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La sculpture du bois

Les vastes étendues boisées de la côte pacifique ont longtemps fait partie des premières ressources naturelles des peuples autochtones et ont permis le développement de cette pratique artistique. Le bois servait à fabriquer toutes sortes d’objets facilitant la vie de tous les jours comme l’habitat, les vêtements et le moyen de déplacement en créant des canoës sculptés dans les troncs d’arbres. Les totems sont apparus, selon des recherches scientifiques, il y a plusieurs millénaires, à titre symbolique et décoratif. La place prépondérante de l’art au sein de la culture amérindienne vient donc de ce matériel unique pour la création de sculptures artistiques comme les masques de transformations. Ces masques sont sculptés dans le bois de cèdre (comme pour les totems) et sont décorés de plumes, de branches, de feuilles, de brindilles et d'autres éléments naturels. De forme animale, ils sont souvent portés lors des danses et cérémonies traditionnelles. De nombreux artistes ont émergé de ce mouvement culturel à part entière et beaucoup de ces totems ont pu être conservés dans des musées mais aussi exposés au sein de parcs et de villages traditionnels reconstitués. Ce bois de cèdre est en effet reconnu et choisi pour sa résistance, sa malléabilité et sa longévité. Un « totem pole » possède une durée de vie d’environ 60 ans. Des cérémonies étaient organisées lors de la coupe des arbres pour honorer ces êtres considérés comme sacrés par les Autochtones. La sculpture du bois est originaire de la Colombie-Britannique et s’étend jusque dans le sud de l’Alaska.

Les mâts totémiques et leurs significations

Aussi appelées « Totem Poles », l’étymologie de ce mot provenant de la langue autochtone ojibwa qui signifie « parenté, clan », ces œuvres sont une véritable spécificité des Premières Nations du Pacifique Nord-Ouest et en particulier de l’archipel Haïda Gwaii où tout a commencé. Ces grandes structures monumentales pouvant atteindre jusqu’à 20 mètres de hauteur n’ont pas de signification religieuse contrairement aux idées reçues, mais plutôt identitaire. Fortement attachés à leurs valeurs, les clans représentaient leur famille, leur chef, leurs caractéristiques en signe de force et de fierté. Les totems sont les esprits sacrés des humains, ancêtres et protecteurs du clan, ils témoignent de la persistance de la culture haïda et de ses rites tribaux. Certains mâts servaient de bienvenue à l’entrée des villages, d’autres servaient à commémorer des ancêtres, à relater des faits et évènements passés. Ce sont de grandes sculptures en bois qui servaient autrefois d'adresse pour chaque maison mais aussi qui indiquaient qui vivait là grâce aux différents emblèmes. Les totems font office de récits d’événements importants et de légendes pour chaque tribu, et ainsi chaque totem est représentatif d’une famille, d’un clan ou d’une région. Chaque ethnie utilise des emblèmes et des techniques de sculpture qui lui sont propres et chaque emblème souvent érigé au sommet du totem représente le chef de la tribu alors que celui de sa femme est généralement situé en bas. On retrouve 8 emblèmes principaux sur ces totems : l’aigle, le corbeau, l’oiseau-tonnerre, l’ours, le castor, le loup, l’épaulard et la grenouille, mais également des figures humaines et surnaturelles pouvaient orner ces totems. Pour les Premières Nations, ces grands mâts totémiques servaient à montrer leur appartenance à un clan, à démontrer le pouvoir de leur tribu et à communiquer sur leurs croyances. Lorsqu’un chef important mourait, il était coutume de l’honorer en fabriquant un totem à son effigie, et l’on y déposait les cendres du défunt. Une autre symbolique de ces totems visait à ridiculiser une personne pour une incivilité ou une trahison en lui attribuant un totem de la honte. Les évènements importants des Premières Nations tels que les mariages, décès mais aussi l’inauguration de totems étaient accueillis par des célébrations traditionnelles appelées Potlatch.

La renaissance de l’art Haïda à la fin du XXe siècle

Pendant des générations, la culture amérindienne n’a fait que très peu parler d’elle. Contraints de s’adapter aux normes et valeurs apportées par les colons européens au XVIIIe siècle, les peuples autochtones ont lourdement souffert de leur détachement identitaire. L’archipel Haïda Gwaii est un lieu symbolique à l’origine des totems. Des milliers d’Autochtones peuplaient ce territoire et vivaient en harmonie avec la nature avant de voir leur population diminuer considérablement, de 95 % environ, à cause des épidémies telles que la variole, apportées par les explorateurs. Qui plus est, leurs pratiques traditionnelles telles que les cérémonies furent formellement interdites au cours du XIXe siècle. Ces circonstances les obligèrent à abandonner certaines de leurs traditions ancestrales et à se laisser enfermer dans des réserves, autour de Skidegate et de Masset. Toutefois, depuis quelques décennies, le peuple Haïda renaît de ses cendres et ses totems ressurgissent sur l'horizon des îles. Le patrimoine culturel et naturel de la communauté a retrouvé de son prestige et l'art haïda est désormais transmis aux jeunes générations dans un souci de préservation. Pour preuve, le peuple Nisga'a a pu négocier, en 2000, le premier traité passé entre une Première Nation (autochtone) de la province et le gouvernement (provincial et fédéral), ce qui lui a permis de contrôler 1 930 km2, soit près de 1/10e de son territoire ancestral. De nombreux totems ont malheureusement été déplacés et volés lors de la colonisation, d’où leur présence un peu partout dans le monde. L’archipel tente coûte que coûte de rapatrier un maximum d’entre eux sur leur territoire d’origine. 

Parmi les artistes les plus renommés et ambassadeurs d’un patrimoine culturel riche sorti de l’oubli, Bill Reid, né en 1920 et décédé en 1998, est un sculpteur dont la célébrité est autant locale qu'internationale. Cet artiste et intellectuel amérindien s'est employé à sauvegarder et à transmettre des techniques artistiques ancestrales et à communiquer sa passion de l'art amérindien. Ses créations, d'une beauté intemporelle, ont voyagé à travers le monde (entre autres à l'ambassade du Canada à Washington). Bijoux, sculptures, tissus : Bill Reid savait se servir de tous les médias pour promouvoir le patrimoine haïda. La Bill Reid Gallery et la Vancouver Art Gallery, dans le centre-ville de Vancouver présentent de nombreuses œuvres de l’art autochtone de la côte nord-ouest. D’autres sculpteurs dont Henry Hunt, Mungo Martin, Doug Cranmer et Ellen Neel de la nation kwakwaka’wakw ont investi une majeure partie de leur vie dans la préservation de leur culture ancestrale. Chacun d’eux est exposé au musée d’anthropologie de Vancouver dans le grand hall où s’élancent les grands mâts totémiques et au Royal B.C Museum à Victoria.

L’art de la sculpture des Amérindiens du Pacifique Nord-Ouest aujourd’hui

De plus en plus mis en valeur et protégé, cet art se transmet au sein des parcs et musées. Les totems sont omniprésents et font partie intégrante du décor. Vous pourrez ainsi en découvrir dès votre arrivée au sein même de l'aéroport de Vancouver, mais également au Stanley Park où 9 totems reposent à Brockton Point, au Museum of Anthropology, au nord de la ville au Capilano Suspension Bridge. Il y en a aussi à White Rock Beach ou sur la Sunshine Coast, à Sechelt. A Victoria, on admirera les totems et la longhouse du sculpteur et artiste kwakwaka'wakw Mungo Martin (1879-1962) au Beacon Hill Park ou au Thunderbird Park , puis des totems plus anciens au Royal BC Museum voisin. Dans les environs, la ville de Duncan est surnommée "City of Totems" à cause des plus de 80 mâts qui ornent les rues de son centre-ville et ses alentours. Plus au nord, la petite île d'Alert Bay est fameuse pour ses totems 'Namgis (Kwakwaka'wakw) où vit encore cette communauté. Des cérémonies et totems continuent de voir le jour. Leur symbolique actuelle est plutôt tournée vers des sujets politiques et pour dénoncer les problèmes environnementaux sur le principe du « Shame Pole », totem de la honte. Le Sitka National Historic Park en Alaska regroupe également de nombreux totems de styles différents ainsi que le Totem Heritage Center regroupant des totems anciens en l’état. De nombreux artistes ont depuis, pris la relève comme Robert Davidson et Jim Hart, sculpteur du « Reconciliation Pole » en commémoration des pensionnats des Autochtones au XIXe siècle, tous deux présents sur le campus de l’université UBC.

Les techniques de sculpture des débuts à nos jours

A l’origine, les Premières Nations devaient adapter leurs sculptures en fonction de leurs propres outils créés à partir d’éléments purement naturels (os, coquillages, roches, etc.). Dans un premier temps, le tronc d’arbre était choisi pour sa taille selon le type de sculpture envisagé. Le tronc était par la suite nettoyé et poli. Dans un deuxième temps, il fallait creuser un trou dans une des extrémités du tronc afin qu’il puisse sécher. La création d’un totem pouvait prendre plusieurs années et son processus était long et devait faire preuve d’une grande précision. Le totem était d’abord pensé dans son design, le tracé se faisait sur le tronc. La découpe nécessitait la manipulation de plusieurs outils, avec des techniques particulières pour chacun. La peinture tenait une place importante pour la finition de ces totems, celle-ci était autrefois créée avec des éléments naturels. Les coquillages servaient pour le blanc, les œufs de saumon et les baies pour le rouge, la roche pour le marron et certaines plantes pour le noir.

Désormais, la fabrication des totems est simplifiée par les machines performantes et les outils tels que la scie, la tronçonneuse, la hache, le cutter, mais il n’empêche que les méthodes traditionnelles restent de vigueur. De nombreux ateliers dans la région de Vancouver sont dévoués à la sculpture de Totem Pole et la passion des sculpteurs locaux fait perdurer cet art transmis partout dans la région. Il est possible de voir des sculpteurs à l’œuvre à l’atelier Alaska Indian Arts.