shutterstock_2156856987.jpg

Traditions

Les codes de la représentation musulmane se retrouvent dans tous les domaines de la création. L’une des règles les plus déterminantes est l’absence de motifs figuratifs. La figure humaine laisse la place aux motifs ornementaux, géométriques et végétaux. L’écriture est ici érigée en art. La tradition de la calligraphie continue d’être transmise de nos jours. C’est d’ailleurs le même mot qui désigne l’écriture et la calligraphie ou art de la belle lettre. La lettre, dont la maîtrise nécessite talent et compétence, permet de rappeler les versets du Coran sur tous les supports possibles.

Le livre, réunissant plusieurs savoir-faire, est ainsi une œuvre collaborative réalisée dans des ateliers. Enlumineurs, miniaturistes et calligraphes conjuguent leurs talents. L’enlumineur illustre les manuscrits en peignant des motifs à la gouache, de préférence dans les tons dorés et argentés. Pour les ouvrages littéraires et scientifiques, les animaux et les personnages sont cependant autorisés. Les premiers livres illustrés sont des ouvrages scientifiques.

Le miniaturiste, lui aussi peintre, reproduit pour sa part un monde en deux dimensions sans se référer à la réalité.

Tournant moderne

Ces traditions demeurent vivaces au Qatar. Mais en parallèle, à partir des années 1950, un courant esthétique propose d’intégrer les traditions aux tendances modernes. Ce courant prend différentes formes dans le monde arabe dont le calligraffiti, la calligraphie abstraite ou encore géométrique.

L’un des pionniers du mouvement hurufiyya qui combine tradition et modernité, l’artiste irakien Dia al-Azzawi, est né en 1939 à Bagdad. À Doha, il s’est inspiré de la collection du musée d’art islamiste pour imaginer un étonnant manège, édifié à l’entrée. Les sièges animaliers de son installation Enchanted East rappellent le bestiaire de la culture arabe. Les deux grands représentants qataris du mouvement hurufiyya sont Yousef Ahmad et Ali Hassan Jaber.

Le peintre et collectionneur Yousef Ahmad (né en 1955) représente son pays dans la plupart des biennales et événements culturels internationaux. Dans sa jeunesse, il bénéficie de l’un des premiers programmes d’échanges proposés par le Qatar, qui lui permet d’étudier en Californie. Son travail d’inspiration réaliste documente les us et coutumes de son pays en réinterprète la calligraphie et l’art textile arabe. Devenu enseignant à la Qatar University, il conseille le collectionneur Sheikh Hassan dans ses acquisitions destinées au Mataf Museum, ou Musée arabe d’art moderne. Cette institution compte surtout des toiles du Maghreb, du Liban ou Irak, ainsi que quelques artistes du Golfe.

De nos jours, l'ancienne caserne de pompier, ou Fire Station, a été transformée en résidence artistique doublée d’un lieu d’exposition. Par ailleurs, l'Orientalist Museum, qui est un fonds plus qu'un musée, recèle des trésors par centaines.

L’art public en étendard

Katara Village, la « vallée des cultures », encourage la création locale. Des symboles traditionnels de créations provocatrices coexistent à l’air libre. Parmi les plus spectaculaires, la sculpture des trois singes de Gandhi, réalisée par l’artiste indien Subodh Gupta se dresse sur la promenade du front de mer. Un peu partout, les grands noms internationaux contribuent au foisonnement artistique.

Dès l’aéroport international Hamad, la Lamp Bear d’Urs Fischer représente un ours en peluche géant. Inspirée par le voyage, l’installation Cosmos du français Jean-Michel Othoniel donne le tournis. Dans le hall d’arrivée, le troupeau 8 oryx de Tom Claasen déambule dans la galerie. À la sortie, Desert Horse du Qatari Ali Hassan Al-Jaber rappelle l’importance du cheval dans le quotidien des Bédouins.

Dans la ville de Doha, le programme Jedariart a réuni plusieurs muralistes aux genres variés. À la calligraphie traditionnelle s’ajoute l’art abstrait, figuratif et surréaliste pour évoquer les spécificités nationales. À voir notamment au parc Al-Abraj, au Post Office Park, au 5/6 Park ou encore à l’échangeur de Doha Festival City.

Au nord de la ville, la célèbre installation East-West/West-East de l’artiste américain Richard Serra se déploie en plein désert, sur un kilomètre. Quatre immenses plaques en acier érigées à l’écart de la civilisation invitent à la réflexion. Du même artiste, retour en ville pour admirer la vertigineuse 7 sculpture dans le parc du Museum of Islamic Art de Doha, musée qui rassemble l’art du VIIe siècle au XIXe siècle. Richard Serra rappelle ici la valeur du chiffre 7 dans la culture islamique : les 7 cieux, les 7 portes du paradis, les 7 enfers …

Toujours plus audacieuse, la gigantesque araignée Maman de Louise Bourgeois plante ses pattes dans le Qatar National Convention centre (métro Qatar National Library). Non loin, devant le centre de recherche Sidra, les 14 fœtus en bronze de Damien Hirst relatent The Miraculous Journey, le développement d’un petit humain dans le ventre maternel. Le célèbre sculpteur irakien Ahmed El Bahrani, exilé à Doha, a conçu les mains tendues vers le ciel ; The Challenge 2015 se situe à la station de métro Lusail.

Tendance actuelle

La crise politique inspire les artistes qataris. Les dates anniversaires du siège sont célébrées sous le signe de la résilience. En 2018, l’Al Markhiya Gallery a invité l’artiste qatarie Fatma Alshebani à exposer son installation The Mother, clin d’œil à la mère-patrie. Les valeurs sûres accourent d’Occident pour exposer à Doha. Le Néo-Pop Jeff Koons a ainsi été accueilli par la Qatar Museums Gallery – Al Riwaq. Kaws, icône issue du graffiti new-yorkais, a montré ses jouets géants dans la cour de la Fire Station, ainsi qu’à l’aéroport de Doha.

Point d’orgue du dynamisme actuel, le récent Musée National du Qatar se déploie comme une magistrale rose des sables, conçu par Jean Nouvel. En fil conducteur, l’essence et l’histoire du pays. Sans surprise, une installation monumentale fait écho au lieu. Les 114 sculptures-fontaines de Jean-Michel Othoniel interpellent le regard en bordure de la corniche. Leurs silhouettes dansent les pieds dans l’eau comme autant d’allusions à la calligraphie.

Désormais, les artistes qataris séduisent les collectionneurs occidentaux. Le jeune Ahmed Al Maadheed donne le ton, en faisant carrière au Qatar tout en répondant à une multitude de commandes en Europe. Suivez le mouvement !