Cercles mégalithiques, site de Sine Ngayène © DorSteffen - Shutterstock.com .jpg
Monument de la Renaissance africaine à Dakar © Nowaczyk - Shutterstock.com.jpg

Les vestiges protohistoriques de Sénégambie

L’architecture de la région d’Afrique de l’Ouest correspondant aujourd’hui au Sénégal remonte au néolithique. De nombreux mégalithes sont encore debout pour témoigner des prémices d’une proto-architecture. Les cercles mégalithiques de l’île de Fadiouth en sont un bel exemple. Dans toute la région de Sénégambie, entre les deux fleuves du même nom, ils sont près d’une centaine, quatre-vingt-treize précisément, et classés au Patrimoine mondial de l’Unesco. Les cercles sont répartis sur quatre sites : Sine Ngayène, Wanar, Wassu et Kerbatch. Les pierres, allant de huit à quatorze, sont taillées à partir de roches volcaniques ou de Latérite, qui forme des concrétions faciles à travailler. Ils s’inscrivent dans un plus grand ensemble de sites où l’on retrouve aussi des pierres non dressées et des tumulus protohistoriques remontant aux Ier et IIe millénaires avant notre ère.

L’architecture vernaculaire

Etouffées par la puissance coloniale et les rivalités intestines, les sociétés traditionnelles n’ont jamais utilisé ni considéré l’architecture comme une marque de pouvoir. Néanmoins, leur génie et leur intelligence se sont manifestés à travers un habitat strictement fonctionnel, admirablement beau par sa sobriété et privilégiant l’usage des matériaux locaux : la pierre, la terre, le bois et la paille. Ce génie s’est manifesté indistinctement dans toutes les régions du Sénégal, depuis les cases de terre du Sénégal oriental, naturellement climatisées et parfaitement adaptées aux rigueurs du climat, jusqu’à la Casamance et ses magnifiques cases à impluvium, dont les toitures en forme d’entonnoir permettent de recueillir l’eau de pluie, et ses étonnantes cases à étages – sans oublier les cases peules sahéliennes, dont la légèreté et la facilité de montage conviennent au mode de vie nomade. Chez les peuples d’agriculteurs, les greniers à grains qui accompagnent les maisons sont une constante, quels que soient les matériaux avec lesquels ils sont fabriqués, on les retrouve toujours surélevés par rapport au sol, afin de préserver leur contenu des rongeurs.

L’architecture vernaculaire répond dans tous ses détails, à l’instar de la cosmogonie dogon, à des impératifs mystiques et ancestraux, que l’on peut deviner dans l’organisation fractale de l’habitat et la forme organique des concessions.

Le double héritage de l’architecture métisse et coloniale

Les îles de Gorée et de Saint-Louis, listées toutes deux au Patrimoine mondial de l’humanité par l’Unesco, sont considérées comme des chefs-d’œuvre de l’architecture coloniale. Cette appréciation doit être nuancée. Il convient, en effet, de distinguer l’architecture métisse de l’architecture coloniale. En effet, si elles se sont bien développées à l’époque coloniale, ces deux villes ont été bâties par la bourgeoisie métisse qui a monopolisé le pouvoir économique et politique du pays pendant près de trois siècles. Cet habitat si caractéristique, avec ses arcades, ses vérandas et ses cours ombragées, a été conçu et construit par les signares (les femmes métisses de Gorée et Saint-Louis) et leurs descendants, qui s’opposaient souvent vivement à l’autorité coloniale. La maison Guillabert, construite en 1900, tout comme l’Hôtel du palais à Saint-Louis, sont de beaux exemples de l’architecture de la bourgeoisie métisse de l’époque.

La Maison des esclaves de Gorée est l’un des lieux les plus symboliques de la traite négrière. Datant de 1776, il s’agirait de la dernière esclaverie en date de Gorée. Son escalier à deux flèches encadre un couloir central chargé d’histoires. Il ouvre directement sur la mer, créant une percée de lumière vive au cœur du bâtiment. C’est par là que les esclaves seraient partis pour un voyage sans retour. Du moins, c’est ce que racontait son conservateur à tous les visiteurs. Les recherches historiques ont déterminé qu’il s’agissait en fait de la demeure de la signare Anna Colas, mais il n’en demeure pas moins que le lieu participe au devoir de mémoire – l’étage de ce beau bâtiment ocre sert aujourd’hui de musée. L’opiniâtreté de son conservateur, Boubacar Ndiaye (1922-2009), a contribué à placer Gorée au cœur de l’histoire de l’esclavagisme jusqu’à ce que l’île soit placée, en 1978, sur la liste du Patrimoine mondial de l’Unesco. Il y avait sûrement du bon à tant affabuler !

Pour leur part, les colons produisaient dans ces villes une architecture monumentale destinée à impressionner les autochtones et à marquer leur pouvoir, militaire tout d’abord, administratif par la suite. Ainsi, alors que s’apaisaient les rivalités entre les nations, l’ancien fort de Saint-Louis, fondé en 1659, est devenu palais du gouverneur. Celui édifié plus tard à Dakar par le gouverneur Roume inspirera toute une série d’ouvrages surchargés au style néoclassique, tels que la Chambre de commerce ou la Mairie.

Mélange des genres

Quelques édifices dakarois se distinguent par leur originalité et leur éclectisme parfois déroutant, comme la cathédrale du Souvenir africain, inaugurée en 1929. Ses tours sont le reflet de l’architecture néo-soudanaise qui a le vent en poupe à l’époque (exprimant la synthèse des styles soudanais et coloniaux) tandis que ses multiples coupoles et terrasses sont réalisées dans un pur style byzantin. Ses cariatides ont les traits de jeunes femmes peuls. Ses matériaux sont africains (grès soudanais, marbres tunisiens, bois gabonais) et européens (granit breton et bronzes d’Auteuil). L’édifice est bâti sur un plan en croix grecque, dont le centre est occupé par une vaste coupole éclairée de vingt fenêtres.

La gare de Dakar est bâtie en 1914 dans un style colonial qui semble influencé par l’Art nouveau, comme en témoignent ses grandes façades vitrées et leurs fines structures métalliques, tout comme les auvents et les corniches. Sa couleur ocre et ses toits en pente évoquent pour leur part l’architecture locale et coloniale. Le marché Kermel, à la grande charpente en métal, présente quant à lui des signes d’architectures islamiques sur sa façade, dont la porte est formée d’un grand arc outrepassé, caractéristique de l’architecture mauresque. Il a été entièrement reconstruit en 1997 à la suite d’un incendie. Le marché Sandaga se reconnaît à sa dentelle de béton armé reproduisant un moucharabieh. Il est aujourd’hui menacé de démolition. Magnifique exemple du style soudano-sahélien, le Musée Théodore Monod d’art africain a été construit en 1931.

Grâce à l’usage du béton, les bâtiments prennent de la hauteur. L’immeuble Maginot à Dakar est représentatif du style architectural des années 1940. Une architecture moderne émerge progressivement. Les immeubles qui entourent la place de l’Indépendance, comme l’université Cheikh Anta Diop (1959) et le grand hôtel de Ngor Diarama, en sont de beaux exemples.

Senghor et le parallélisme asymétrique

A l’indépendance, en 1960, le président Senghor, qui vient d’héritier des rênes du pouvoir, souhaite un renouveau esthétique de l’architecture, qui puiserait son inspiration dans la tradition locale. Il redéfinit les canons du style soudano-sahélien et invente le « parallélisme asymétrique », dont il rend l’application obligatoire – et la loi est toujours en vigueur. Les exemples qui se revendiquent clairement du parallélisme asymétrique sont la foire de Dakar, appelée CICES, et sa propre maison sur la Corniche, devenue le musée Senghor. Citons aussi l’emblématique immeuble Kébé, bâti dans les années 1990, il est l’un des plus hauts de Dakar. La ligne irrégulièrement découpée de sa façade crée un jeu de lignes évoquant l’Op’art. En centre-ville, quelques grands buildings s’inspireront en façade de la forme et des couleurs des masques africains ou des tissages traditionnels.

L’architecture contemporaine

Dakar, la vieille ville blanche sur son cap vert, est désormais en pleine mutation. Si elle a bien conservé ses larges avenues ombragées, les arbres centenaires disparaissent peu à peu et les chantiers se multiplient. La corniche en bordure d’océan se densifie à mesure que les terrains prennent de la valeur. D’élégants immeubles modernes répondent aux édifices au style épuré des décennies précédentes. Les petites villas aux lambrequins ouvragés et aux épis de faîtage, choisies sur catalogue par les colons, disparaissent progressivement, victimes de la spéculation foncière. La Maison des anciens combattants, inaugurée en 1950, reconnaissable à sa belle façade Art déco ornée d’un grand bas-relief qui suit la courbe du bâtiment au premier étage, est en piteux état. Quelques-unes résistent encore, témoins anachroniques d’une époque révolue. La Porte du troisième millénaire, de Pierre Goudiaby Atepa (1947-), érigée en 2001, est censée symboliser cet intense développement de la capitale. L’architecte sénégalais se distingue aussi l’impressionnant monument de la Renaissance africaine, également à Dakar.

Une jeune génération d’architectes voit aujourd’hui le jour au Sénégal, à l’image du studio AMKNA, qui a récemment été nominé au World Architecture Awards dans la catégorie futurs projets, pour le Centre culturel de Sedhiou. Ce bâtiment en brique offre une toiture aérée en tôle, dont la charpente ouverte se détache des murs d’enceinte, permettant donc à l’air de circuler. En son centre, une ouverture circulaire permet de récolter l’eau de pluie et crée une fontaine intérieure. Son toit à entonnoir est une citation directe des cases à impluvium casamançaise, et un hommage au génie local. Les ouvertures sur les façades, encadrées de bois, rappellent quant à elles fortement le parallélisme asymétrique.

Un patrimoine architectural en péril

Mal protégé par des règlements inadaptés, l’absence de crédits et une insuffisante prise de conscience, c’est l’ensemble du patrimoine architectural sénégalais qui est menacé de disparition. La tôle ondulée remplace progressivement la paille et le parpaing de ciment se substitue à la brique de terre crue.

L’apparition des climatiseurs marque l’abandon de la prise en compte des critères climatiques dans le vocabulaire architectural et la disparition des grandes hauteurs sous plafond, des vérandas, des persiennes, des claustras et des brise-soleil. Cela se remarque particulièrement dans les faubourgs de Dakar, où le modèle architectural dominant s’apparente à un cube entièrement recouvert de carrelage, flanqué de loggias aux formes improbables.

En bordure du désert, les bergers peuls se sédentarisent dans des maisons au confort incertain, mais assurément moderne, tandis qu’en Casamance, les cases à impluvium se comptent désormais sur les doigts d’une seule main. Les atteintes au patrimoine sont irréversibles et les architectes, chers au cœur de Senghor, en sont parfois les principaux acteurs. Au reste, l’école d’architecture de Dakar a fermé ses portes en 1991. La protection de l’Unesco reste dérisoire et il est désormais fortement question de placer Saint-Louis sur la Liste du patrimoine mondial en péril.