; ainsi que les immeubles à trois travées, symboles d’une architecture qui, déjà, se standardise. Mais la jeune nation se rêvait aussi comme « la Nouvelle Athènes », symbole de la toute-puissance démocratique. Le Greek Revival était le style tout trouvé pour souligner cette puissance. Repensant totalement l’urbanisme, à grands renforts de grandes avenues rectilignes et arborées, et mettant l’accent sur le centre des affaires, le Central Business District, les Américains dotent leurs édifices publics de colonnes, pilastres et frontons et les parent d’un blanc immaculé. Les manoirs du quartier d’Uptown et les édifices publics du quartier des affaires de La Nouvelle-Orléans en sont de parfaits exemples. En parallèle, les Américains renforcent les constructions militaires existantes et en construisent de nouvelles, tels les forts Macomb et Pike qui appartiennent à l’ambitieux plan de défense baptisé « Third System » et composé de 42 forteresses de pierre conçues pour s’adapter aux évolutions de l’artillerie, aux canons notamment.

Au tournant du XXe siècle, la Louisiane succombe, elle aussi, à l’éclectisme victorien, puisant aux sources de tous les styles passés. Les églises sont d’étonnantes représentantes de cette vague « néo ». Voyez l’impressionnante Cathedral of St. John the Evangelist de Lafayette, mêlant néo-byzantin et néogothique avec ses dômes et arcades. Certaines demeures privées font également preuve de beaucoup d’audace dans leurs styles. Les Doullut Steamboat Houses, dans le Lower Ninth Ward à La Nouvelle-Orléans sont d’authentiques chefs-d’œuvre victoriens. Balcons à colonnes métalliques, bastingages et grandes cheminées transforment ces maisons en bateaux à vapeur statiques. Envie d’insolite ? Ne manquez pas de visiter les cimetières de La Nouvelle-Orléans. Bâtie sous le niveau de la mer, la ville est obligée d’enterrer ses morts au-dessus du sol gorgé d’eau dans des tombes en brique recouvertes de stuc, de granit ou de marbre, et dont certaines ont une décoration pour le moins éclectique. Ce retour aux styles passés est également employé pour ceux qui se font pourtant les parangons de la modernité : les gratte-ciel ! Le centre-ville de Shreveport en possède de beaux exemples comme le très néogothique Slattery Building avec ses arches pointues et ses tourelles, ou le plus italianisant Justin Gras Building aux encadrements stylisés. Puis progressivement, la Louisiane va délaisser cet historicisme un tantinet sclérosé pour se tourner vers les lignes plus épurées de la modernité. L’Art déco trouve dans le Louisiana State Capitol de Baton Rouge son plus beau représentant… une sobriété à mille lieux du Louisiana’Old State Capitol et ses tourelles crénelées. Le style baptisé « streamline modern » qui s’inspire de la cinétique et des nouveaux modes de transport offre des buildings aux silhouettes aérodynamiques, faisant la part belle au verre, à l’acier et à l’aluminium. Puis les murs-rideaux du style international vont venir orner les façades des tours des centres d'affaires. Architectes, entrepreneurs, innovateurs, les frères Wiener ont été durablement marqués par leur voyage en Europe et par leur découverte du Bauhaus dont ils ont souhaité appliquer les principes dans leur ville de Shreveport, alors en plein essor. Jeu sur les matériaux (béton, bois, brique, verre), toits plats, simplicité des volumes géométriques (cubiques ou rectangulaires le plus souvent), jeux sur les perspectives et les éléments en porte-à-faux, intégration harmonieuse à l’environnement, président à leurs créations. La Villa d’Ed Wile, la Mayer House, la Bossier High School ou bien encore la Maison de Samuel G. Wiener comptent parmi leurs plus belles réalisations. Baton Rouge, elle, porte la marque d’un autre architecte phare de l’époque : A. Hays Town. En 1939, il y fonde son agence qui devient, au lendemain de la guerre, la plus importante de l’État. Alors que sa carrière commence sous les auspices les plus classiques du modernisme, comme en témoigne l’Union Federal Savings and Loan Building, A. Hays Town va, à partir des années 1960, ne se consacrer qu’à une architecture purement résidentielle pour laquelle il s’inspire des traditions vernaculaires de la Louisiane. Son travail se caractérise alors par le réemploi de matériaux, l’importance donnée aux détails, l’emploi de couleurs riches et variées, des proportions généreuses et une adaptation permanente aux climats grâce à des cours et fontaines, de grands volets et des surélévations de sol en brique. Au total, il construisit plus de 1 000 maisons !

Architecture contemporaine

Les années 1970 à La Nouvelle-Orléans ont été marquées par trois édifices pour le moins étonnants : la Tour Shell aux lignes épurées imaginées par la célèbre agence SOM et qui peut se targuer d’être le plus haut bâtiment de Louisiane ; le Caesars Superdome qui se trouve être la plus grande structure à dôme fixe à portée libre du monde ; et surtout l’ovni architectural qu’est la Piazza d’Italia imaginée par Charles Moore. Grande figure du postmodernisme, Moore est célèbre pour son art du pastiche qui atteint ici son paroxysme avec cette place et cette fontaine dessinant les contours de l’Italie, et multipliant les colonnades monumentales et autres chapiteaux stylisés. Originales, les nouvelles réalisations contemporaines de Louisiane le sont aussi, à commencer par l’incroyable Louisiana Sports Hall of Fame de Natchitoches, réalisé par Trahan Architects. Son extérieur sobre et géométrique ne laisse rien présager des merveilleux jeux de courbes fluides et organiques qui donnent vie aux intérieurs. À Baton Rouge, le Capitol Park Museum, reconnaissable à son enveloppe de béton, verre et métal et à son porche monumental, compte parmi les très belles réalisations contemporaines.

Après le passage de l’ouragan Katrina, 80% de La Nouvelle-Orléans est submergée et 130 000 maisons sont détruites ou endommagées. Le Lower Ninth Ward porte encore de lourds stigmates de la catastrophe. C’est dans ce quartier que la Make it Right Foundation de Brad Pitt a décidé de créer des lotissements de petites maisons pensées comme des réinterprétations contemporaines de la tradition créole. Pour l’occasion, l’acteur s’est même adjoint les services du célèbre Franck Gehry… mais aujourd’hui, toutes ces réalisations tombent en ruine du fait de matériaux de piètre qualité. Mais passons sur ces ratés, pour se concentrer sur la manière dont la vibrante NOLA a su se relever. Le quartier de Bywater s’est transformé, où quais et entrepôts ont été réaménagés en galeries branchées. Au cœur du Upper Ninth Ward, le Musician’s Village fait battre à nouveau le cœur vibrant de la capitale du jazz. Les petites maisons y accueillent des musiciens aux revenus modestes. Parmi les bâtiments culturels phares de la ville, ne manquez pas non plus le National WWII Museum, grande structure de béton aux volumes saillants qui abrite une structure à pavillons multiples. Depuis le quartier Treme, l’ancienne voie ferrée a été réhabilitée en promenade piétonne et piste cyclable, le Lafitte Greenway. Le Crescent Park est un autre superbe exemple de la manière dont la nature reprend ses droits sur des espaces fortement marqués par les activités industrielles et portuaires de la ville. Récemment, la très prolifique agence louisianaise Wagonner & Ball a proposé un nouveau plan d’urbanisme permettant de changer le rapport des habitants à l’eau, s’inspirant des actions menées par les architectes et urbanistes hollandais. Leur idée ? Imaginer un réseau de canaux, galeries et jardins inondables où l’eau serait gérée et canalisée et embellirait le paysage. La Nouvelle-Orléans n’a pas dit son dernier mot !