Le Pape François © AM113 - Shutterstock.com.jpg
shutterstock_1722090643.jpg

La spiritualité des peuples premiers

Depuis des temps immémoriaux, les natifs américains ont développé un système de croyances magiques et religieuses profondément enraciné dans la grande majorité des cultures indigènes. Terre de légendes, la Patagonie inspira ses premiers habitants en proie à une nature vivante et un territoire hostile. Ils basèrent leur cosmologie en lisant la carte du ciel, en se référant aux phénomènes naturels et en perpétuant le souvenir des Anciens. Les Alakalufs croyaient en des divinités telles que Ayayéma (les tempêtes et le vent), Kawtcho (l’étrangleur de nuit), Mwono (les avalanches)… Les Yamanas, eux, croyaient en un être suprême, appelé Watauinewa (l’Ancien), créateur de toutes choses au monde ; bien d’autres divinités et quantité d’esprits peuplaient leur panthéon sacré. L’un des rites d’initiation, les jeunes hommes et les jeunes acquéraient tous les droits de l’adulte (chasser, se marier, fonder une famille), ce qui assurait une certaine cohésion sociale. Les Mapuche, en particulier, continuent de s’entretenir intimement avec leur culture ancestrale. Se familiariser avec leur système de croyances, c’est donc replonger aux origines d’un monde riche et préservé, bien présent avant la Conquête espagnole. Chez les Mapuche, l'admapu est l’ensemble des symboles, pratiques et croyances traditionnels. Selon eux, ils furent créés par Nguenechen, un dieu aux quatre composantes :  el Anciano (fucha), la Anciana (kude), el Joven et la Jovena. Ngunechen. C’est le dieu créateur à l’origine de toutes choses. Selon leurs croyances, les Mapuche sont entourés d’esprits caractérisés par les esprits ancestraux (wangulen), les esprits de la nature (ngen) et les mauvais esprits (wekufe). Pour comprendre la relation entre la culture mapuche et la nature, il est important de comprendre l’idée d’un être suprême bienfaisant, qui aide et protège l’être humain, luttant contre les forces du mal et de déterminer l’importance du concept de ngen, l’esprit de la nature qui maintient l’équilibre cosmique et protège la faune et la flore. Figure importante de la culture mapuche aux côtés du lonko (chef), le chef religieux est le porteur des légendes, des croyances ancestrales et des pratiques spirituelles. Il est toujours représenté par son rehue (un totem) et son kultrun ou kultrung, (un tambour). Reconnaissable sur le drapeau mapuche, la forme circulaire du kultrung symbolise l’infini du monde. La croix sur sa surface indique les espaces dans lesquels le monde est divisé et la partie centrale contient le noyau et la force qui maintient l’équilibre entre les espaces. Le machi est un homme ou une femme avant tout estimé(e) pour ses talents de guérisseur. Il est le grand connaisseur d’un rite complexe d’action thérapeutique appelé Machitún, une cérémonie destinée à guérir les patients du « mal » qui l’ont provoqué. Les machi éliminent les esprits maléfiques, les wekufe, au moyen de prières chamaniques, de percussions de tambour, de transes, de massages, d’infusions d’herbes médicinales et de danses. La communication rituelle établie entre le machi et son esprit bienfaiteur commence au crépuscule et se termine à l’aube. Cette cérémonie est encore vivace et continue de s’effectuer dans plusieurs communautés d’Araucanie. Cependant, la forte influence catholique et pentecôtiste a contrebalancé les croyances ancestrales : aujourd’hui les croyances mapuches sont construites sur le principe du syncrétisme, un concept introduit par l’évangélisation chrétienne (une sorte de fusion entre le christianisme et la cosmologie andine). Fins connaisseurs de la forêt, des plantes médicinales et des traditions, ils disparaissent aujourd’hui plus rapidement que les forêts elles-mêmes.

L'évangélisation

Les conditions de l’évangélisation de la Patagonie, et plus généralement de l’Amérique du Sud, expliquent le christianisme aujourd’hui présent dans toute la région. Mais pour mieux comprendre le présent, il est nécessaire de faire un saut dans le passé. À la fin du XVe siècle, Christophe Colomb se dirige vers l’Amérique au même moment où les Rois Catholiques sont engagés dans une entreprise poussée d’évangélisation et de colonisation (avec l’Afrique et Grenade notamment). Colomb signe avec les Rois Catholiques les capitulations de Santa Fe, autrement dit il est institué d’un pouvoir politique qu’il est sensé déployer dans les lieux qu’il va découvrir. Il est également rebaptisé Christophoros : « celui qui porte le Christ ». Un événement lourd de sens qui annonce la suprématie ibérique et la volonté de porter la religion catholique. Après une Conquête lente et douloureuse, Espagnols et Portugais vont garder la quasi-totalité du continent sud-américain où ils ont réussi à s’implanter notamment « grâce » à l’Église qui a joué un rôle de colonisateur. En effet, l’Église, dans l’optique de ce que l’on pourrait appeler du mécénisme, a soutenu la colonisation. Plusieurs missionnaires s’installent alors dans le sud du Chili et de l’Argentine afin de procéder à la « purification ethnique » des peuples. Plusieurs natifs américains refusèrent de se soumettre à ce système d’asservissement, plus couramment appelé l’incomienda. La Couronne espagnole fit donc appel aux Jésuites à la fin du XVIe siècle afin d’instruire les autochtones dans la foi. Ils arrivèrent tout d’abord en 1593 à Santiago puis les missions se dispersèrent de Chiloé à Nahuel Huapi en passant par les archipels de la Terre de Feu.

En 1875, les premiers missionnaires salésiens se mettent en route pour ces contrées reculées sous la direction de Don Cagliero. Les Salésiens avaient d’ores et déjà fondé un Oratoire à Buenos Aires, servant d’asile pour les prêtres. Dans la pampa argentine, ils s’affairent à convertir leurs premiers néophytes, étudiant les langues et préparant au mieux le terrain de l’évangélisation. Ils s’établirent à la fin du XIXe siècle aux abords du Río Negro avant de s’enfoncer un peu plus en terre patagonne : ils réussirent à s’implanter au niveau du Río Santa Cruz avant de définitivement lever une mission sur les bords du détroit de Magellan et les archipels de la Terre de Feu. Apparemment bien déterminés à prêcher leurs bonnes paroles, les salésiens n’interprétèrent pas leurs nombreuses péripéties ratées comme signe de renoncement : malgré le climat rigoureux, ils persévèrent, rassemblent plusieurs milliers d’individus, essentiellement des Selknam, mais aussi des Alacalufes et des Yaganes, dans une réduction installée en 1889 sur l’île Dawson et baptisent 20 000 autochtones. Il s’ensuit alors des mariages, des scolarisations et la construction d’orphelinat et de chapelles. Parmi les Salésiens, on distingue notamment le missionnaire et explorateur Alberto Maria de Agostini. Sensible à l’agonie des peuples autochtones qui subissent alors la vague colonisatrice, il leur consacra une grande partie de sa vie, dirigea plusieurs expéditions et écrit plusieurs ouvrages. Les religieux missionnaires mettent également en place des réductions (reduccionnes) pour regrouper les individus. Cet abandon du nomadisme faisait d’eux des brebis plus dociles et permettait de les protéger de la violence des colonisateurs qui les décimaient pour les vols de moutons élevés sur les terres où ils évoluaient depuis toujours. En colonisant des territoires, les missionnaires se sont substitués aux souverains locaux et prennent le pouvoir sur ses sociétés dans lesquelles se développent des églises, des vice-royautés, des écoles, des ordres religieux.... Les bouleversements furent aussi d’ordre culturel par l’adoption d’un nom chrétien pour les baptisés, la séparation des sexes, l’obligation de demeurer dans un logement clos, au lieu de se déplacer librement dans les espaces immenses de la Terre de Feu. La nouvelle vie se résume à la formule latine « ora et labora » (« prier et travailler »). Finalement, en dépit de l’objectif de « protection » des autochtones, l’expérience fut dévastatrice puisque, lors de la fermeture de la mission en 1911, il n’en restait plus que vingt-cinq sur le millier qui y avaient été établis. La protection des futurs chrétiens par les curés causa donc leur extinction, un marasme tragique au prétexte de les éduquer.  Certaines populations revendiquent d’avoir préservé une partie de leurs croyances, même si, souvent, il s’agit d’un héritage mélangé à des croyances catholiques. Un peu plus de 400 ans après les débuts de l’évangélisation, l’élection du premier pape latino-américain fut une reconnaissance de cette chrétienté peuplée de communautés indigènes.

L'influence de l'Église

De nos jours, la religion dominante de l’Argentine et du Chili est la religion catholique bien qu’il existe une totale liberté de culte. En Argentine, la religion officielle est la religion catholique apostolique et romaine, adoptée par 92 %, le protestantisme (moins de 3 % de la population), le judaïsme, l’islam et la religion orthodoxe grecque ou russe sont également pratiqués dans le pays. Le Chili n’a pas de religion d’État, mais est fortement marqué par l’influence de l’Église catholique (75 % de la population est catholique). Les divers courants protestants (évangéliques notamment) ont pris une importance considérable ces dernières années et représentent environ 15 % de la population. Pendant longtemps, la dictature de Pinochet, pratiquant convaincu, n’a pas un instant cherché à changer la façon de voir les choses. L’Église donne son avis sur la politique, l’économie et le social, et ce, notamment à travers son plus haut représentant, l’archevêque de Buenos Aires Mgr. Bergoglio, devenu le pape François ! Même si la liberté de culte est reconnue depuis 1853 en Argentine et 1925, la réalité des deux pays se retrouve bien évidemment en Patagonie, plus conservatrice : en discutant avec les habitants, on se rend vite compte que la société reste très imprégnée de cette culture chrétienne. Et c’est tout récemment qu’une certaine liberté a gagné les sphères politiques : jusqu’en 1994, le président argentin devait être membre de l’Église. On appelle ce courant le destape (imaginer un bouchon de bouteille que l’on fait sauter !) : un courant plus libertaire circule un peu partout, surtout chez les jeunes. De plus, il est important de noter que le christianisme est ici le résultat et le mélange de différentes croyances locales avec la Bible. On retrouve ainsi pas mal de superpositions entre des saints et des figures andines. Souvent, le long des routes, on rencontre les fameux « Santos » porteurs de légendes et de croyances propres à la Patagonie. On distingue notamment le Gauchito Gil, un Robin des Bois des temps modernes, son autel est rouge, recouvert de drapeaux et de foulards de la même couleur.