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La vache dans les textes sacrés hindous

Dans l'hindouisme, la vache est vénérée et représente la sacralité de toutes les créatures. Elle est désignée sous le nom de Gao Mata, la Vache-Mère, du fait qu'elle donne son lait à tous. La vache est mentionnée dans les plus anciens textes religieux, dont les Vedas, rédigés entre le IIe millénaire av. J.-C. et le VIe siècle av. J.-C. Elle apparaît à plusieurs reprises dans le Rig Veda, une collection d'hymnes sacrés, où elle est souvent présentée comme un symbole de richesse.

Le Rig Veda VI.28, titré « Vaches », lui consacre un hymne et insiste sur la façon de les traiter :
« Qu'elles ne soient jamais perdues, qu'aucun voleur ne les blesse jamais ; qu'aucun adversaire malveillant n'essaye de les harceler. Que le Maître des Vaches vive de nombreuses années avec celles-ci, les Vaches dont la grâce lui permet de faire des offrandes et de servir les Dieux. [...] Que ces vaches, bétail du pieux adorateur, puissent errer sur un vaste pâturage où ne se trouve aucun danger. Pour moi les Bovins ressemblent à Bhaga, ils ressemblent à Indra, ils ressemblent à une part du Soma versé [...]. Ô Bovins, [...] faites prospérer ma maison, avec vos voix propices. Votre puissance est glorifiée dans nos assemblées. Broutez les bons pâturages et ayez à votre portée une eau pure et douce en de beaux lieux d'abreuvement. Ne soyez jamais aux mains du voleur ou du pécheur, et puisse la flèche de Rudra vous éviter toujours. »

Dans l'Atharva Veda, les divinités hindoues occupent les différentes parties du corps de la vache. Son lait nourricier est source de vie tant pour les dieux que les hommes. Elle représente l'incarnation du monde universel.
« C'est la Vache qui est l'immortalité, et c'est la Vache qu'on révère en tant qu'elle est la mort ; la Vache, c'est tout ce qui est, Dieux et Hommes, Asuras, Mânes et Prophètes. L'homme instruit de ce mystère connaîtrait le mystère de la Vache : alors seulement le Sacrifice, pourvu de tous ses pieds, se laisse traire sans regimber en faveur de celui qui l'offre. ]...) C'est la Vache qui fait vivre les Dieux, la Vache qui fait vivre les hommes. La Vache, c'est tout ce qui est, tout ce que contemple le Soleil. » Atharva Veda, X.10.

Le Harivamsha remontant au Ier siècle est le plus ancien poème mentionnant la jeunesse de Krishna, le huitième avatar de Vishnou, le petit dieu facétieux gardien de vaches. Il y est décrit comme l'enfant qui protège les vaches, le Bala Gopala. Il est également souvent appelé Govinda, ce qui signifie « celui qui apporte satisfaction aux vaches ». Il est entouré de 108 gopis, un terme sanskrit qui signifie « bouvière », qu'il attire et fait danser au son de sa flûte. Cette scène est très souvent reprise dans l'art pictural hindou et notamment dans les somptueuses fresques de la haveli du Sone Ki Dukan de Mahansar.
Le traité des Lois de Manu remontant au IIe siècle établit un parallèle entre brahmane et vache. Les deux sont symboles de l'ahimsa, « le respect de la vie ». La protection d'un brahmane, d'une vache, d'une femme ou d'un enfant au prix de sa vie permet d'atteindre le moksha, la libération de l'âme.
« La mort, sans l'espérance d'une récompense, pour les brahmanes et les vaches, ou dans la défense de femmes et d'enfants, garantit la béatitude à ceux ne faisant pas partie de la communauté rya. L'Ahimsâ, la véracité, l'abstention de s'approprier les biens des autres, la pureté et le contrôle des sens, Manu a ainsi déclaré que tout cela peut être considéré comme le résumé du Dharma [...]. » Manava-Dharma-Shastra X.62, 63.
Le traité de droit hindou fixe aussi des peines strictes à l'encontre de toute personne qui tuerait un bovin.
« Celui qui a commis le crime du meurtre d'une vache boit pendant le premier mois une décoction de grains d'orge ; ayant rasé tous ses cheveux et se couvrant lui-même avec la peau de la vache tuée, il doit vivre dans une étable. Pendant les deux mois suivants, il mange une petite quantité de nourriture, sans aucun sel, repas se limitant à quatre, et doit se baigner dans l'urine de vaches, gardant ses sens sous contrôle. Pendant la journée, il doit suivre les vaches et, étant debout, droit, il inhale la poussière levée par leurs sabots ; la nuit, après leur service et leur adoration, il doit rester dans la position appelée virasana. En se contrôlant, sans colère, il doit être debout quand elles le sont, il doit les suivre quand elles marchent et s'asseoir quand elles se couchent. Quand une vache est malade, ou menacée par des voleurs, des tigres, et ainsi de suite, ou ayant chuté, ou bloquée dans un marais, il doit la délivrer par tous les moyens possibles ; dans la chaleur, dans la pluie, ou dans le froid, ou quand le vent souffle violemment, il ne doit pas chercher à s'abriter, sans protéger en premier les vaches selon son aptitude. On ne doit rien dire, si une vache mange quoi que ce soit dans sa propre maison ou dans une autre, ou dans un champ ou sur le sol battu, ou si un veau boit son lait. Le tueur d'une vache qui sert ainsi le bétail, sa culpabilité s'en va, après trois mois, pour le fait d'avoir tué une vache. Mais après qu'il a entièrement exécuté la pénitence, il doit donner aux brahmanes connaisseurs des veda, dix vaches et un taureau, ou s'il ne possède pas tant de biens, il doit leur offrir tout ce qu'il a. » Manava-Dharma-Shastra XI.

La place de la vache chez les hindous

On peut penser que les Aryens arrivés en Inde vers 1 500 av. J.-C. étant des pasteurs, ils ont naturellement accordé une place à part et primordiale aux vaches dans leurs textes sacrés. Le lait y nourrit non seulement les hommes, mais aussi les dieux. Par conséquent, tout ce qui provient de la vache est sacré. Le lait, le lait caillé et le beurre clarifié (ghee) permettent de se nourrir et sont également considérés comme des éléments de purification dans les rituels religieux. Les statues dans les temples sont régulièrement lavées dans des bains de lait. Le beurre clarifié sert de combustible au feu sacré des lampes à huile lors des pujas. C'est aussi un élément important de l'alimentation et son utilisation fait partie des piliers de la cuisine ayurvédique. Le ghee est estimé pour ses vertus nutritives, régénérantes, antioxydantes. Son prix élevé en fait un aliment de luxe. Le lait caillé est donné en offrande comme nourriture pour les dieux. Urine et excréments sont également récupérés. La première est considérée comme un fortifiant et un médicament. Les bienfaits thérapeutiques de l'urine de vache n'ont jamais été démontrés sur un plan scientifique. Néanmoins, la croyance demeure tenace. Les hindouistes les plus fervents déclarent boire de l'urine de vache pour se maintenir en bonne santé. Aux débuts de l'épidémie de Covid-19, des dévots se sont rassemblés à Delhi pour boire de l'urine de vache dans des tasses en argile, persuadés qu'ils seraient protégés du coronavirus. La médecine ayurvédique prescrit la consommation d'urine de vache en cas de lèpre, d'ulcère, de fièvre, de désordres rénaux ou hépatiques, d'asthme, de psoriasis et même de certains cancers. Les bouses de vaches sont récoltées par les ménagères et mises à sécher. Elles serviront de combustible pour alimenter le feu de la cuisine. Lorsqu'elles sont mélangées à de la boue, elles jouent un rôle antiseptique et repoussent les insectes. Cette pâte est utilisée dans les enduits traditionnels des maisons en pisé et des sols.
Les vedas invitent à laisser les vaches paître librement, ce qui explique que les bovins déambulent absolument partout dans le pays. On les croise autant le long des routes de campagne que dans les embouteillages interminables de Delhi ou de Mumbai, étalées en travers des rues ou traversant d'un pas nonchalant les autoroutes. Personne ne semble se préoccuper de leur présence et, contrairement aux apparences, elles ont un propriétaire. L'Inde, qui n'est pas à un paradoxe près, laisse donc ses animaux les plus sacrés brouter les détritus qui jonchent les bords des routes et des rues. La tradition veut que le premier roti (galette de pain) de la journée soit donné à une vache. Elles le savent bien et guettent leur pitance devant les maisons tôt le matin. De la même manière, il n'est pas rare de voir des fermiers vendre du fourrage sur le bord de routes. Les automobilistes s'arrêtent, effectuent un don, et un peu du fourrage est donné à une vache passant par là. L'argent est en général récolté pour les gosala, les fermes recueillant les vieilles vaches, et la bonne action attirera les auspices favorables des dieux sur le donateur.

La vache, animal politique

En 2017, le parti nationaliste hindou BJP au pouvoir tente de faire fermer tous les abattoirs pour vaches du pays. La décision est prise comme une volonté de nuire à la communauté musulmane, consommatrice de bœuf. Le gouvernement indien se heurte à une levée de bouclier des habitants des États du sud (Kerala, Karnataka, Tamil Nadu) où certains hindous consomment de la viande de vache, tout comme les musulmans et les chrétiens. Une résistance s'organise et le gouvernement abandonne son projet. Néanmoins, l’État d'Uttar Pradesh, qui a placé à sa tête un brahmane nationaliste, a fait fermer tous les abattoirs illégaux et interdit l'abattage des vaches. Des ratonnades ont été organisées par des hindous extrémistes à l'encontre d'acteurs supposés de la filière bovine, faisant 48 morts pour l'essentiel musulmans. Mais ce qu'ils n'avaient pas prévu, c'est que la prolifération de vaches entraînerait la colère des habitants. Avant, les vieilles carnes ne donnant plus de lait étaient menées à l'abattoir. Désormais, elles envahissent les rues des petites villes et ruminent dans les champs. Les paysans se voient contraints de les nourrir et de les soigner en pure perte, et préfèrent souvent les abandonner discrètement. À leur tour, les agriculteurs se voient obligés de protéger leurs champs en dressant des barbelés ou en allumant des feux la nuit. La police s'est retrouvée obligée de procéder à des interpellations, d'autant plus que le gouvernement de l'Uttar Pradesh leur a imposé d'adopter au moins une vache par commissariat, « pour montrer l'exemple ». Devant cette prolifération de bovins, le gouvernement régional a instauré une taxe en 2019 permettant de lever des fonds pour construire des abris aux vaches abandonnées et de les entretenir. Il envisage la collecte d'urine pour la transformer en produits médicinaux. Mais il reste encore à convaincre les potentiels consommateurs, qui malgré toutes les vertus supposées de l'urine de vache, sont peu nombreux à franchir le pas, même chez les croyants les plus fervents.