Montage d'une ger © treetstreet - Shutterstock.Com.jpg
Monastère d'Amarbayasgalant © Yury Birukov - Shutterstock.com.jpg
Blue Sky Tower © saiko3p - Shutterstock.com.jpg

Habitat nomade

En Mongolie, on ne parle pas de yourte mais de ger. Le montage de la ger suit toujours les mêmes étapes. Il faut d’abord installer « le plancher », puis le mobilier, en commençant toujours par le poêle ou foyer central qui doit rester perpétuellement allumé. La seconde étape consiste à installer les treillis concaves de lattes de bois de saule qui servent de « murs », en les déroulant tel un accordéon. Deux mâts, les bagan, sont ensuite placés de chaque côté du foyer afin d’y imbriquer la couronne centrale baptisée toono. Enfin, on ajoute des perches de bois de mélèze qui s’imbriquent, telles des baleines de parapluie, entre le toono et les murs en treillis. Cette étonnante structure autoportante est ensuite recouverte de plusieurs couches de feutre, puis d’un tissu blanc. La phase finale consiste à entourer le pourtour de la yourte de 3 rangées de ceintures faites de cordes de crin de cheval, et à ajuster l’ouverture pour l’évacuation de la fumée. La ger ainsi terminée mesure en moyenne entre 18 et 20 m2 et pèse 2 tonnes…. et pourtant il ne faut pas plus de 2 heures pour la monter ! Sa structure et son poids lui permettent de résister aux assauts des vents sans avoir besoin d’être fixée par des piquets… opération rendue de toute façon impossible lorsque les sols sont gelés. Une fois repliée, la ger est transportée en charrette ou en camion.

La ger est un univers en soi et tout y est régi par des règles immuables. L’orientation est primordiale. La porte est toujours orientée vers le sud. Le seuil, lui, est un espace hautement symbolique qu’il faut respecter… gare à celui qui le heurterait car il apporterait malheur sur toute la famille. À l’intérieur, le sud est l’espace de la jeunesse, tandis que le nord est le domaine des anciens, de même que celui des objets sacrés et offrandes (le khoïmoor y est l’espace le plus sacré). L’ouest y est réservé aux hommes et à la vie sociale, tandis que l’est est réservé aux femmes et aux objets quotidiens. La place honorifique réservée aux invités se situe au nord-ouest. Les bagan y font le lien entre le ciel (toono) et la terre (sol). Tel un cadran solaire, la ger est divisée en 12 parties dont chacune est reliée symboliquement à l’un des animaux du cycle astrologique. Les déplacements dans la yourte se font alors dans le sens du soleil. Les nomades sont également capables de déterminer l’heure du jour en fonction du glissement des rais du soleil sur les différentes parties de la ger. Cette dernière fait aussi l’objet d’une grande attention décorative. Ciselés, gravés, appliqués, cousus ou sculptés sur les palissades, les portes, les tissus et objets, les motifs décoratifs illustrent bien la position de la Mongolie au carrefour des cultures. Volutes, spirales, entrelacs, swastika, figures géométriques ou représentations animalières sont un étonnant mélange de cultures locale, chinoise, persane, indienne ou tibétaine. Le motif décoratif du seuil ne doit rien au hasard et il signifie littéralement « Puisse le bonheur ne jamais déserter cette yourte, et le malheur ne jamais y entrer. », tandis que les motifs en vague symbolisent l’océan qui menace d’engloutir quiconque y pénétrerait avec des intentions malveillantes. Le cercle est l’un des motifs phares de la culture mongole. Symbolisant l’infini, sa présence apporte une protection magique. Parmi les autres motifs souvent utilisés, notons : l’ölzii ou nœud du bonheur ; le khas tamga ou swastika, symbole du soleil et des forces cosmiques ; le galii khee ou motif aux 3 langues de feu illustrant la continuité du temps ; et enfin la corne d’abondance. En matière de couleurs, l’orange (soleil) et le bleu (azur) sont très souvent utilisés.

En parallèle de ces yourtes ou ger, les nomades utilisent également des tentes de structure et facture plus simples. La tente Maikhan est constituée de 3 perches, 2 placées verticalement et 1 placée horizontalement sur les 2 autres ; la structure ainsi obtenue étant ensuite recouverte d’une toile de tissu fixée au sol par des piquets de bois. La tente Tsatsar ressemble à une sorte de tipi ou hutte conique dont les supports verticaux sont en bois de mélèze et le revêtement en tissu. La tente Tsachir, elle, se distingue par son plan rectangulaire.

Remonter le temps

Les sites funéraires des élites du Xiongnu, premier empire fondé par les Mongols, témoignent de rites déjà extrêmement raffinés. Ces tombes se composaient généralement d’une terrasse de pierre rectangulaire placée au-dessus de la fosse, tandis qu’un passage était construit au sud de la structure. Les fosses pouvaient atteindre jusqu’à 20 m de profondeur. L’intérieur était aménagé en structures voûtées réalisées à partir de rondins de bois que l’on recouvrait ensuite de tapis décorés. Les Xiongnu ont d’abord vécu dans des tentes rondes ou des yourtes, avant d’établir d’authentiques villes protégées de murs d’enceinte et dont l’élément central était le Petit Palais. Les édifices étaient alors essentiellement réalisés en rondins de bois. Le site archéologique de Khuduu Aral est un autre fascinant témoin de cette évolution urbanistique. Les ruines de la cité d’Avarga y révèlent une organisation spatiale très hiérarchisée. Des pans du mur en terre semi-circulaire la protégeant sont encore visibles, tandis que subsistent quelques témoins du tracé originel des rues alors bordées de palais, temples, mais aussi forges, réservoirs et ateliers, tous ces édifices étant disposés selon leur degré d’importance.

Quelle que soit la période, les établissements urbains partagent des caractéristiques communes, en particulier l’architecture défensive. Les vestiges de la ville de Kara Balgasun fondée au début du VIIIe siècle conservent notamment une partie de la forteresse de 12 m et de sa tour de guet ; tandis que des vestiges du mur de boue de 4 m d’épaisseur entourant la ville de Bars-Hot fondée entre le Xe et le XIIe siècle sont encore visibles. Les vestiges de la célèbre Karakorum, capitale de l’Empire mongol, montrent comment l’urbanisme était pensé pour souligner la puissance du Grand Khan. Son palais, le palais Tumen Amugulang, était au cœur de la ville. Si trône et fontaine d’argent ont aujourd’hui disparu, vous pouvez encore y observer son ingénieux système de chauffage composé de conduites de fumée installées sous les planchers ! Parmi les grandes villes édifiées entre le XIIIe et le XIVe siècle, ne manquez pas Kondui et son incroyable complexe palatial construit sur une plateforme entourée de terrasses à 2 niveaux avec pavillons et piscines. Ce palais est le symbole de l’émergence d’une classe nobiliaire désireuse de se faire édifier des palais rivalisant avec ceux du Khan. D’une façon générale, la plupart des villes de l’Empire mongol, en particulier Oulan-Bator, se sont développées de façon concentrique, s’inspirant de l’organisation des campements militaires nomades. Les yourtes y étaient placées en cercle autour de celles des chefs en respectant le principe de « l’anneau ». La disposition en cercle s’avérait la plus efficace en cas d’attaque ennemie. Ainsi, avant de s’appeler Oulan-Bator, la capitale portait le nom d’Ikh Khuree, « le Grand Cercle ». De simple « cercle habité », elle s’est développée en un grand centre urbain mais possédant toujours de vastes espaces circulaires, tels le Züün Khuree (le Cercle de l’Est) où trônait le « Palais d’Or », et le Baruun Khuree (Cercle de l’Ouest) où subsiste une partie de l’ancien grand monastère de Gandan. À plus grande échelle, la ville respecte la même organisation spatiale que la yourte, temples et monastères étant orientés au sud, et le Palais du Gouvernement étant installé au nord, la partie la plus honorifique.

Architecture religieuse

Si les nomades mongols ont toujours opté pour un habitat temporaire, ils n’en ont pas moins, très tôt, cherché une forme de permanence dans l’architecture funéraire. Les stèles jalonnant les plaines en sont les témoins. Les plus anciennes, datant de l’âge de bronze, sont les « pierres aux cerfs ». Il s’agit de blocs de granit de 3 m de haut, toujours tournés vers l’est, et gravés de silhouettes de cerfs aux formes stylisées. Plus tard, ils ont également imaginé les « Babas », ou guerriers de pierre. Les Kourganes, eux, sont des tertres funéraires, facilement reconnaissables aux cercles de pierre qui les entourent, marquant la frontière entre le monde des vivants et celui des défunts.

La Mongolie s’est ensuite transformée sous l’impulsion du bouddhisme. Les premiers monastères n’étaient, au départ, que des temples-yourtes de bois et de feutre. À l’époque, le terme de khuree (cercle) était aussi utilisé pour désigner ces complexes monastiques dans lesquels les bâtiments étaient édifiés autour du temple principal, les yourtes des moines entourant l’ensemble des temples sur trois côtés, le sud étant réservé à l’entrée principale du complexe. Mais l’accroissement du nombre de fidèles a nécessité l’agrandissement de ces structures. Pour ce faire, on a d’abord augmenté le nombre de colonnes. À force d’agrandissement, les temples-yourtes se sont transformés en d’imposantes structures polygonales de plus en plus difficiles à monter et démonter. Pour faciliter ces étapes, on a alors opté pour des plans carrés ou rectangulaires. Puis, les temples de feutre se sont transformés en temples de brique et de pierre. Au carrefour des cultures et des empires, la Mongolie va alors développer une fascinante architecture religieuse, puisant aux sources des traditions chinoises, tibétaines et indiennes.

 À la tradition chinoise, elle va emprunter le principe des plateformes de brique ou de pierre ; la forme du toit recourbé dit « à queue de pie » revêtu de tuiles vernissées, souvent de couleurs, et orné de sculptures d’animaux mythiques protecteurs ; ou bien encore l’importance de l’axe central hiérarchisant les espaces. À la tradition tibétaine, elle emprunte l’emplacement des temples, édifiés le plus souvent sur des sites élevés et ensoleillés ; les murs non porteurs dits à fruit (dont l’épaisseur diminue progressivement pour devenir très fine en hauteur) et souvent peints en blanc ; la présence d’une salle d’assemblée ; le plan centré de certains temples ; et surtout la richesse ornementale des porches, piliers, entablements et plafonds. À la tradition indienne, elle emprunte la richesse structurelle et ornementale des stupas, ces édifices-reliquaires édifiés sur des plateformes, le plus souvent peints en blanc, et dont la forme n’est pas sans rappeler celle d’une cloche. Mais l’architecture religieuse mongole va également ajouter sa propre marque en privilégiant les grandes ouvertures et les cours espacées offrant un aspect moins compact et fermé que certains temples chinois ou tibétain ; et en ajoutant des motifs décoratifs typiques de la culture nomade. Parmi les monastères et temples à ne pas manquer, notons : le monastère d’Amarbayasgalant avec son organisation spatiale parfaitement hiérarchisée selon un axe Nord-Sud et son étonnant temple Tsogchin (temple principal) avec ses 108 piliers et son ingénieux système d’évacuation des eaux de pluie se faisant par l’intérieur de 4 colonnes puis sous le sol à travers les rainures de la pierre ; le monastère Baldan Bereeven édifié selon les pratiques chamaniques, géomanciennes et bouddhiques venues de Chine et du Tibet ; le monastère de Dachchoilin avec son temple en forme de yourte en bois au toit en forme de dôme et édifié sur une plateforme en pierre ; le monastère d’Erdene Zuu et ses 108 stupas ; ou bien encore le monastère de Gandan, au cœur d’Oulan-Bator, avec son temple principal à la structure en chapiteau supportée par 108 colonnes.

Époque moderne et contemporaine

Le grand mouvement révolutionnaire du début du XXe siècle entraîne une politique de répression/destruction sans précédent du bouddhisme. La plupart des 750 monastères du pays sont rasés (on ne préserve que les plus célèbres pour les vouer à des activités profanes), tandis que partout progresse l’architecture soviétique. Le classicisme stalinien est alors utilisé en abondance, notamment à Oulan-Bator. L’Opéra, avec sa façade rouge et blanche, tout en symétrie, frises et colonnades ; l’Université avec sa cour à portiques aux colonnes et chapiteaux stylisés ; ou bien encore le Théâtre national avec sa façade rose saumon, son porche à frontons et ses colonnades, sont les grands représentants de ce classicisme à la mode soviétique. Certains bâtiments se feront ensuite les représentants du brutalisme soviétique, tel le bâtiment du Comité des Communications Radio et Postales avec son étonnante tour pyramidale. Les années 1960 marquent, elles, l’alignement définitif de la Mongolie à l’URSS et s’accompagnent d’une bétonisation sans précédent. Partout dans les périphéries se dressent des barres d’immeubles de béton, tandis que des villes nouvelles entièrement composées de tours de béton voient le jour. Dans les années 1970, certains projets tentent de créer un lien entre cette architecture soviétique et les traditions locales, comme le Musée ethnographique d’Oulan-Bator aux allures de palais mongol, mais ces tentatives sont rares et les palais soviétiques aux lignes modernes et monotones tel le Palais de la Culture continuent de voir le jour.

 À partir des années 1990, le pays s’occidentalise à grands renforts de tours et buildings. La masse rectangulaire de verre de l’hôtel Chinggis Khan ; la tour Bodhi composée d’un bâtiment classique de 4 étages et d’une grande tour ; la tour Narantuul ; et plus récemment la Blue Sky Tower qui domine la capitale du haut de ses 105 m de verre et d’acier aux reflets bleutés, comptent parmi les plus célèbres. S’ils se sont rapprochés des centres urbains, les nomades n’en continuent pas moins de vivre dans des yourtes. Malheureusement, le gouvernement ne fait rien pour leur permettre de s’installer de façon saine et pérenne et cela engendre la création de véritables bidonvilles souvent mal, voire pas reliés aux différents réseaux urbains, et faits d’enchevêtrements de rues de terre bordées de palissades de bois derrière lesquelles se cachent des yourtes et des constructions basses en tôle et ciment. En parallèle, les anciennes banlieues soviétiques de béton souffrent d’une dangereuse vétusté. Des plans de réhabilitation sont à l’étude, mais face à l’ultralibéralisme et à la pression des complexes miniers qui partout s’approprient la terre, forçant les populations nomades à venir grossir les bidonvilles et banlieues périphériques, la situation ne semble guère aller en s’améliorant. Pourtant, face aux enjeux climatiques qui nous menacent, nous devrions prendre exemple sur le mode d’habiter des nomades qui ne s’imposent jamais à leur environnement…