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Au temps des missions

Les Espagnols marquèrent la région de leur étonnante architecture d’adobe dont les missions et les presidios sont les grands représentants. Les missions se caractérisent par un plan rectangulaire où domine une grande cour centrale autour de laquelle s’organisent l’église, les ateliers, ainsi que le convento, bâtiment à arcades abritant les logis des prêtres. Reconnaissable à son clocher (campanario), l’église est d’’une grande simplicité, sa façade étant souvent seulement rythmée par des niches ménagées dans le pignon afin d’accueillir les cloches. Les murs d’adobe (le plus souvent chaulés de blanc) pouvant atteindre jusqu’à 1 m d’épaisseur et les toits de tuiles vernissées roses ou rouges en saillie assurent ombre et fraîcheur. A l’intérieur, les charpentes révèlent toute la maîtrise du bois, en particulier le séquoia présent en abondance dans la région, dont les poutres imposantes sont fixées par des lanières de cuir. La Mission Dolores est le plus ancien bâtiment de San Francisco, et l’une des plus belles missions de Californie. Ne manquez pas non plus la mission San Francisco Solano de Sonoma et la mission San Carlos Borromeo de Carmelo à Carmel-by-the-Sea. Les presidio, eux, sont des forts militaires. Celui de San Francisco illustre bien l’évolution de l’architecture défensive, passant de simple camp fortifié aux bâtiments d’adobe, à une véritable base militaire aux édifices de bois puis de brique et enfin de béton. A Monterey, la Larkin House, encore d’adobe et de séquoia, marque un tournant en matière d’habitat domestique avec sa structure à étages et balcons, sa véranda en façade, ses fenêtres à double vitrage et son toit à bardeaux… autant d’éléments liés à l’influence anglo-saxonne qui se lit également dans un usage toujours plus fréquent de la brique. Ce style mixte, baptisé Monterey Colonial, est très présent dans le Monterey State Historic Park.

La Ruée vers l’Or

La Ruée vers l’Or a vu naître d’innombrables « villes champignons » au style baptisé boomtown… comprenez des villes construites en moins de temps qu’il n’en faut pour le dire ! Les règles de construction étaient toujours les mêmes : on construisait d’abord un bâtiment de plan carré en bois avec un ou deux étages et un toit presque plat pour atténuer les pertes d’espace, puis on y ajoutait une sorte de façade postiche se déployant au-delà de la limite du toit, médaillons, créneaux et gradins venant orner les pignons. Aujourd’hui beaucoup de ces villes sont devenues des ghost-towns, la plus célèbre étant celle de Bodie, étonnant mélange de brique et de bois. Le quartier historique d’Old Sacramento conserve lui aussi de superbes exemples de cette architecture avec ses 3 blocs parfaitement restaurés comprenant des trottoirs en bois surélevés et couverts, des immeubles à frontons et bien sûr… des saloons ! Cette fièvre de l’or a également bouleversé San Francisco qui a hérité de cette période son surnom d’Instant City passant en l’espace de quelques mois d’une centaine d’habitants à des milliers.

Mais cette transformation ne s’est pas faite sans difficulté, la ville s’étant développée sur un terrain marécageux. Au départ des planches de bois étaient jetées en travers des rues pour les rendre praticables, tandis que les matériaux les plus divers étaient utilisés pour remblayer les voies de communication et créer une jetée menant aux centaines de navires attendant dans le port. La ville s’est ainsi progressivement avancée sur la mer, pour finir par encercler les navires laissés à l’abandon dans la crique (certains de ces navires ont même été transformés en habitation !), tandis que les collines se peuplaient de maisons. Pour tenter de contrer ce développement quelque peu anarchique, les autorités décidèrent d’appliquer à la ville un plan en damier… mais appliquer un plan d’une telle rigueur géométrique à un relief aussi divers et escarpé crée des situations pour le moins ubuesques. Voilà comment la ville a vu naître ses célèbres rues aux vertigineuses inclinaisons et aux volées d’escaliers plus sûres que des pentes lisses !

Boom architectural

Le XIXe siècle est l’une des périodes les plus fascinantes de l’histoire architecturale de San Francisco. C’est de cette époque que datent les « Old Painted Ladies », ces maisons en bois aux styles les plus variés, suivant la grande tradition victorienne. Ces maisons sont indissociables d’une technique de construction standardisée alors très répandue : la balloon-frame ou charpente-ballon, structure légère en planches servant d’armature sur laquelle sont fixés de larges panneaux de bois à leur tour recouverts de crépi ou de bardeaux, l’ensemble de la structure reposant sur des fondations en brique. Tours, hautes cheminées et toits aux formes irrégulières caractérisent les maisons Queen Anne dont la Haas Lilenthal House est la plus célèbre représentante ; les fenêtres d’angle en rotonde sont très présentes dans les maisons de style italien ; le gothique revival fait la part belle aux baies géminées et créneaux ; tandis que le style Eastlake souligne la verticalité par un recours à d’étonnants ornements de bois préfabriqués. Dans une ville qui imposa l’usage de la brique dans son quartier des affaires ainsi que la mise en place de volets et rideaux de fer pour se prémunir des incendies, on comprend aisément que ces maisons de bois aient été reléguées dans les collines. Mais qu’importe, puisqu’avec l’avènement des légendaires Cable Cars, voilà la ville aux collines presque aplanies ! Nob Hill et Liberty Hill regorgent de ces chefs-d’œuvre victoriens.

Ce XIXe siècle est aussi celui de la création des deux grands campus de la ville : Berkeley et Stanford. Le premier fut longtemps surnommé « la Nouvelle Athènes de l’Ouest » avec ses édifices néoclassiques monumentaux longeant des axes tracés au cordeau ; tandis que le second, avec ses bâtiments en gré local couvert de tuiles rouges s’organisant autour de cours à arcades, s’inspirait des missions. Chef-d’œuvre d’architecture paysagère, le Golden Gate Park est l’un des plus grands espaces verts urbains au monde. En 1894, ce dernier accueillit la Midwinter Fair, qui s’accompagna de la création de 37 pavillons et jardins internationaux, et de la construction d’une serre dont le dôme de verre multicolore est un chef-d’œuvre de l’architecture victorienne. L’achèvement de la ligne Transcontinentale termine de désenclaver la ville qui voit encore accroître sa population et sa richesse comme en témoignent les belles demeures telles la Gibbs House et la Brown House imaginées par Willis Polk ; ou bien encore la Bank of California inspirée du Parthénon. Mais le plus impressionnant témoin de cet éclectisme est le California State Capitol de Sacramento, dont la coupole néoclassique s’élève à 64 m. La fin du XIXe siècle est également marquée par l’avènement des premiers gratte-ciel de San Francisco dont le Mills Building à la façade habillée de brique imaginé par Daniel Burnham est le doyen.

Reconstruire

Le tournant du siècle est marqué par une quête d’identité architecturale, la ville et sa région tentant de trouver le juste équilibre entre influences européennes et traditions locales. Le style Mission Revival est alors très apprécié. Pureté des volumes, pignons incurvés, murs chaulés de blanc et élégantes arches caractérisent ces édifices. Le campanile du Mills College inspiré des clochers des églises missionnaires est l’œuvre de Julia Morgan, 1ère femme diplômée de l’Ecole des Beaux-Arts de Paris et 1ère à exploiter les potentialités architectoniques du béton armé… un matériau dont les terribles incendies et séismes de 1906 révéleront les spectaculaires capacités de résistance. Alors que son utilisation était jusque-là limitée, on décide de l’employer pour la construction des nouveaux édifices de la ville, tout en parant leurs façades de stucs ou de terracotta pour ne pas déparer avec les quelques monuments historiques encore debout. Les ossatures métalliques et les structures en brique et faïence émaillée, ayant également bien résisté, deviennent les nouveaux modèles à suivre, tandis qu’apparaissent de nouvelles solutions techniques : des éléments de fer torsadés sont intégrés aux blocs de béton pour en améliorer la résistance, et des poutrelles d’acier viennent habiller les façades des bâtiments jouant tout à la fois le rôle de décor et de protection antisismique comme c’est le cas sur l’US Geological Survey Building. Des préoccupations qui semblent fort éloignées de celles des organisateurs de l’Exposition Panama Pacific de 1915, qui, pour l’occasion, veulent transformer la ville en authentique cité impériale. S’inspirant du mouvement City Beautiful, ses promoteurs imaginent des ensembles monumentaux  aux allures de temples antiques. Le Palace of Fine Arts, imaginé par Bernard Maybeck, est une ode à l’Antiquité avec sa rotonde octogonale et son péristyle corinthien. Mais la plus étonnante réalisation de l’époque est bien sûr le Civic Center dont le City Hall est l’édifice central. Son tambour à colonnes et son dôme surmonté d’une lanterne sont inspirés de la chapelle de Mansart aux Invalides. Le California Palace of the Legion of Honor, avec ses colonnades et arcades grandioses, est, lui, une copie parfaite de l’Hôtel de Salm (l’original parisien !) Il a été financé par la puissante famille Spreckels qui se fit également construire la Spreckels Mansion, édifice d’une blancheur immaculée surnommé « le Parthénon de la Côte Ouest ». En parallèle, la ville continue de s’ouvrir à la modernité avec ses gratte-ciel. Alors que le Hobart Building conserve un décor de terracotta sculpté très néoclassique, le Hallidie Building lance, lui, la mode des façades à rideau de verre.

Effervescence moderne

Les années 20 sont marquées par l’apparition des premiers ensembles résidentiels, tels les Bellaire Appartments dans la célèbre Green Street que l’on reconnaît à leurs hauts porches curvilignes et à leur belle ornementation de plâtre. C’est dans les années 30 que sont construits les deux grands symboles de la ville : le Bay Bridge et le Golden Gate Bridge. Le premier est à l’époque la plus longue passerelle d’acier au monde… 7 200 m tout de même. Le second est alors le plus haut et le plus long pont à suspension d’une seule portée au monde, s’étendant sur 2 700 m de long et 30 m de large… on dit que pour entretenir sa légendaire peinture rouge-orangé, pas moins de 18 900 litres de peinture par an sont nécessaires !

Les années 30 sont également marquées par l’avènement de l’Art déco dont le Maritime Museum, imaginé sur le modèle d’un paquebot avec bastingage en acier et hublots, se fait le fier représentant. Entre style antique et lignes épurées Art déco, la Coit Tower ne passe pas inaperçue du haut de Telegraph Hill ! S’il ne fallait retenir qu’une seule construction des années 40, ce serait l’unique édifice construit par Frank Lloyd Wright à San Francisco, le Spiral Building sur Maiden Lane aujourd’hui occupé par une boutique de prêt-à-porter… vous pourrez donc aller observer à loisir les formes épurées de cet édifice tout en courbes !

Dès la fin des années 50, la ville connaît une nouvelle effervescence architecturale mais cette fois-ci résolument tournée vers la modernité. L’Alcoa Building, de la célèbre agence SOM, offre une étonnante façade en mur-rideau sur laquelle ont été superposées des poutrelles d’acier recouvertes d’aluminium ; tandis que l’Embarcadero Building se détache dans la skyline de la ville par les volumes en décrochements de ses 4 tours. Mais le building le plus célèbre de l’époque est sans conteste le Transamerica Pyramid, pyramide de 260 m de haut dont les tétraèdres isocèles à la base ont fonction de décor et de protection antisismique. C’est également de cette époque que date la célèbre Dragon Gate marquant l’entrée du non moins célèbre quartier de Chinatown. Avec son toit en forme de pagode et ses dragons dorés, impossible de la manquer. Les quartiers flottants de Sausalito avec leurs house-boats reliées par des ponts flottants ; la réhabilitation de la légendaire Chocolaterie Ghirardelli en complexe commercial au charmant dédale de passages, patios et terrasses verdoyantes ; ou bien encore Sea Ranch, lotissement résidentiel conçu au nord de la ville avec pour matériau principal le séquoia, et pour objectif de créer des volumes ouverts et lumineux dans le style Bay Area Tradition, comptent parmi les étonnantes expérimentations urbanistiques menées dans les années 60-70.

Depuis 1980

En 1985, San Francisco se dote du Downtown Plan, l’un des plans d’urbanisme les plus contraignants de tout le pays. Refusant de se transformer en mégapole tentaculaire, la ville fait le choix de protéger son environnement urbain et son patrimoine, de multiplier les espaces verts, et de réglementer la construction de gratte-ciel, limitée à un par an, dont la hauteur ne doit pas dépasser 43 étages et dont les formes dissymétriques se veulent une antithèse de l’uniformité de l’époque. Après les séismes et incendies de 1989 et 1991, les immeubles et maisons de brique sont renforcés, les tunnels du métro rendus étanches et consolidés… mais tous les habitants savent que face au Big One aucune structure ne pourra résister. Malgré ce sentiment aigu de la précarité des choses, la ville continue de se transformer. Les plus grands noms de l’architecture y ont réalisé d’étonnants musées. La juxtaposition très graphique des blocs de brique et l’énorme cylindre tronqué aux allures d’œil de cyclope baignant de lumière le SFMOMA (San Francisco Museum of Modern Art) ont été imaginés par Mario Botta, tandis que sa très belle extension à la façade en fibre de verre et cristaux de silicate de Monterey intégrés pour refléter la lumière a été réalisée par l’agence Snohetta. Le bâtiment  de l’Académie des Sciences de San Francisco, avec son toit végétalisé dont les deux dômes suivant les courbes des serres et du planétarium sont recouverts de hublots, a été imaginé par Renzo Piano. C’est à Daniel Liebeskind que l’on doit le Contemporary Jewish Museum occupant en partie une ancienne centrale électrique ; tandis que le nouveau De Young Museum, étonnant volume monolithique rythmé d’entailles et de creusements, est, lui, l’œuvre du duo suisse Herzog & de Meuron. On leur doit également le superbe chai baptisé Dominus Winery à Napa Valley dont on admire le revêtement extérieur en blocs de basalte irréguliers enfermés dans des grilles en acier. Un lien entre vignobles et architecture qui avait été initié à la fin des années 80 par Michael Graves et son chai monumental du Clos Pegase, réinterprétation contemporaine de l’architecture classique. Les gratte-ciel continuent de venir nourrir la skyline de la ville, telle la SF Tower en forme de torche guidant les voyageurs vers l’aéroport. Quant aux universités de Stanford et Berkeley, ces dernières se font laboratoire d’expérimentation où s’imagine une architecture durable aux lignes simples et épurées, aux étonnants systèmes d’ingénierie environnementale et surtout à dimension humaine !