Découvrez la Martinique : Architecture

La Martinique est une île plurielle et son riche patrimoine architectural en est la preuve. Ici séismes, cyclones et incendies dictent leurs lois, charge aux bâtisseurs de s’adapter. L’évolution de la case, habitat antillais traditionnel, en témoigne. Des petites structures de paille aux maisons de bourg, toutes ont été pensées en adéquation avec leur environnement. Des forts militaires à l’architecture métallique, qui s’invita jusque dans les églises, les édifices d’influence européenne témoignent aussi de cette nécessité de s’adapter au milieu. Autre élément clé du patrimoine martiniquais : l’habitation, lieu complexe, symbole d’une modernité industrielle indissociable de l’oppression esclavagiste. Un patrimoine à découvrir et surtout à recontextualiser. La préservation de cette riche identité créole est aujourd’hui le fer de lance de l’île qui n’en garde pas moins un œil tourné vers l’avenir. Bon voyage au cœur de ces inoubliables trésors !

Une île convoitée

La Martinique fut longtemps au cœur de conflits qui façonnèrent son littoral, le jalonnant de défenses militaires. Simples palissades en bois, ces structures se perfectionnèrent sous l’influence de la couronne française et de son célèbre ingénieur Vauban. Ce dernier ne construisit pas directement sur l’île, mais ses disciples y appliquèrent son grand principe : réconcilier l’art de la fortification avec la nature. Les grands forts de l’île tirent ainsi avantage des nombreux éperons rocheux, véritables forteresses naturelles. Chaque fort possède arsenal, batterie, redoute, bastions polygonaux et autres remparts et talus. Le Fort Saint-Louis à Fort-de-France en est le plus célèbre représentant. A côté des forts, le pouvoir s’exprime aussi dans un urbanisme où règnent ordonnancement et symétrie. C’est l’avènement du plan en damier pour les cœurs de ville qui s’organisent autour de bâtiments clés (église, mairie, places…) comme à Fort-de-France ou Saint-Pierre qui fut longtemps surnommée le petit Paris des Antilles et dont les vestiges du grand théâtre avec ses larges volées de marches et son péristyle très classiques témoignent de cette volonté qu’avait la puissance coloniale d’insuffler ses préceptes urbanistiques et architecturaux.

La case ou l’identité antillaise

La case antillaise trouve ses origines chez les peuples amérindiens, premiers habitants de l’île. Ces derniers s’organisaient en village au centre duquel trônait le carbet, grande hutte circulaire en bois et végétaux qui servait de centre politique et religieux, tandis que les ajoupas abritaient les chambres. Des constructions plus légères abritaient cuisines et ateliers, témoignant d’un souci fonctionnel déjà très poussé. D’anciens sites d’habitation sont à voir au Vivé (Le Lorrain) et sur la plage de Dizac (Diamant). Les premiers colons s’en inspirèrent pour construire leurs cases, abris légers mais parfaitement adaptés aux contraintes du climat. Dans le sud de l’île, notamment sur le site la Savane des Esclaves aux Trois-Ilets, vous pourrez découvrir des cases dites à gaulettes, modèles typiques des débuts de la colonisation. Leur sol est en terre battue, leur toiture en feuille de canne et leur façade faite en palissades de bois tressés (ti-baume, bambou, campêche) souvent enduites d’un torchis réalisé à base de bouse de vache ou de boue végétale mélangée avec de la paille. La case est pensée de façon modulaire et fonctionnelle. Comportant au départ deux pièces, elle s’agrandit en fonction des besoins et moyens de ses habitants. Progressivement, les cases se dotent d’une base cimentée plus résistante à l’humidité, leurs couvertures - originellement en paille ou en palmier - sont réalisées à base d’une tuile ronde locale appelée « tuile-pays » puis plus tard en tôle ondulée, le bois brut se pare de couleurs vives et, au XIXe siècle, la façade de la case se dote d’une galerie ouverte ou véranda. Se transformant au fil du temps en véritable pièce à vivre, cette dernière est devenue le symbole de la culture antillaise faite de convivialité et d’hospitalité. Protégée des assauts de la pluie par un large toit avancé, elle offre une vue sur le jardin, autre élément phare de la case antillaise. A partir du XIXe siècle, la multiplication des cases individuelles entraîne la création de hameaux dont l’organisation est là encore calquée sur celle des villages amérindiens. Grand-Rivière a su garder cette atmosphère des villages d’antan. Au XXe siècle, la création des bourgs a vu naître des cases urbaines appelées « maisons de bourg ». Ces dernières suivent le schéma de la case rurale, mais les terrains en ville étant chers, les maisons de bourg se développent en hauteur, se dotant d’un ou deux étages. Le rez-de-chaussée, construit en ciment pour limiter les risques d’incendie, abrite souvent commerces et ateliers. Les étages, eux toujours en bois, se font plus décoratifs avec des balcons en fer forgé, et surtout des persiennes et jalousies pour assurer la ventilation naturelle de la maison. Là encore, la cuisine est séparée du reste de l’habitation et installée dans une arrière-cour. Les rues du centre de Fort-de-France, en particulier la rue Blénac, en comptent de beaux exemples.

L’habitation : le poids du passé

Typiquement antillaise, l’habitation est une structure complexe, entre exploitation agricole et établissement préindustriel, pensée pour mettre en valeur les terres à des fins spéculatives. Sucre, cacao, tabac, indigo, café puis rhum… : tout y a été produit et transformé. D’un point de vue industriel, ces habitations sont extrêmement modernes et au cœur d’un système d’infrastructures très étudié. On peut ainsi encore apercevoir les digues et coulisses permettant l’acheminement de l’eau, les tours en moellons des moulins à vent avec leur toiture pivotante et leurs puissantes ailes, mais aussi les hangars à chaudières et alambics, témoins de l’évolution des techniques. Champs de cannes et jardins entourent ces différents éléments, tandis qu’au centre trône la maison de maître. Au départ simple case améliorée, cette dernière va se développer au rythme de la prospérité de ses propriétaires et devenir le symbole du système colonial. Si certaines maisons se basent sur les styles et principes architecturaux venus de la métropole (fortes influences normandes et bretonnes), très vite les maisons de maître vont adopter un style adapté aux contraintes du milieu. Construite toujours légèrement en hauteur pour garder une vue sur les unités de production, la maison de maître est conçue pour permettre une ventilation parfaite de la maison : des galeries ou vérandas bordent toutes les faces de la maison, les fenêtres ne sont pas vitrées mais ajourées et équipées de persiennes et les pièces du rez-de-chaussée n’ont bien souvent pas de portes. Pour préserver la maison des dégâts de la pluie, une toiture en tuiles de terre cuite ou en écailles est privilégiée, suivant souvent un style à la française, tandis que les avancées du toit permettent une évacuation de l’eau dans des jarres maçonnées. Le sol est souvent surélevé et réalisé dans de superbes dallages polychromes. Le deuxième étage, légèrement en retrait, est appelé belvédère et fait la part belle à des décors finement ciselés dans le bois. Ce souci du décor se retrouve dans l’attention portée au mobilier : berceuses, lits à colonnes et grandes dessertes peuplent ces maisons où l’apparat triomphe. Rappelant les grandes propriétés coloniales de Louisiane, avec laquelle la Martinique a longtemps entretenu des liens étroits, les maisons de maître antillaises restent plus fonctionnelles et moins ostentatoires. Une beauté stylistique qui ne doit pas faire oublier que la dénomination « maison de maître » ne désigne pas ici simplement une demeure bourgeoise cossue, mais bien une structure composée d’un maître… et d’esclaves. Longtemps ignoré, le patrimoine lié à l’esclavage est aujourd’hui mis en lumière, notamment les « cases-nègres », regroupements de cases alignées, toutes bâties sur le même modèle et installées en contrebas de la maison de maître pour en permettre le contrôle. Ces cases étaient souvent entourées de jardins, dits serviles, permettant aux esclaves de subvenir en partie à leurs besoins. Ce riche patrimoine est à découvrir dans les habitations Pécoul, Clément, Leyritz, ou bien encore Anse Latouche, qui comptent parmi les plus belles et les mieux conservées de l’île.

Patrimoine religieux

La Martinique est peuplée d’un très grand nombre d’églises. Certaines sont directement inspirées des modèles européens à l’image de l’église du Carbet avec son plan en croix latine à trois nefs et son clocher rehaussé d’une flèche et d’un bulbe doré, de l’église du Marin avec son décor baroque tout en volutes et sinuosités ou bien de l’étonnante église de Balata, réplique de la basilique du Sacré-Cœur de Montmartre. D’autres témoignent de l’influence des marins-charpentiers qui réalisèrent de nombreuses charpentes en carène ou coque de bateau renversée. Mais la plupart témoignent de la nécessité d’adapter l’architecture aux conditions climatiques, comme le montre l’église Notre-Dame-de-la-Nativité à Ducos avec l’inclusion dans sa façade d’une des faces du clocher de manière à offrir une meilleure résistance aux vents. Certains clochers seront même séparés de l’édifice. Ce souci culmine avec l’avènement de l’architecture métallique popularisée sur l’île par l’architecte Henri Picq à qui l’on doit la superbe et étonnante cathédrale Saint-Louis de Fort-de-France. Sa nef est entièrement soutenue par des arches métalliques d’inspiration néogothique offrant un sentiment d’espace et de clarté renforcé par la belle luminosité se dégageant des vitraux et verrières. C’est également à Picq que l’on doit la très belle Bibliothèque Schœlcher avec son lumineux dôme de verre, ainsi que de nombreuses halles. Ce rôle de centre d’expérimentations architecturales se poursuit au XXe siècle avec l’église Saint-Christophe à Fort-de-France. Construite en 1955, elle est le symbole du renouveau de l’art sacré avec son utilisation du béton, ses pavés colorés filtrant la lumière et son beau clocher semi-circulaire.

Evolutions et perspectives

Avant même l’église Saint-Christophe, Fort-de-France a vu naître, dès les années 1930, quelques très beaux exemples de modernisme architectural. La Villa Monplaisir, œuvre de Louis Caillat, grand représentant du modernisme en Martinique, impressionne par sa blancheur et ses formes géométriques élémentaires. La Maison Didier, elle, fait la part belle aux courbes et volumes Art déco. L’ancien immeuble « La Nationale » étonne avec ses hublots et rambardes métalliques directement inspirés du style Paquebot. Autre étonnante particularité, il s’organise autour d’un patio, une structure d’héritage mauresque très rare dans l’île, que l’on retrouve dans un autre bâtiment phare, la Maison des Syndicats, avec ses formes circulaires et son plan en couronne. Mais le béton n’a pas toujours été associé à une modernité de forme, comme en témoigne la Préfecture, directement inspirée… du Petit Trianon. Un mélange pour le moins éclectique. Par la suite, les grandes villes de l’île ont toutes subi une politique d’intense bétonisation avec multiplication d’hôtels, centres commerciaux et lotissements, les grands ensembles y remplaçant les maisons individuelles. Avec sa Tour Lumina de 105,5 m de hauteur, le complexe de la Pointe Simon dénature quelque peu le centre de Fort-de-France alors même qu’il s’en voulait le phare. Mais d’autres réalisations contemporaines tentent de s’intégrer de façon plus harmonieuse avec le bâti existant à l’image du technopôle de Kerlys dont les courbes du toit rappellent celles de l’église Saint-Christophe. Fort heureusement, la ville a su en parallèle conserver sa riche identité grâce aux campagnes de revalorisation de nombreux quartiers où l’habitat antillais est mis à l’honneur !

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