La formation des îles

À l’origine, les îles Anglo-Normandes n'existaient pas. L’Europe était un vaste continent glacé jusqu’à ce qu’un réchauffement de la terre, 6 000 à 7 000 ans avant notre ère, provoque petit à petit le relèvement du niveau de la mer d’une centaine de mètres. On observe encore aujourd’hui, sur les côtes de la Manche, le travail des flots : ici la mer grignote le bord de mer année après année, faisant s’effondrer des falaises entières, là elle avale les dunes. À l’occasion d’une très grande marée, à la faveur d’une tempête, elle s’étale sur de grandes distances, remonte les rivières et envahit la partie basse des villes côtières. Ailleurs, elle amasse des mètres cubes de sable qu’elle déplace, malaxe les alluvions et s’offre quelques terrains boisés. À l’échelle géologique, les îles sont donc le résultat de toutes ces transformations. D’une manière ou d’une autre, des terres, rochers granitiques recouverts d’alluvions, se sont retrouvées séparées du grand continent, au cœur d’une immense baie. De vieilles cartes et des récits anciens datant de l’histoire romaine et du Moyen Âge semblent indiquer que Jersey est restée longtemps reliée au Cotentin.
À la même époque, Guernesey et Sercq ne formaient qu’une seule et même île. On affirme encore que, par des marées exceptionnellement basses, en 1735 et en 1812, les restes de villages recouverts par les eaux ont nettement été aperçus. Il y a aussi cette légende de forêts englouties, que l’on raconte dans toute la baie. Le destin des îles est, de toute façon, inséparable de celui de la région qui l’entoure : les hommes comme la mer façonnent leur paysage depuis des millénaires.

Une position stratégique

« L’île de Jersey et la côte normande sont si proches qu’elles se regardent dans le blanc des yeux », disait Barbey d’Aurevilly. « Du haut du mont Orgueil, à Gorey, on aperçoit à l’œil nu les deux flèches de la cathédrale de Coutances, et de Carteret on voit, au soleil, briller les serres de Jersey », a écrit un chroniqueur normand. Les îles Anglo-Normandes, dont le nom remonte au XIe siècle, lorsque le duc de Normandie devint roi d’Angleterre, sont au cœur de la baie du Mont-Saint-Michel, comprise entre le massif armoricain breton, le Cotentin normand et le rivage anglais. Aurigny, la plus septentrionale, est la seule île qui se situe véritablement dans la Manche. Elle est la plus proche des côtes anglaises (92 km) et de la France (17 km). Ces deux pays, gouvernés par un même système de marées, ont chacun revendiqué en son temps la propriété de ces îles. Elles bénéficient, en effet, d'une position géographique intéressante tant pour le commerce que pour la navigation. Elles sont si proches les unes des autres que, de chacune d’elles, on peut apercevoir par temps clair les côtes – ou, la nuit, les phares – des voisines. La rectangulaire Jersey est la plus grande. Le plateau est incliné vers le sud, où se trouvent les plus jolies plages de l’île. La superficie de Guernesey, de forme triangulaire, correspond à Paris intra-muros. Ici comme à Herm, le plateau est incliné vers le nord et les falaises se trouvent au sud. Sercq possède un plateau bordé de falaises sur tout le long de sa côte, alors qu’Aurigny, au nord-est, bien moins haute et bien plus sauvage, est exposée aux vents et aux intempéries. Les discrets îlots des Écréhous et des Minquiers, deux petits archipels formés d’îles et de rochers situés dans la mer de la Manche, à une dizaine de kilomètres au nord-est de Jersey et un peu moins de 15 km des côtes françaises du Cotentin sont difficilement accessibles à marée haute. Quelques « cabanes » y subsistent, accrochées les unes contre les autres à flanc de falaise, ces anciens repères de contrebandiers servent aujourd'hui d'abris pour les pêcheurs venus chercher du varech.