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Des origines francophones

Le XVIIe avait assisté à l’arrivée de René-Robert Cavelier de La Salle (1643-1687) et le siècle suivant salué l’introduction de l’imprimerie puis celle de la presse locale (Le Moniteur de la Louisiane, 1794). Nous pourrions également nous souvenir des poésies du philanthrope d’origine nantaise Julien Poydras ou de la tragédie L’Héroïsme de Poucha-Houmma (à lire en ligne sur le site de la bibliothèque Tintamarre) que publia Leblanc de Villeneufve en 1814. Néanmoins, il faudra rapidement se résoudre à reconnaître que la littérature louisianaise ne prit véritablement son essor qu’au mitan du XIXe siècle, peut-être par la grâce d’Alexandre Latil, touché par la lèpre à 15 ans, qui écrivit ses vers dans le refuge qu’il s’était trouvé dans le bayou et en fit un recueil édité en 1841 sous le titre Les Éphémères, et sans aucun doute par celle de Victor Séjour (1817-1874) qui publia en 1837 la plus ancienne œuvre d’un auteur afro-américain : la nouvelle Le Mulâtre qui dénonçait l’esclavage. Bien qu’il soit un peu oublié de nos jours, cet auteur ouvrit pourtant la voie à Armand Lanusse (1810-1868), esclave francophone libre qui s’investit dans la lutte pour l’égalité des droits civils, lança en 1843 L’Album littéraire, journal des jeunes gens amateurs de littérature, et réunit deux ans plus tard Les Cenelles, « choix de poésies indigènes » auquel il contribua. La culture indienne fut quant à elle mise en valeur par deux frères, Dominique Rouquette, né en 1810, et Adrien, de trois ans son cadet. Ayant grandi en Louisiane mais s’étant exilés pour leurs études, le premier chantera la nostalgie de son pays natal dans Les Meschacébéennes (du nom d’une tribu) paru à Paris en 1839, le second finira par rompre avec son milieu pour aller vivre avec les Choctaws en 1859, dix-huit ans après avoir publié son texte le plus célèbre : Les Savanes.

C’est véritablement au lendemain de la guerre de Sécession que se déploie une littérature que l’on pourrait qualifier de nationale. Celle-ci, en tout cas, bénéficie à la langue française que soutiennent La Renaissance louisianaise puis L’Athénée louisianais, fondés par Alfred Mercier en 1875, qui ouvrent leurs colonnes aux écrivains. Mercier s’adonne également à l’art de l’essai (Étude sur la langue créole en Louisiane, 1880) et à celui du roman (L’Habitation Saint-Ybars, 1881) avec un succès comparable à celui de son homologue féminine Sidonie de la Houssaye (1820-1894) qui se lance dans l’écriture à la mort de son mari, et ce jusqu’à son propre décès. Son œuvre déjà importante (Contes d’une grand-mère louisianaise, Pouponne et Balthazar…) se verra parachevée par la publication à titre posthume de sa trétalogie Les Quarteronnes de La Nouvelle-Orléans.

La littérature de langue américaine

Si la littérature francophone connaît une certaine effervescence à partir de 1870, elle commence à s’étioler dès le début du XXe siècle faute d’un lectorat suffisamment important. Ce n’est pas pour autant que le monde des lettres louisianais décline puisque des écrivains de langue américaine s’imposent sur le devant de la scène, jouissant de l’attrait que composent tout autant le passé de la région que sa grande diversité culturelle. Il conviendrait ainsi de mentionner au moins trois noms, celui de George Washington Cable, et ceux de Grace King et Kate Chopin. Né en 1844 à La Nouvelle-Orléans, Cable s’installera à la quarantaine dans le Massachussetts, sans doute à cause de son engagement contre le racisme. Celui-ci lui coûta en effet quelques inimités, mais fut récompensé par une grande histoire d’amitié avec Mark Twain qui d’ailleurs l’évoqua avec admiration dans La Vie sur le Mississippi (inclus dans La Pléiade parue en 2015). Les textes de Cable disponibles en français, notamment Louisiane (Magellan & Cie) et Carancro (Actes Sud), dressent une grande fresque de la Louisiane du XIXe siècle tout en dénonçant son conservatisme, une vision à laquelle s’opposera Grace King (1852-1932) qui voulait quant à elle donner une image plus nuancée, et peut-être plus sympathique, de sa région natale. Elle s’attardera plus précisément à écrire des portraits de femmes, qu’elles soient Blanches et issues d’une aristocratie déclassée ou Noires et en proie à la pauvreté (Bayou l’ombre, Actes Sud), rejoignant ainsi le courant annonciateur du féminisme auquel sera également associée Kate Chopin (1850-1904). Cette dernière se découvre elle aussi en français, par exemple aux éditions Interférences qui proposent Le Sorcier de Gettysburg, un recueil de nouvelles sur la guerre de Sécession et la vie dans le bayou, ou chez Liana Levi éditrice avec le roman L’Éveil qui décrit un amour extra-conjugal et ses conséquences pour la protagoniste.

Tandis qu’à l’aube des années 1920 apparaît le mouvement Harlem Renaissance auquel participe Arna Bontemps né en 1902 à Alexandria, le Sud américain voit émerger une littérature consciente de son passé tout en étant fortement inscrite dans son présent. Ce sont ces deux tendances que peuvent symboliser Frances Parkinson Keyes (1885-1970) d’une part, Lyle Saxon (1891-1946) d’autre part, deux écrivains bénéficiant d’une large audience. La première, femme de sénateur, s’inspire d’abord de sa vie pour son entrée en littérature avec des textes au fort accent autobiographique, avant de se lancer dans une œuvre plus romanesque qui prend notamment la Louisiane comme décor (Steamboat Gothic, Blue Camellia). Son style suranné, les stéréotypes dont elle use et ses convictions catholiques, qui bientôt ont transpiré dans ses écrits littéraires, la rendent aujourd’hui moins populaire, mais cela ne ferait pas oublier sa postérité d’alors. Quant à Lyle Saxon, sa carrière de journaliste a certainement accentué son aptitude à figer et à récolter les éléments du folklore. Son œuvre plutôt féconde (Fabulous New Orleans, Gumbo Ya-Ya, Old Louisiana) sert toujours de base historique pour qui s’intéresse au début du XXe siècle, bien qu’elle n’ait pas été traduite dans notre langue. C’est encore à cette époque que le « Vieux Carré », c’est-à-dire le French Quarter de La Nouvelle-Orléans, séduit les artistes sensibles à l’ambiance unique et aux loyers modérés. Les auteurs qui s’installent en Louisiane, le temps d’un été ou bien plus longuement, sont nombreux, mais il sera difficile de ne pas au moins s’attarder sur William Faulkner et Tennessee Williams qui ont tous deux trouvé ici l’inspiration. Ainsi, Faulkner n’a certes passé que six mois à La Nouvelle-Orléans l’immeuble où il vécut héberge d’ailleurs aujourd’hui une librairie dont le nom conserve son souvenir mais en a ramené des Croquis (courtes évocations à découvrir chez Gallimard) et au moins un roman : Moustiques (éditions Points). Williams fut plus régulier et ne délaissa jamais tout à fait la ville, il y rencontra Un Tramway nommé Désir (parce que souvent en retard !) qui devint une pièce et assura sa célébrité dès la première représentation, en 1949 à Paris. Un festival de théâtre continue de nos jours de lui rendre hommage.

Du XXe au XXIe siècle

Bien qu’il ait subi les stigmates des deux conflits mondiaux et que certaines questions aussi délicates que l’égalité des droits civiques n’aient pas encore été totalement résolues, le XXe siècle, d’autant plus dans sa seconde moitié, constitue en quelque sorte une synthèse de la période antérieure. En effet, la littérature se fait chamarrée dans le sens où elle est multiculturelle, parfois enrichie d’écrivains qui s’installent dans la région, et on assiste même à un renouveau de la littérature francophone. Cela n’aurait pas été possible sans l’engagement du CODOFIL qui a obtenu que le français soit reconnu seconde langue officielle en 1968, plus de 50 ans après qu’il eut été tout bonnement interdit. Dans la même dynamique, l’organisation Action Cadienne, créée en 1996, a vocation à défendre et promouvoir le patrimoine culturel, dont la langue française.

Quoi qu’il en soit, dans toute cette pluralité se distinguent plusieurs écrivains, dont certains accéderont à une renommée internationale, à l’instar de Truman Capote qui est certes natif de La Nouvelle-Orléans où il vit le jour en 1924 mais dans de telles conditions qu’il ne garda certainement pas un très bon souvenir de son enfance au sein d’une famille ombrageuse. Quels que furent son destin et sa triste fin, il est cependant devenu une icône, autant comme romancier (Petit déjeuner chez Tiffany) que comme auteur de « non-fiction », un style proche du « journalisme gonzo » auquel il est intimement lié au même titre que Hunter S. Thompson ou Norman Mailer. En effet, avec De Sang-froid, pour lequel il s’inspira d’un fait-divers et auquel il consacra cinq années d’interviews et de travail documentaire, il révolutionna le « récit vrai ». Tout d’abord publié sous forme de chroniques dans le New Yorker, cette histoire fut publiée d’un seul tenant l’année suivante et connut derechef un énorme retentissement. Truman Capote continua d’entrelacer habilement réalité et fiction dans plusieurs recueils, dont Les Chiens aboient et Musique pour caméléons. De cinq ans sa cadette, sa concitoyenne Shirley Ann Grau est moins connue sous nos latitudes, elle obtint pourtant le Prix Pulitzer en 1965 pour The Keepers of the House, une indifférence qu’elle partage avec John William Corrington (1932-1988), poète et nouvelliste.

À l’inverse, et grâce aux bons soins d’une éditrice engagée telle que l’est Liana Levi, Ernest J. Gaines (1933-2019) a pu conquérir le cœur des lecteurs français. Son roman le plus célèbre Dites-leur que je suis un homme maintes fois primé, a d’ailleurs fait l’objet d’une nouvelle édition en 2022, et ouvre sur une œuvre qui intensément s’interroge sur les rapports entre les Blancs et les Noirs en Louisiane (Catherine Carmier, Colère en Louisiane, Le Nom du fils). Une approche politique que l’on aurait bien du mal à ne pas rapprocher de celle de James Lee Burke qui officie cependant dans le genre policier. Bien qu’il soit natif du Texas, c’est en Louisiane où il a été élevé qu’il fait évoluer son personnage fétiche, Dave Robicheaux, shérif adjoint à La Nouvelle-Ibérie (Le Brasier de l’ange, Dans la brume électrique, New Iberia blues…). Dans un tout autre genre, Anne Rice (1941-2021) s’est consacrée au fantastique et a vendu des millions d’exemplaires d’Entretiens avec un vampire qui a été adapté à l’écran et constitue le premier tome de ses Chroniques des vampires, l’une de ses nombreuses sagas (Les Infortunes de la belle au bois dormant, La Saga des sorcières Mayfair, Les Chroniques du don du loup…). Enfin, John Kennedy Toole mérite toute sa place dans cette présentation, non seulement parce qu’il était né à La Nouvelle-Orléans en 1937, mais parce qu’il était l’auteur de La Conjuration des imbéciles, un roman cynique qui remporta tous les suffrages et lui valut le Prix Pulitzer en 1981, douze ans après qu’il se soit suicidé parce qu’il ne trouvait pas d’éditeur… Pour conclure, citons Zachary Richard qui serpente entre deux cultures et utilise tout autant l’anglais que le français dans son œuvre poétique et musicale, et Barry Jean Ancelet, également très engagé dans la défense de la culture cadienne.