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Aux origines

L’Alentejo possède un riche et impressionnant patrimoine mégalithique. Avec ses 7 m de haut et ses 1,25 m de diamètre, le Menhir de Meada est la plus grande pierre levée en granit de toute la péninsule Ibérique. Sa forme phallique laisse penser qu’il pourrait s’agir d’un monument associé à des cultes de la fertilité. La région possède également de superbes exemples de cromlechs ou cercles de pierres. Le Cromlech d’Os Almendres est l’un des plus célèbres avec ses 93 mégalithes formant un ovale de 60 m sur 30 m et dont l’agencement a été pensé en fonction de la position du soleil aux équinoxes. A ces étonnants monuments mégalithiques, aux fonctions rituelles, s’ajoutent d’imposantes structures funéraires baptisées antas. Il s’agit de chambres funéraires accessibles par un couloir et recouvertes d’un tertre polygonal, rectangulaire ou circulaire. L’Anta Grande do Zambujeiro, de 6 m de haut, se compose de plusieurs imposantes dalles de granit qui formaient la chambre intérieure originelle. Quelques millénaires plus tard, ce fut au tour des Romains d’imposer leur marque. La péninsule de Troia abrite les ruines de Cetobriga, important port romain qui possède encore des vestiges de bassins de salaison. Le site de Microbriga témoigne d’une impressionnante maîtrise de l’eau avec ses thermes dont on peut encore apercevoir les différents espaces (bains, salle de repos), mais surtout les conduites d’eau. Le site est aussi célèbre pour abriter les fondations d’un forum, d’un temple dédié à Vénus, et surtout les vestiges de l’unique hippodrome romain du Portugal. Les Romains ont également imaginé une architecture rurale dont les grandes villas sont les fières représentantes. Ne manquez pas les ruines de la villa de Pisoes avec son atrium et sa piscine pavée de mosaïques, ni celles de la villa de São Cucufate qui impressionne par la qualité de ses commodités et la beauté de ses fresques. Enfin, un petit tour à Evora s’impose pour y découvrir les vestiges des remparts, des thermes (retrouvés dans les sous-sols de l’hôtel de ville) et surtout pour apprécier la beauté du Temple de Diane (Templo romano) aux élégantes colonnes corinthiennes. Le temple doit son étonnante préservation au fait qu’il fut longtemps intégré aux fortifications médiévales !

Puissant Moyen Âge

L’une des grandes richesses de l’Alentejo réside dans les témoins de la domination musulmane qu’il abrite. Alors que la plupart des mosquées furent détruites lors de la Reconquête, celle de Mertola a traversé les siècles de façon presque inchangée. Son plan carré, ses rangées de colonnes élancées soutenant de belles voûtes en ogive, ses jeux d’arcature où l’arc en fer à cheval domine, ses portes en trous de serrure, son mihrab (niche indiquant La Mecque), son toit crénelé à pinacles et sa cheminée rappelant un minaret sont autant de témoins de la richesse de cet art islamique. La ville de Moura conserve, elle, les traces d’un urbanisme typiquement arabe avec sa Mouraria aux ruelles bordées de maisons basses dotées de grandes cheminées ajourées pour permettre ventilation et aération. Evora, elle, abrite des vestiges des fortifications – dont l’appareillage de pierre irrégulier est un trait de l’architecture défensive arabe – et des traces de l’ancienne casbah. Pour entériner la Reconquête, les rois chrétiens renforcent les forteresses arabes et construisent de nouveaux châteaux. Le donjon crénelé et de plan carré de Beja est ainsi rehaussé pour atteindre l’impressionnante hauteur de 42 m. A Marvão, on peut emprunter le chemin de ronde qui suit le tracé de l’ancienne citadelle et découvrir l’impressionnante citerne du château dont cours, courtines, volées d’escaliers et passages voûtés protégeaient le donjon. Estremoz, l’une des plus belles villes fortifiées de la région, abrite notamment la superbe Torre dos Tres Coronas, donjon en marbre blanc dont le sommet est découpé en créneaux et mâchicoulis. A cet art des fortifications s’ajoute un nouvel urbanisme fait d’un lacis de ruelles pavées, de passages voûtés et d’escaliers desservant les places pavées, point central de la cité. Evora, avec ses maisons disposées en terrasses irrégulières et ses multiples places asymétriques, en est un bel exemple. Castelo de Vide, parcourue de ruelles pittoresques et étagées, possède un véritable trésor : sa Judiara ou quartier juif, dont on peut encore admirer les belles maisons aux portes, typiquement gothiques, voûtées en ogive et encadrées de granit. Voyez les motifs ornant certaines pierres, ils représentent souvent la profession du propriétaire ! La synagogue du XIVe siècle a conservé toute sa sobriété médiévale. Très religieux, ce Moyen Âge voit apparaître de nombreux monastères, tel le monastère fortifié de Flor da Rosa, et surtout de nombreuses églises et cathédrales. Celle d’Evora illustre la transition du roman vers le gothique. Ses tours massives, lui donnant des airs de forteresse, restent profondément romanes, tout comme la simplicité et la sobriété des lignes intérieures. Mais les sculptures, les motifs en rosace et son cloître aux belles colonnettes sculptées, eux, sont résolument gothiques. Plus tardivement, certaines églises porteront le sceau du style mudéjar (celui des artisans maures travaillant sous le contrôle des rois chrétiens), à l’image de la belle église Santa Maria de Beja, dont les arcs en fer à cheval et les 4 colonnes blanches massives encadrant le porche rappelant des minarets traduisent ce mélange des influences.

Étonnante Renaissance

Tout commence avec le foisonnant style manuélin qui opère une transition pour le moins étonnante entre le gothique et la Renaissance, s’inspirant de l’effervescence de cette période de grandes découvertes. Cordages de navires, instruments de navigation, décors végétaux, animaux exotiques se mêlent ainsi à des influences maures et espagnoles, dont les plafonds à caissons et les azulejos sont les premiers représentants. Portails ouvragés, piliers en spirales, éléments décoratifs sculptés souvent isolés dans de grands espaces sobres pour mieux les rehausser et emblèmes royaux (sphère armillaire, pélican et croix de l’Ordre du Christ) sont les grandes caractéristiques de ce style. L’église São João Baptista de Moura avec ses azulejos polychromes, ses arcs trilobés et ses décors végétaux en est un bel exemple, tout comme la porte manuéline de Viana do Alentejo avec ses colonnes torses et emblèmes royaux. Elle est l’œuvre de Diogo de Arruda, à qui l’on doit également l’étonnant nouveau château d’Evora qu’il dote de tours d’angle carrées inspirées des codes de l’architecture militaire Renaissance, tout en sculptant sur chaque façade des nœuds et cordons stylisés, typiques manuélins. Et n’oublions pas l’église São Francisco d’Evora avec son porche aux arcatures variées et son portail d’entrée encadré de colonnes torses en marbre aux chapiteaux ouvragés. Elle est l’œuvre du grand architecte de l’époque, Francisco de Arruda, créateur de la célèbre Torre de Belém. Progressivement son style va évoluer vers une Renaissance plus sobre, inspirée des idéaux classiques et humanistes, comme le montre bien la transformation du château d’Evoramonte en palais d’inspiration italienne ou bien encore l’impressionnant aqueduc de l’Agua de Prata alimentant Evora et dont les puissantes arches de brique ne sont pas sans rappeler celles des grands aqueducs romains. Cette Renaissance se fait aussi très urbaine avec l’apparition de superbes demeures patriciennes aux murs blanchis à la chaux et aux façades ornées de balcons en fer forgé très élaborés. Evora porte la marque de cette harmonie Renaissance. Parmi les chefs-d’œuvre de la ville, ne manquez pas : l’Université avec son paisible cloître desservant les différentes salles de cours peuplées d’azulejos, l’église de Graça dont la façade sculptée d’impressionnants atlantes est l’œuvre du sculpteur français Nicolas Chantereine, ses fontaines en marbre ou bien encore la Casa Cordovil à la somptueuse loggia à arcades surmontée d’un dôme. Le village de Monsaraz, avec ses trottoirs de schiste parfaitement chaulés et ses demeures seigneuriales souvent blasonnées et ornées de balcons en fer forgé, est un autre bel exemple de cette harmonie urbanistique Renaissance… tout comme le Paço Ducal de Vila Viçosa et son impressionnante façade de 110 m de long abritant derrière son étincelant marbre blanc près de 78 pièces !

Effervescence baroque

Le baroque est, par excellence, l’art de la puissance décorative et de la mise en scène. La grande place d’Estremoz en est l’exemple parfait. Escaliers, portails, encadrements de fenêtres… : tous sont recouverts du marbre local, tout comme l’impressionnante façade de la Câmara Municipal, l’hôtel de ville. L’église São Francisco, elle aussi en marbre local, abrite un magnifique Arbre de Jessé (représentation de la généalogie du Christ) sculpté en bois doré. Or que l’on retrouve dans la pièce maîtresse du baroque portugais : la talha dourada. Cette sculpture architecturale de bois doré entourant le maître autel prend les formes les plus exubérantes : colonnes torses, baldaquins, arcs entourés d’angelots... De beaux exemples sont à voir dans l’église Santo Antão d’Evora ou bien encore dans la chapelle du Musée régional de Beja. Les églises de pèlerinage, souvent isolées, sont faites pour impressionner les fidèles. L’église Nossa Senhora de Aires en est l’exemple le plus frappant. Voyez sa puissante polychromie de blanc et jaune, ses tours et dômes surmontées de clochers à bulbes et la finesse de son ornementation. Parmi les autres grands témoins de ce foisonnant baroque, ne manquez pas : les chapelles de l’église São Francisco d’Evora, les belles demeures et l’église Santa Maria bordant la Praça Dom Pedro V à Castelo de Vide, et les salles d’apparat du Paço Ducal de Vila Viçosa avec leurs plafonds en trompe-l’œil. Loin de ce faste décoratif, le baroque va aussi se faire militaire, suivant les préceptes de deux écoles différentes : l’école française, comme le montrent les remparts d’Evora imaginés par l’ingénieur Nicolas de Langres sur les idées du célèbre Vauban, et l’école hollandaise. C’est Elvas, ville de garnison fortifiée, qui porte la marque de cette dernière. Considéré comme le plus grand système défensif de remparts à douves sèches du monde, le site est classé au patrimoine mondial de l’Unesco. C’est un prêtre-architecte-mathématicien jésuite, Cosmander Cieremans, qui est à l’origine de ce chef-d’œuvre militaire qui parvient à adapter des théories purement géométriques à une topographie accidentée. Ce sont au total 12 forts qui sont insérés dans un polygone irrégulier protégeant le château. Les remparts et talus sont entourés d’un fossé sec et d’une contrescarpe (paroi extérieure du fossé) et protégés de demi-lunes. Ce système défensif comprenait également des forts plus éloignés et adaptés aux évolutions de l’artillerie à longue portée, tels les Forts de Santa Luzia et Graça ; des fortins secondaires ; des chemins couverts ; et surtout un impressionnant aqueduc dont les 840 arches étendaient leur puissance sur près de 8 km. Ainsi alimentée, la ville pouvait tenir un siège de plusieurs mois !

Richesses vernaculaires et contemporaines

Les curveiros sont des cabanes à plan circulaire et toit conique utilisées pour l’élevage des porcs et des caprins. Elles sont organisées en cercle autour d’une cour centrale fermée. Dans les montagnes, l’habitat va du simple abri troglodyte aux cabanes à plan circulaire, construites en pierre sèche et arborant d’étonnantes fausses voûtes. Ce sont les casas abrigos. A cela s’ajoutent les tapadas ou relais de chasse, les quintas, ces grandes propriétés rurales héritées des villas romaines, les montes, sortes de petites communautés rurales, et bien sûr les petites fermes isolées, jalonnant plaines et collines. Ces dernières sont l’âme de l’Alentejo. De plan rectangulaire, sur des fondations de pierre, avec des toits à deux pans faiblement inclinés couverts de tuiles de céramique et d’imposantes cheminées, possédant une seule entrée et de très rares fenêtres pour ne pas trop peser sur la structure de pisé, ces maisons sont célèbres pour leurs épais murs chaulés de blanc faisant ressortir de façon plus vive les encadrements des portes et fenêtres colorés (le bleu et le vert sont très populaires). Fermes, mais aussi moulins, puits, et murets de délimitation des parcelles révèlent les riches propriétés techniques et thermiques de ce matériau naturel. Préservée des affres du tourisme de masse, l’Alentejo a vu se développer une architecture contemporaine tout en sobriété, s’inspirant de l’histoire de la région, comme de son architecture vernaculaire. L’Ecork Hotel à Evora, aux maisons cubiques à toit plat et à l’éclatante blancheur séparées par des cours, n’est pas sans rappeler les casbahs ; tandis que le Sobreiras-Alentejo Country Hotel, dans la Serra de Grândola, rappelle les complexes agricoles avec ses volumes simples imaginés dans des matériaux écologiques et durables. Les domaines viticoles aussi se font résolument contemporains tout en conservant les acquis traditionnels, tels le Domaine Herdade da Cardeira à Borba avec ses patios et pergolas et son plâtre de chaux légèrement ocré, le L’And Vineyards Hotel avec ses volumes de béton blancs et géométriques, et le Torre de Palma Wine Hotel avec ses espaces organisés autour d’une grande cour. A Arraiolos, le musée de la tapisserie a fait l’objet d’une très belle réhabilitation avec notamment des toits en forme de tunnels inversés offrant plus d’espace. A Mora, ne manquez pas le River Aquarium, bloc monolithique abrité par une structure à pignons faite de portiques de béton blanc. Le mot d’ordre du lieu : ombrage, aération et durabilité des matériaux. La Casa da Volta inspirée des casbahs et mêlant bois, béton et stuc ; la Cercle House entièrement conçu avec des matériaux et techniques locales ou bien encore la House in Grândola aux allures de château fort, comptent parmi les plus belles villas de la région… et elles sont nombreuses ! Terminons enfin par quelques insolites : la Casa na Terra, ancienne maison souterraine transformée en hôtel à laquelle on accède par une entrée aux allures de faille terrestre ; le château d’eau de Nova Aldeia da Luz qui reprend la forme des cheminées des célèbres Unités d’habitation du Corbusier ; et les mines de cuivre de São Domingos, aujourd’hui désertées, et qui offrent un aperçu saisissant de la vie au XIXe siècle avec la ville basse peuplée de corons ouvriers et la ville haute destinée aux ingénieurs anglais qui y firent construire places, kiosques, villas avec jardins et terrains de tennis… un must pour les amateurs d’Urbex !