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Les musiques et danses traditionnelles

Aborder la musique traditionnelle guinéenne, c’est avant tout se pencher sur celles des communautés qui composent le pays. À commencer par la principale : les Malinké (ou Mandingues). Le nom malinké signifie « l’homme qui vient du Mali », les Malinké étant l’ethnie dominante de l’empire du Mali. En Guinée, ils représentent environ 30 % de la population et habitent les savanes de haute Guinée. Leurs traditions constituent naturellement une part importante de la pratique musicale guinéenne.

Un des aspects les plus marquants de la culture mandingue est l’importance des djéli, ces griots (des chanteurs-historiens itinérants) à la fois porteurs de la parole, des mythes et des légendes, mais également intermédiaires et arbitres dans les conflits sociaux. Le djéli occupe une place importante dans la société guinéenne. Les familles de griots transmettent l’histoire du pays de père en fils à travers récits, contes et musiques. De nombreux griots sont d’ailleurs des maîtres en matière d’instruments traditionnels tels que la kora ou le balafon, leur musique servant dès lors de support pour magnifier leurs paroles. Un des djéli guinéens contemporains réputés pour avoir superbement modernisé la tradition est Ba Cissoko. Sur son album Electric Griot Land, la kora devient électrique et les mélodies envoûtantes, quasi hypnotisantes.

La kora, qui ressemble à un enfant du luth et de la harpe, est d’ailleurs l’instrument emblématique de la musique malinké. Quelques Guinéens ont la réputation d’en être des virtuoses, comme M'Bady Kouyaté, aussi connu pour avoir dirigé le prestigieux Ensemble symphonique traditionnel national de la République de Guinée, Djeli Moussa Condé, qui emmène la kora dans une autre dimension, ou encore Kandia Kora, fils de M'Bady Kouyaté, qui modernise l’instrument en l’invitant dans le rap et le reggae.

Hormis la kora, on trouve dans la musique mandingue le ngoni (instrument à cordes pincées), le balafon (sorte de xylophone dont El Hadj Djeli Sory Kouyaté ou Mory Kanté sont des joueurs redoutables), le djabara, grosse calebasse entourée d’un filet tressé de semences, le mbira, petit « piano à pouces », ou encore le ntama, un tambour d’épaule. Une collection d’instruments qu’il n’est pas rare de croiser dans la Mamaya, cette fête traditionnelle malinké où hommes et femmes dansent sur des rythmes lents et majestueux. La Mamaya de Kankan est devenue un événement culturel majeur qui a lieu une fois par an lors de la fête de Tabaski.

Dans la région du Fouta, la terre des Peuls, l’instrument emblématique est le tambin, flûte traversière à trois trous dont le nom provient de la plante qui servait à sa fabrication. Taillée traditionnellement à la main dans une variété de roseau, elle est désormais le plus souvent réalisée avec une tige de mil (voire du métal) d'environ 30 cm.

Enfin, dans la région des forêts, autour de Nzérékoré, chez les Kpelle (prononcer « kpellé ») on trouve le pêle, événement comprenant un fort enjeu social et mêlant chants et chorégraphies.

Pays de danse, la Guinée possède de nombreux ballets traditionnels, publics ou privés, qui se produisent régulièrement dans la capitale. Gbassikolo, Sourakhata, Merveilles de Guinée, Wassasso, Ballet de Matam sont autant de noms à surveiller pour assister à une belle représentation de danse à Conakry.

Parmi les institutions publiques, hormis les très traditionnels Ballets africains (à voir au palais du Peuple), l’autre grande entité est le Ballet national Djoliba. Créé par Sékou Touré et Harry Belafonte (oui, oui) au moment de l’indépendance du pays, l’ensemble maintient aujourd’hui l’objectif qu’il s’est toujours fixé : défendre l’identité mandingue au travers de la mise en musique et en danse des légendes et contes du Mandé.

La musique populaire

Si le pays s’illustre en devenant le premier d’Afrique francophone subsaharienne à célébrer son indépendance en 1958, la Guinée se démarque aussi très rapidement par sa politique culturelle nationaliste. Inscrit dans une volonté globale de rupture, le président Sékou Touré souhaite alors tourner la page de la période coloniale – où le pays écoute beaucoup de musique importée – et se diriger vers une musique à l’identité guinéenne plus marquée, mieux définie.

Ainsi, dès 1959, un premier ensemble doté d’un statut national voit le jour : le « Syli orchestre national », rassemblant les meilleurs instrumentistes du pays. L’objectif affiché est clair : plus question de jouer des reprises ou des esthétiques non guinéennes, il faut désormais puiser dans le patrimoine et le moderniser. Ce mouvement de retour aux racines et d’incorporation des pratiques traditionnelles dans la composition sera appelé « l’authenticité », une politique qui durera jusqu’à la mort de Sékou Touré en 1984 et qui va engendrer la naissance et la multiplication d’ensembles « fonctionnarisés » (chaque région recevant des fonds pour rémunérer les artistes et entretenir le matériel).

Très vite, l’effectif du Syli orchestre national devient si important qu’il se scinde en deux entités : l’Orchestre de la Paillote et l’Orchestre du Jardin de Guinée, qui deviennent en un rien de temps des piliers de la scène guinéenne. À la même époque apparaissent simultanément les Amazones de Guinée – l’orchestre féminin de la gendarmerie (des stars en devenir) – ainsi que le célébrissime Bembeya Jazz, l’un des premiers groupes enregistrés sur place dans les années 1960 et celui qui fera sans doute connaître le plus la musique guinéenne dans le monde.

Passé l’aspect artistique, le gouvernement utilise aussi rapidement ces artistes et ensembles comme organes de propagande pour véhiculer ses message et son idéologie. Ainsi, on entend régulièrement les orchestres nationaux aussi bien pousser à l’alphabétisation qu’alimenter la fibre anticolonialiste et anti-impérialiste. À l’international, ces orchestres ont servi le soft power guinéen, les meilleurs ensembles comme le Bembeya Jazz jouant sur les scènes du monde entier et devenant ainsi des ambassadeurs de leur pays.

Cette politique inédite a permis de faire éclore une avant-garde musicale d’une vitalité hors pair sur le continent africain et des musiciens comme Balla Onivogui, Keletigui Traoré, Momo Wandel et Kerfala Papa Diabaté ont pu bénéficier d'une formation de qualité et devenir de grands musiciens (notamment) grâce à elle.

Que reste-t-il de cette politique et de l’« authenticité » aujourd’hui ? Si des groupes actuels comme les Espoirs de Coronthie ou les Étoiles de Boulbinet sont des héritiers immédiats de la musique de ces ensembles fédéraux ou d’État de l’époque, l’engagement de l’État aux côtés des artistes n’est plus ce qu’il a été. Désormais, les artistes sont contraints de passer par l’autoproduction, ce qui n’a pas empêché d’excellents artistes tels que Mory Kanté d’exister et briller sur les scènes mondiales dès les années 1980.

Ce dernier est sans conteste le musicien guinéen le plus populaire en Europe. Né à Kissidougou dans les années 1950, dans une famille de griots, il a vécu à Abidjan, alors musicalement très active, avant de partir enregistrer un premier album à Los Angeles puis de gagner la France pour conquérir l’Europe. Là, son style original, mêlant la kora au synthétiseur, le fait vite connaître du grand public (à travers l’énorme succès de la chanson Yéké Yéké). Il faut dire que son arrivée coïncide avec l’avènement de la world music, mélange de rythmes traditionnels du monde entier et de sons modernes, rock, funk, jazz ou électroniques – ce que Mory Kanté avait anticipé. Le griot électrique connaît à partir de cette époque un énorme succès et les tournées s’enchaînent. Le 14 juillet 1990, sur une grande scène au cœur de Central Park et devant des dizaines de milliers de New-Yorkais, Mory Kanté, l’ancien sans-papiers, représente la France aux côtés de Khaled. Mory Kanté reprend bientôt son indépendance en tant que producteur et enchaîne albums (Tatebola en 1997, Tamala en 2002 et Sabou en 2004) et grandes tournées internationales.

Si elles sont moins nombreuses, les artistes guinéennes ne sont pas pour autant invisibles. Les obstacles viennent de la société guinéenne qui – hormis lorsqu’elles sont issues de famille de griots – perçoit mal les femmes s’exposant devant un public.

Cela étant dit, de nombreuses artistes guinéennes ont été et sont connues, à commencer par les fameuses Amazones de Guinée. Après elles, se sont notamment illustrées Oumou Dioubaté, « la Dame Chic Choc » issue d’une famille de djéli, Binta Laly Sow, diva peul, Sonna Tata Condé, plus afro-pop, ou la bouillonnante Sayon Camara, première chanteuse africaine nommée artiste de l’Unesco pour la paix en 2002.

Les musiques actuelles

En revanche, dans le domaine des musiques actuelles, les Guinéennes ont réussi à s’imposer plus largement. Un des premiers groupes féminins à s’illustrer dans le hip-hop est Ideal Black Girls, créé par des lycéennes dans les années 1990 et qui deviendra un des piliers du R&B dans le pays. Féministes, capables d’aborder des sujets difficiles comme l’excision, le groupe chantait en quatre langues : le soussou, le maninka, le poular et le français. Bien que le groupe ait disparu (après un retour en 2009), il a ouvert la voie à d’autres Guinéennes dans le hip-hop. À commencer par Ashley, figure montante du rap guinéen à la langue bien pendue. Écrivant en peul, Aïcha Bah de son vrai nom se sert de sa plume et de sa voix pour défendre la cause des femmes et des enfants et s’attaque à des sujets de société comme la polygamie et la pédophilie. Elle coudoie au sein d’une scène rap de plus en plus fournie des artistes comme Khady Diop, Sister Lessa, Banlieuz’art, Gnamakalah ou encore Djanii Alfa. Ce dernier est connu pour être le grand rappeur militant guinéen. Lui qui a notamment combattu les dérives du régime Alpha Condé dénonce dans ses textes la répression et n’a de cesse de défendre la démocratie. Un engagement et une formule installée entre rap américain et traditions guinéennes qui lui ont ouvert les scènes du monde entier.

Après le rap, le reggae connaît lui aussi un regain de popularité en Guinée. Alpha Wess a initié le mouvement et semble maintenant un peu en retrait. Mais la relève est assurée. Plusieurs figures ont émergé sur la scène conakryka. Citons entre autres Takana Zion ou encore Élie Kamano.

Le premier, Takana, a connu une ascension fulgurante ; son itinéraire est celui d’un musicien doué, galvanisé dans son apprentissage par des rencontres décisives, dont celle de Tiken Jah Fakoly qui le prit sous son aile à Bamako. Ce tour de formation l’amena au Ghana, puis au Burkina où il fit la rencontre de Makkalox, guitariste de Pierpoljak. De leur association naîtra en partie Zion Prophet, son premier album.

Quant à Élie Kamano, après des débuts difficiles sur la scène rap et plusieurs expériences musicales hors de Guinée, sa carrière reggae débute vraiment dans les années 2000 avec la sortie de l’album Trafiquant en 2005 auquel participent Tiken Jah Fakoly et les Espoirs de Coronthie. Puis en 2006, l’album Djélimankan marque sa consécration et son engagement politique. Depuis, sa popularité a franchi les frontières guinéennes et il est devenu une valeur sûre du reggae ouest-africain.

Plus dancehall, n’oublions pas de mentionner Lyricson, à la carrière internationale. Sa voix est bien connue en France car il collabore régulièrement avec des artistes d’ici comme les groupes Assassin ou Sniper.

Dans le rap comme dans le reggae ou le dancehall, une bonne manière de voir ce que le pays a de mieux à proposer est de se rendre au festival des Musiques urbaines de Guinée. Se tenant chaque année un peu partout à Conakry (notamment la plage de Gbessia), on peut y voir de nombreux concerts d’artistes guinéens et internationaux.

Parmi les autres artistes à surveiller de près, citons Manamba Kanté, grand nom de la soul guinéenne,  Oudy 1er, artiste de coupé-décalé connu pour être l’inventeur de la danse tchoumakaya, Azaya, de l’afro pop trempée de traditions guinéennes, tout comme Lévi Bobo ou le groupe Instinct Killers, ou encore Soul Bang, du R&B.

Citons également Sia Tolno et Moh Kouyaté que l’on entend régulièrement en France. La première est une superbe artiste afrobeat qui a notamment collaboré avec le vétéran du genre, Tony Allen, tandis que le second propose un blues rock très inspiré par les groupes mythiques guinéens, comme le Bembeya Jazz.