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Forêt dans Parc National Tierra del Fuego © Oleg Senkov - shutterstock.com.jpg
Guanacos, Parc national Torres del Paine © IvanKonar - iStockphoto.com.jpg
Manchot de Magellan © Andrey Zheludev - shutterstock.com.jpg

La Terre des Géants

Elle était la terre des géants patagons, les Tehuelche, mais c’est aussi l’empreinte d’autres géants disparus : les dinosaures. Giganotosaurus, argentinosaurus, patagotitan... La Patagonie collectionne les superlatifs ! C’est en 1882, dans la région de Neuquén, que furent découverts les premiers ossements de dinosaures en Patagonie. Un an plus tard, un colon du nom d’Herman Eberhardt découvre alors une caverne imposante dans les environs de Puerto Natales. À l’intérieur, il met au jour une toison rousse, épaisse, incrustée d’osselets. Le hasard amène un scientifique suédois, Otto Nordenskjöld, dans les parages. Celui-ci certifie alors la découverte d’un animal préhistorique herbivore, appelé mylodon darwinii (ou paresseux géant, aussi corpulent qu’un bœuf) et disparu il y a plusieurs milliers d’années. Des paléontologues explorent alors la fameuse caverne et mettent à jour des ossements bel et bien réels de l’hippidum, l’ancêtre du cheval ; d’autres preuves attachées au mylodon sont également dénichées. Puis, ce n’est véritablement que dans les années 1990 que la Patagonie se révèle être un gisement de fossiles incroyables. À la fin du XXe siècle, en moins de dix ans, le No Man’s Land patagon est devenu le berceau de fouilles spectaculaires révélant alors une multitude d’espèces de dinosaures jusqu’alors inconnues. C’est notamment dans la petite localité d’El Chocon, surnommée depuis « La Vallée des Dinosaures », que des traces d’iguanodons, des carnivores de quatre mètres de haut, se sont imprimées dans la boue il y a environ 500 millions d’années. Grâce à l’érosion, le sol imprimé de fossiles a fini par faire resurgir les entrailles de son passé. En juillet 1993, un mécanicien trébuche sur un énorme fémur de 1 m 43 ayant appartenu au plus grand carnivore de la planète : le giganotosaurus, un monstre de 14,50 mètres et de 8 tonnes avec des dents qui pouvant atteindre jusqu’à 21 centimètres. Par la suite, l’argentinosaurus fut reconnu comme le plus grand herbivore du monde avec ses 40 mètres de long et son poids dépassant les 100 tonnes. Puis, rebondissement au cours de l’année 2012 dans la province de Chubut lorsqu’un ranch signale la présence d’ossements fossilisés sur ses terres. Une fois arrivés sur place, les paléontologues font une étonnante découverte : 150 fossiles ont été déterrés et pas moins de six animaux identifiés. Il y a environ 100 millions d’années, ces jeunes titanosaures furent l’espèce de dinosaures terrestres la plus grande jamais identifiée à ce jour. Son nom : patagotitan mayorum. Après plusieurs années d’études, l’équipe de paléontologues officialise son nom en 2017 : le dinosaure pesait près de 70 tonnes (soit le poids de 10 éléphants), mesurait jusqu’à 37 mètres et atteignait 8 mètres au garrot. Son appellation est bien sûr un hommage à la région de Patagonie où il a été découvert, mais aussi un clin d’œil à la famille Mayo, propriétaire du ranch, qui a accueilli l’équipe de paléontologues durant les fouilles. Pour l’instant, les raisons pour lesquelles ces dinosaures étaient si grands sont encore mal connues, des travaux et études à venir vont se consacrer à de nouvelles hypothèses sur l’évolution des dinosaures.

Forêts millénaires et bois pétrifiés

Dans la Pampa, les arbres sont rares, même si les Argentins ont tenté d’importer des espèces résistantes à la sécheresse, comme l’eucalyptus, le sycomore et l’acacia. Bien que la steppe présente une flore misérable, elle est toutefois témoin du passé de la vie sur Terre et de la richesse géologique de la région. Les forêts pétrifiées méritent particulièrement le coup d’œil tant elles sont rares et précieuses. Phénomène géologique très intéressant, elles rapportent le passé le moins explosif de la région : il y a des millions d’années, à l’époque du jurassique et donc des dinosaures, des arbres géants de 90 mètres de haut peuplaient la région. La Cordillère des Andes ne s’était pas encore formée et les vents de l’océan Pacifique portaient alors des pluies abondantes. À l’époque du crétacé, la Cordillère des Andes surgit des entrailles de la terre accompagnée de vents de plus de 300 km/h. Les arbres sont alors déracinés par la violence des tempêtes et les secousses terrestres, les éruptions volcaniques répandent leurs laves et leurs cendres. Enterrés vivants, les arbres s’enfoncèrent dans un sol boueux où la cendre se mélangea aux minéraux provenant de la pluie et du sol. Prisonniers de la terre, les troncs des arbres furent cristallisés par la silice qui pénétra à l’intérieur de chacune de ses cellules. La matière organique se décomposa pour laisser place à un bois fossilisé par la pierre. Bien qu’engloutis, ils finirent par remonter à la surface grâce au vent et à l’érosion. Ces forêts pétrifiées se retrouvent dans les provinces Santa Cruz, de San Juan et de la Rioja. Parque Nacional Monumento Natural Bosques Petrificados sont les plus grands arbres pétrifiés du monde. Dans les steppes de Patagonie atlantique, seuls des buissons herbeux (coirón) et quelques graminées résistent à la rudesse du climat. Le plus caractéristique des buissons est le calafate qui a donné son nom à la ville. Puis, plus on monte en altitude, plus le relief change. Le coigüe (Nothofagus dombeyi) commence à apparaître ainsi que, le lenga (Nothofagus pumilio), le roble (Nothofagus obliqua), une variété de chêne, et le ñirre (Nothofagus antartica). Espèce dominante, le Nothofagus est une sorte de hêtre (on sait depuis le XIXe siècle qu’il n’est pas identique au hêtre de l’hémisphère Nord), dont les autres régions de peuplement sont la Nouvelle-Zélande, la Tasmanie, l’Australie et la Nouvelle-Guinée. Du côté de la cordillère des Andes, en « Patagonie verte » (qui correspond notamment aux régions situées à nord de Puerto Montt au Chili), l’emblématique pin Araucaria (confiné à une zone allant du volcan Antuco au volcan Lanin) fréquente le cyprès de la cordillère (Librocedrus chilensis). Dans ces forêts dites valdiviennes, le climat s’avère pluvieux (140 cm annuels à Temuco, 175 cm à Puerto Montt, 245 cm à Valdivia), ce qui rend propice le développement de la végétation. On trouve notamment le mañio hembra (Podocarpus nubigenus), le mañio (Podocarpus salignus), le mañio macho (Saxegothaea nubigenus). De l’autre côté de la cordillère et à la même latitude, en Argentine, on trouve également de magnifiques forêts de conifères (sapins, cyprès, cèdres,) et d’alerces (Fitzroya cupressoides, abondant dans la région de Puerto Montt au Chili et dans la province du Chubut en Argentine), mais surtout les beaux arrayanes, dont la seule concentration au monde se trouve dans les environs de Nahuel Huapi. Ils auraient inspiré les décors du film « Bambi » de Walt Disney). Certains arbres, comme le mélèze, auraient ici plus de 3 000 ans ! Certains sous-bois sont tapissés de fraisiers, d’amancays, de copihué, la fleure nationale du Chili, ou de calafates. Résistantes aux étés froids et aux vents violents, les forêts s’étendent jusqu’au sud où elles sont parfois impénétrables, gardiennes d’une flore encore peu connue et étudiée. Ces forêts magellaniques subpolaires renvoient aux contes de fées et aux fictions les plus bucoliques, elles sont dites « primaires » c’est-à-dire dire non touchées et exploitées par l’homme. On y trouve notamment le coigüe, le roble de Chiloé (Nothofagus nitida) et le roble de Magallanes (Nothofagus betuloides), ainsi que le luma et le canelo.

Une faune sauvage et endémique

Dans l’ensemble des hauts plateaux de la pampa argentine, la végétation est misérable. Cependant, certains animaux en ont fait leur lieu de prédilection comme le guanaco, un camélidé, cousin sauvage du lama, devenu emblématique de la région. Il mange peu, et la diète des graminées australes lui convient amplement ; animal grégaire, il se meut en groupes de 5 à 20 individus : le plus souvent il s’agit soit d’un mâle et de son harem, soit d’un groupe de jeunes mâles (appelés chulengos) qui, un jour, se mesureront aux « chefs de tribus ». Les naissances ont lieu en hiver, la femelle ne mettant bas qu’un seul petit et la gestation dure onze mois. Quand le printemps arrive, après avoir tété environ trois mois, les jeunes peuvent enfin se nourrir par eux-mêmes. On estime à près de 7 millions d’individus la population de guanacos en Patagonie à l’arrivée des colons et des moutons ; aujourd’hui, on n’en compte pas plus de 600 000). Dans la pampa, on trouve également le ñandú (autruche grise patagonne), le renard gris, rarement effarouché par la présence humaine, la moufette, le mara (appelé un peu à tort lièvre de Patagonie alors qu’il a été importé par les Européens au XXe siècle). Les curieux assisteront au plaisant spectacle des tatous nains lorsqu’ils creusent leur terrier dans le sable, mais aussi des tinamous en train de racler le sol, des phrygiles. Les ornithophiles ne manqueront pas de lever la tête vers le ciel afin d’admirer les caracaras chimango, des caracaras huppés, des urubus à tête rouge, des busards de Buffon ou encore des busards bariolés. Dans les lagunes de l’intérieur, réserves d’une abondante avifaune, le cygne à cou noir sympathise avec des grèbes et des canards, des hérons et des aigrettes. Enfin, sur la côte Atlantique, le ballet des grands mammifères marins a lieu vers la péninsule de Valdés : baleines, otaries (otarie à crinière et otarie à fourrure), phoques, lions et éléphants de mer, dauphins, orques... D’ailleurs, parmi ces derniers, on trouve le dauphin de Commerson, un cétacé noir et blanc, qui fait sans doute partie des plus jolis mammifères marins. Des milliers de conures de Patagonie (perruches de Patagonie) nidifient dans les falaises de Punta Bermeja. Les plages retentissent des cris et des chants des mouettes, goélands, chionis, brassemers, skuas, pétrels, sternes... Un spectacle superbe, à ne pas manquer. En Patagonie andine, on trouve le plus petit des cervidés du monde. Il se distingue en deux espèces : le pudú du nord et celui du sud. Le premier vit au nord de la cordillère des Andes et a un pelage brun foncé orangé sur le cou. Le pudú du sud vit dans les forêts denses de Patagonie chilienne et argentine, il peut monter à de fortes altitudes au-delà de 3 000 mètres. Son pelage le protège davantage du froid et est entièrement brun-roux. Cependant, il reste discret et il est très difficile d’en croiser. L’espèce a été classée comme espèce vulnérable par l’UICN, elle a presque disparu d’Argentine suite à une chasse excessive de l’homme et à cause de la déforestation.  Vous aurez également peut-être le privilège d’apercevoir un huemul, ou cerf du Sud andin, espèce en danger d’extinction (on peut en croiser du côté d’El Chalten). En Terre de Feu, on peut se demander comment les animaux ont pu traverser le détroit de Magellan pour gagner cette île ; peut-être comme les Onas, lors d’une période glaciaire, et quand l’on peut supposer que l’île était reliée au continent par un mince cordon de glace. Certains animaux, toutefois, n’ont pas fait le déplacement, comme le mara ou le puma ; d’autres ont été introduits, comme le lapin, le renard gris (zorro), le vison, le rat musqué ou le castor ; d’autres sont natifs ou sont venus du continent : le guanaco, le renard rouge, les loutres, certaines espèces de rats. Aujourd’hui, un problème est posé par le grand nombre de castors qui construisent des barrages pour planter leur hutte sur la paisible étendue d’eau ainsi obtenue, inondant la forêt alentour et détruisant ainsi de précieuses essences natives. Lions de mer et dauphins composent l’essentiel de la faune marine, que l’on retrouve plutôt le long des canaux du Sud fuégien. Un très grand nombre de truites a été introduit par l’homme dans les rivières. Morue, lieu, mulet, poissons de roche, calamar ou la centolla (araignée de mer ou crabe géant) s’en donnent à cœur joie vers le large. En Terre de Feu, 197 espèces d’oiseaux sont représentées. Les spécimens les plus impressionnants sont bien sûr l’albatros hurleur et le condor des Andes. Mais l’on trouve aussi flamants roses, perruches, hiboux, aigles, faucons, éperviers, oies bernache, colibris, moineaux, ibis (son arrivée annonce le printemps), martins-pêcheurs... Près de la mer, huîtriers, canards vapeur (ainsi appelés, peut-être, parce qu’ils sont trop lourds pour s’envoler et qu’ils battent des ailes à la surface de l’eau, évoquant ainsi les roues des bateaux à vapeur), cormorans, sternes, skuas, labbes, chionis, manchots de Magellan, gorfou sauteur... les oiseaux fourmillent. Les puffins géants, oiseaux également très emblématiques de Patagonie, font des concours de vol plané avec l’albatros à sourcils noirs.

Des animaux déclarés Monument National

Parmi toute la biodiversité du territoire, on rencontre surtout quelques animaux endémiques, c’est-à-dire qu’ils n’existent nulle part ailleurs sur la planète ! Des oiseaux aux mammifères marins en passant par les animaux terrestres, la Patagonie n’est pas avare de surprises sur la terre comme dans les cieux ! Du côté des fjords chiliens et de la côte atlantique argentine, il est possible de rencontrer une grande variété de mammifères marins dont l’emblématique baleine : baleine bleue, baleine à bosse, baleine franche, rorqual commun, orque, cachalot... Reines des océans, elles font partie d’une faune protégée, et la baleine franche fait notamment l’objet d’un programme de conservation particulier : déclarée Monument naturel Ballena Franca Austral, elle est protégée depuis 1984 en Argentine. Ce mammifère marin de 12 ou 13m de longueur peut peser entre 30 et 40 tonnes à l’âge adulte. Sa tête occupe environ un quart de la totalité du corps ! Elle s’observe notamment du côté de la péninsule de Valdès où elles viennent mettre bas d’août à octobre. Déclaré Monument National en 1982, le Manchot de Magellan n’est pas des plus habiles sur terre, mais, sous l’eau, c’est un virtuose ! Il peut atteindre 25 km/h en pleine course. Les couples se forment en septembre, et les œufs sont pondus un mois plus tard... puis il reste encore quelque 40 jours d’incubation ; ainsi, vers fin janvier, les petits manchots, pesant environ 1 kg, entament leur dure vie de nomade. Ils sont la proie de multiples animaux, comme les renards ou les goélands. Seulement 10 % des petits manchots parviendront au bout de leur première année. En février et mars, les manchots perdent leurs plumes et ne peuvent se lancer dans la mer, ce qui leur pose un gros problème d’alimentation ; de fait, en avril, quand ils se parent d’un nouveau plumage, ils sont bien maigres. C’est alors l’heure des grandes migrations vers la haute mer et l’hibernation. Parmi les sites d’observation privilégiés, citons du côté chilien la Pingüinera Seno Otway, près de Punta Arenas, et en Argentine l’Isla Yécapasela, dans les environs d’Ushuaia, et la réserve de Punta Tumbo, au sud de Trelew. La plus grande colonie se trouve au « Monumento Natural Los Pingüinos » où vivent 60 000 manchots. En Argentine, deux espèces de huemuls, cervidé typique des Andes, ont été érigées en monuments nationaux pour éviter leur extinction. Ce petit cervidé descend des hauteurs andines vers les vallées en hiver, et y remonte dare-dare en été. Son pelage est de couleur marron, ses yeux sont brillants, ses oreilles sont assez grandes. Chassé impunément pendant le XXe siècle par les hommes ou par les chiens, il est en voie d’extinction à l’échelle de la planète. Aujourd’hui, plusieurs parcs nationaux essaient d’assurer sa survie, en particulier le Parc national Patagonia et le Parc national Pumalin, créé à l’initiative de l’entrepreneur Douglas Tompkins. De manière générale, tout ce travail commence à porter ses fruits : disparu dans plusieurs zones de Patagonie depuis les années 1990, le puma a fait son grand retour et s’impose aux côtés de nombreuses autres espèces aujourd’hui classées Monument National.