Les danses traditionnelles

Trésor de grâce et de beauté, les huit danses classiques de l’Inde – Bharatanatyam, Kathak, Kuchipudi, Odissi, Kathakali, Sattriya, Manipuri et Mohiniyattam – sont devenues avec le temps, un emblème du pays. Elles sont issues des quatre Vedas, soit l’ensemble des « connaissances révélées », textes sacrés sur lesquels se fondent l’hindouisme ainsi que du Natya shastra, recueil sacré, un peu considéré comme le cinquième Veda, où sont codifiés l’art dramatique, la poésie, la danse, le chant et la musique.

Une des danses classiques indiennes les plus connues hors du pays depuis que le célèbre chorégraphe anglais Akram Khan l’a fusionnée avec des esthétiques contemporaines occidentales, est le Kathak. Originaire de l'Uttar Pradesh, cette danse se distingue par ses virevoltes ponctuées de moments d’immobilité. Intense et très rythmée, la chorégraphie réclame d’excellentes conditions physiques aux danseurs.

Le terme Kathak dérive du mot sanskrit katha signifiant « histoire ». Et c’est le but de cette danse : raconter une histoire via des mouvements des mains et du corps ainsi que par l'expression du visage. C’est cet aspect qui confère à cette danse son statut si particulier puisque le Kathak avait autrefois une importance sociale : en contant la mythologie indienne, elle était un véhicule de transmission des textes sacrés à un public analphabète.

Différente formellement, on trouve dans l’Odisha une danse à la destination similaire : l’Odissi. Figurant elle aussi parmi les danses classiques de l’Inde, cette chorégraphie dramatique a également pour but de conter une histoire (souvent extraite des textes hindous) en se soumettant aux codes du Nritta (l’art des mouvements du corps) et du Nritya (la communication des émotions et de la narration par les expressions faciales et les gestes des mains). Danse au rythme marquée (notamment par les frappes de pied des artistes), elle accorde également une grande place à l’expressivité et au symbolisme via l’utilisation des mudras (position codifiée et symbolique des mains).

Une autre danse classique indienne majeure contant, elle aussi, une histoire vint de ce très vaste État qu’est l’Assam : le Sattriya. Utilisant, une fois encore, le corps, les gestes et les expressions faciales comme véhicule de sa narration, cette très belle danse relate les épopées du Mahābhārata et du Rāmāyana, avec des thèmes souvent liés à Krishna. Les compositions musicales l’accompagnant sont appelées borgeets et consistent en une série de chants lyriques réglés sur des ragas spécifiques.

L’Assam est la région où l’on pratique également le Bihu, danse emblématique très joyeuse intervenant durant les trois festivals Bihu, une célébration de l’agriculture et des récoltes.

Inscrits sur la liste du patrimoine immatériel de l’Unesco en 2010, les chants et danses du Kalbelia comptent parmi les piliers de la culture du Rajasthan et de la communauté des Kalbelias. Ces derniers étaient autrefois charmeurs de serpents, chose qui se devine aux mouvements ondulants de la chorégraphie – faisant d’elle l’une des plus sensuelles du pays – et dans l’utilisation du pungi pour l’accompagnement, un instrument à vent en bois traditionnellement employé pour capturer les serpents. Les chants quant à eux témoignent d’une grande poésie et d’une folle capacité à improviser durant les représentations.

Une excellente occasion de plonger dans les traditions et le folklore du Rajasthan est de se rendre à la très populaire foire aux chameaux de Pushkar. Plus de 200 000 personnes débarquent dans les environs à cette période et le rendez-vous donne lieu à de nombreux spectacles traditionnels : danses, musique, marionnettes, fête foraine et cirque…

Le Manipur a beau être un petit État (22 000 km2), il est très fertile en traditions folkloriques. C’est notamment ici que l’on pratique le magnifique Manipuri, une des huit formes de danse classique indienne. Exclusivement féminine, elle représente l’amour divin entre Krishna et Radha dans une atmosphère d’harmonie parfaite tout en rythmes lents, mouvements circulaires doux et ondulations paisibles. Toujours pratiquée comme danse spirituelle, elle est interprétée surtout devant les temples lors des fêtes religieuses.

Dans la même région est pratiquée le Sankirtana. Mise en scène dansée et chantée des vies et des actes de Krishna, le Sankirtana est généralement interprété par deux joueurs de tambour et une dizaine de chanteurs-danseurs, entourés de croyants dévots assis. Les voix et les rythmes s’accélèrent crescendo, une grande intensité se dégage de la performance, le public pouvant être touché jusqu’aux larmes.

Originaire d’Odisha, mais très pratiquée au Bengale-Occidental, le chhau est une danse indienne semi-classique, trait d’union entre chorégraphie et art martial. Comme l’Odissi, elle est aussi inspirée d’épisodes du Mahābhārata et du Rāmāyana mais se singularise par ses mouvements de combat simulé et ses imitations d’animaux. Un trésor national inscrit en 2010 sur la liste représentative du patrimoine culturel immatériel de l’humanité.

Rare forme de danse classique indienne chantée (et intégrant du dialogue), le Kuchipudi est un joyau de la région de l'Andhra Pradesh. Autrefois pratiquée dans les temples, une représentation commence toujours par des prières et des offrandes avant de voir les danseurs combiner gestes fluides de la main (mudras) et mouvements magistraux du visage (presque un jeu d’acteur) afin de mettre en scène un mythe ou une légende hindoue. Danse dévotionnelle, elle est employée pour lier les fidèles aux divinités par la danse. Traditionnellement masculin, le Kuchipudi a gagné en mixité avec le temps.

En Inde du Sud, et plus précisément dans le Tamil Nadu, est pratiquée la forme de danse classique indienne considérée comme la plus ancienne : le Bhârata-natyam. Comme le Kuchipudi, elle marie danse classique et art martial et lie avec grâce chorégraphie pure et expression proche du mime. Autrefois exécutée uniquement dans les temples, elle a aujourd’hui quitté les lieux sacrés pour investir les scènes du monde entier, portées par quelques danseurs et/ou chorégraphes de légende comme Raghunath Manet, Chandralekha (initiatrice d’un renouvellement de la pratique en la mariant au yoga notamment) ou encore Yamini Krishnamurthy, qui s’est imposée comme danseuse à la fois de Bhârata-natyam mais aussi de Kuchipudi.

Le Kerala est un intarissable puits de danses traditionnelles. Et d’ailleurs, rien qu’ici, on trouve deux des huit formes classiques officielles. La première est le célébrissime Kathakali. Originaire du Kerala, cet art installé quelque part entre la danse et le théâtre muet met en scène la mythologie hindoue, particulièrement les deux épopées que sont le Rāmāyana et le Mahābhārata. Mais la grande spécificité de la discipline est ses incroyables maquillages. Riches, codifiés et complexes, ils traduisent et indiquent la personnalité et le statut des personnages. Par exemple, quand du vert signale une personne vertueuse, du rouge trahit un comportement mauvais voire diabolique. Un art à apprécier sur scène dans un temple du genre, le Kerala Kathakali Centre de Kochi.

L’autre danse classique du Kerala est le Mohiniyattam, la « danse de l’enchanteresse ». Et le fait est, elle porte plutôt bien son nom tant elle est envoûtante. Très proche du Bhârata-natyam, mentionné précédemment, qu’elle évoque par l’ampleur de ses mouvements (mais en plus sensuels), elle appelle de nombreux balancements du torse et une grande expressivité du visage et du regard comme pour ensorceler le spectateur. La plupart du temps, la danseuse arbore la tenue blanche et dorée typique du Kerala.

Au Kerala encore, on trouve deux danses indiennes majeures qui, bien qu’officiellement pas considérées comme « danses classiques », sont inscrites sur la Liste représentative du patrimoine culturel immatériel de l’humanité de l’Unesco : le Kutiyattam et le Mudiyettu. Le premier est l’une des plus anciennes traditions théâtrales indiennes (plus de 2 000 ans). Ici encore, l’expression des yeux et la gestuelle tiennent un rôle primordial pour transmettre les pensées et les sentiments des personnages. Art exigeant, il requiert une formation très longue (dix à quinze ans !) pour maîtriser parfaitement toutes ses subtilités. Traditionnellement joué dans des Kuttampalams, théâtres situés dans des temples hindous avec un orchestre de percussionnistes, il se joue désormais sur tout type de scènes. Le Mudiyettu, quant à lui, est un drame dansé figurant le récit mythologique d’un combat entre la déesse Kali et le démon Darika. Rituel communautaire prenant place dans des temples, il voit généralement tout un village participer, toute caste confondue. Outre l’aspect artistique, cette pratique est génératrice de lien dans la communauté et demeure un véhicule important pour transmettre aux générations futures les valeurs traditionnelles ainsi que les codes moraux.

Les musiques traditionnelles

L’Inde n’est pas qu’un pays de danse et l’on compte également de très nombreuses traditions musicales.

Parmi les plus connues, la région du Maharashtra cultive à la fois le Bhavageete, une forme de poésie chantée assez similaire aux Ghazals ainsi que le Lavani, combinaison de chant et danse exécutée au rythme du dholak (petit tambour joué couché) tandis que dans le Pendjab, le Bhangra, musique tournée vers la danse et marquée par l’énergie du battement du dhol (un tambour au son particulier) est la grande fierté de la région.

N’oublions pas de mentionner non plus une tradition présente dans tout le Nord, voire dans tout le pays : le Ramlila, mise en scène de l’épopée du Rāmāyana sous forme de tableaux associant chants, narrations, récitations et dialogues. Il est joué durant Dussehra qui se tient chaque année en automne. Le Ramlila évoque la bataille qui oppose Rāmā à Ravana, un symbole de la victoire du bien contre le mal où le public est invité à chanter et participer à la narration. Et à l’instar de nombreuses traditions indiennes, le Ramlila figure sur la Liste représentative du patrimoine culturel immatériel de l’humanité de l’Unesco.

Pour avoir un très bel aperçu au même moment et au même endroit de ces très nombreuses traditions, le Mamallapuram Dance Festival est une excellente option. Il s’agit de l’un des plus importants festivals de danse d'Inde bénéficiant du cadre exceptionnel. Bhârata natyam, Kathak, Kathakali, Kuchipudi… en somme, l’un des plus beaux festivals de danse du pays. Du même acabit, le Nishagandhi Dance & Music Festival est l’un des meilleurs rendez-vous du domaine et accorde une très large place à la danse classique. N’oublions pas de mentionner le Konark Dance & Music Festival qui depuis 1986 propose des performances des meilleurs artistes du pays avec notamment des représentations d’Odissi, Kathak, Bharata natyam, Kuchipudi, Manipuri, Mohiniattam

La musique classique

Très différente de l’acception occidentale du terme, la musique classique en Inde est divisée en deux familles : celle du Nord, appelée musique hindoustanie, et celle du Sud, la musique carnatique. Toutes deux n’ont longtemps fait qu’une et elles cultivent d’ailleurs encore de nombreuses similitudes. Par exemple, elles obéissent toutes deux aux cadres mélodiques du raga (ensemble de règles déterminant l'atmosphère et le contenu émotionnel d'une pièce musicale), au cycle rythmique du tala et emploient de nombreux instruments communs comme le sitar, la veena (cithare géante faite d’un long manche affublé de résonateurs à chaque bout), le tabla (tambour unilatéral) ou le mridangam (tambour à deux faces) le sarod (un luth, cousin éloigné du rabâb afghan) ou le sarangi (une vielle à archet).

Mais les deux branches se distinguent sur de nombreux points. Dans la musique hindoustanie la structure plus fluide encourage l'improvisation tandis que la musique carnatique, plus méthodique par essence, impose d’obéir plus strictement à la composition. Aussi, on perçoit des influences très différentes entre Nord et Sud et l’on peut, par exemple, deviner l’impact profane des cours mogholes et des artistes venus d’Iran dans la musique hindoustanie.

Parmi les grandes vedettes de la musique hindoustanie, un nom est familier des oreilles occidentales : Ravi Shankar (1920-2012). Ce virtuose du sitar, grand maître de la musique indienne, est devenu son icône au travers du monde. Une réputation internationale qu’il doit beaucoup à ses collaborations avec le violoniste Yehudi Menuhin, le guitariste des Beatles George Harrison ou encore l’immense pianiste Philip Glass. Tous ses albums sont de vrais bijoux et beaucoup d’entre eux abordent très joliment la musique hindoustanie.

Parmi les autres artistes à connaitre et écouter, Ali Akbar Khan (1922-2009) virtuose du sarod, doit figurer en haut de la liste pour avoir popularisé cette esthétique ; Abdul Rashid Khan, dit « Rasan Piya » fut un des grands chanteurs de la musique hindoustanie (connu pour ses khyal) et Hariprasad Chaurasia, demeure comme le grand flutiste du genre.

Le Harballabh Sangeet Sammelan, fondé en 1875, est le plus vieux festival de musique hindoustanie au monde et il a toujours lieu chaque année à Jallandhar.

Côté musique carnatique, les noms illustres sont d’abord Purandara Dasa (1484-1564) considéré comme le père du genre, puis Tyagaraja (1767-1847), un acteur essentiel dans le développement de cette esthétique. Au XVIIIe siècle, Shyama Shastri, Tyagaraja et Muthuswami Dikshitar formèrent la « trinité de la musique carnatique », un trio exceptionnel de compositeurs qui ont ouvert une nouvelle ère dans l'histoire de cette musique. Au cours du XXe siècle, quelques artistes ont porté le genre à son firmament : Manjapara Devesa Ramanathan, très singulier, Palghat Mani Iyer, grand musicien de mridangam (un tambour), Madurai Mani Iyer, chanteur très habile ou encore Aruna Sairam, la voix féminine par excellence.

Se tenant chaque année de la mi-novembre à la mi-janvier (soit durant neuf semaines !) le festival Chennai Music Season est le grand rendez-vous de la musique carnatique en Inde.

La musique populaire

Le « filmi », terme qui désigne les chansons bollywoodiennes, est en Inde un des genres les plus aimés de la population. Marché gigantesque, il domine largement l’industrie musicale indienne et beaucoup de ses artistes sont des stars. Cela vaut pour les artistes signant les B.O. – souvent des grands noms de la musique classique, comme Ravi Shankar ou Ali Akbar Khan – mais aussi des « chanteurs playbacks ». Car vous le savez sans doute, mais dans les films indiens, les acteurs chantent rarement, voire jamais, et ce sont des musiciens professionnels qui s’en chargent (en playback donc). Un métier à part entière où ont excellé – et parfois excellent toujours – quelques artistes comme Geeta Dutt (1930-1972), considérée comme l'une des meilleures chanteuses de playback de tous les temps ; Kattassery Joseph Yesudas, un géant largement considéré comme le plus grand chanteur indien de tous les temps (et le plus prolifique : il aurait enregistré plus de 50 000 chansons !) ; Mohammed Rafi (1924-1980) très influent, surtout pour sa capacité à adapter sa voix à la personnalité et au style de l'acteur à l’écran ; Sripathi Panditaradhyula Balasubrahmanyam (1946-2020) connu et reconnu également comme présentateur, acteur, compositeur, doubleur etc ; Kishore Kumar (1929-1987) une légende, capable de chanter à plusieurs voix et plus récemment Shreya Ghoshal, une des chanteuses les plus prolifiques d’Inde ou Alka Yagnik, reconnue par le Guinness World Records comme l'artiste la plus regardée au monde en 2022 avec 15,3 milliards de vues sur YouTube.

Les musiques actuelles

L’histoire millénaire de la musique indienne ne s’arrête évidemment pas là et de nombreux jeunes artistes continuent à l’écrire avec leurs œuvres. Et notamment dans le domaine de la musique électronique. Cette dernière fait parler d’elle en Inde dès les années 1980, avec l'album Ten Ragas To A Disco Beat de Charanjit Singh, considéré comme précurseur de l'acid house – et première tentative connue de combinaison entre musiques classique indienne et électronique. Une excellente compilation parue chez Naya Beat Records retrace assez bien l’apparition de la musique électronique dans la région dans les années 1980 et 1990 : Naya Beat Volume 1: South Asian Dance and Electronic Music 1983-1992.

Aujourd’hui, la jeune création maintient cet héritage vivant et s’échine à forger un nouveau son électronique en Inde. Parmi eux, la fabuleuse Arushi Jain confectionne d’élégants paysages sonores en jouant au synthé modulaire des ragas indiens, Sickflip mélange footwork et éléments folkloriques et dans la diaspora, le duo Baalti de San Francisco produit une house chaude à partir de samples des B.O. de Bollywood et Lollywood.

Évidemment, dans un pays de la taille de l’Inde, on trouve une scène rap fournie et dynamique. Cela étant dit, le genre a mis du temps à s’imposer ici. Jusque dans les années 2000, la scène indienne, timide, est surtout une imitation du hip-hop américain. Des pionniers comme Baba Sehgal ont au moins eu le mérite de planter la première graine. Ça n’est vraiment qu’au début des années 2000 que le rap en Inde devient une forme d'art originale.

Il aborde alors des sujets socialement conscients, comme la pauvreté, les brutalités policières, les droits des femmes, la corruption, etc., et les artistes rappent désormais dans leur langue maternelle : aussi bien l'hindi que le penjabi ou le tamoul. Le premier grand tube, le vrai tournant du rap indien intervient en 2015 avec la sortie de Mere Gully Mein, un appel à la révolution signé des rappeurs Naezy et Divine (de Mumbai). Devenus des stars, l’histoire de Naezy et Divine a même été adapté au cinéma dans un film à gros budget : Gully Boy.

Désormais, la nouvelle génération est tournée vers l’innovation du genre et quelques noms commencent à faire des vagues localement comme Rak, le duo Seedhe Maut qui aborde des questions sociales, Prabh Deep, champion de longue date de l'underground, Manmeet Kaur, une des premières femmes à rapper dans le pays ou encore Ahmer, très militant.

Hors de toute catégorie, citons également le percussionniste Sarathy Korwar, installé à Londres, et très apprécié pour sa capacité à faire dialoguer sur un pied d'égalité la musique indienne avec de nombreuses esthétiques, dont le jazz.