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L'art baga

Chez les Baga, installés dans la région du Rio Nunez en Guinée maritime, l'usage des masques a longtemps marqué la vie quotidienne des villages. Pour certains de taille impressionnante, ils sont étroitement liés aux activités de sociétés secrètes qui président à la vie sociale et mystique de la communauté. Mais si l'art baga est essentiellement constitué de masques en bois de différentes natures et de statuettes, il est aussi riche de magnifiques instruments de percussion, de fauteuils de chef et d'autres objets utilitaires habilement façonnés.

Parmi les masques baga, le plus emblématique est sans aucun doute le Nimba ou D’mba en baga. Ce masque d'épaules représentant l’idéalisation du rôle de la femme dans la société est d'ailleurs devenu un des symboles de la Guinée. Il évoque une mère qui a donné naissance à de nombreux enfants, et qui les a préparés à vivre un âge adulte fécond. Ses mamelles plates et pendantes témoignent de ses nombreux allaitements ; sa coiffure, striée de sillons, représente le travail aux champs ; les scarifications sur son visage, la possibilité de modifier ses conditions de vie. Nimba (son nom soussou) paraissait publiquement dans les mariages pour permettre aux nouveaux époux de faire le bon choix ; aux funérailles, pour aider le mort à rejoindre le monde des ancêtres ; au moment des semailles, pour assurer la fertilité des champs ; et pour les récoltes, où il célébrait l’abondance de nourriture. Les danseurs, des hommes jeunes, tournaient et exécutaient la danse du matin au soir, et parfois plusieurs jours, au son des tambours, tandis que les femmes lançaient du riz ou agitaient leurs éventails, le tout dans une ambiance très joyeuse pour toutes les composantes de la communauté impliquées, chacune selon son rang dans la fête.

Si Nimba évoque la quintessence de la beauté féminine et de son comportement, Nimba-da-tshol incarnait son contraire : par son apparence grotesque – petite tête déformée, une oreille et un sein, bouche tordue et conduite inacceptable –, son apparition, lors de la danse, rehaussait la beauté de Nimba, soulignant la bonne attitude à adopter.

Le Bansonyi, encore appelé masque serpent baga, est quant à lui associé au puissant esprit du serpent python appelé Ninkinanka. Cet esprit était craint des Baga, car selon leur croyance il était capable de détecter les sorciers et de les tuer. Ce masque jouait également un rôle important lors de la circoncision des jeunes garçons. Il restait dans la forêt sacrée, à côté des enfants pour les protéger des attaques de sorcellerie. C'est aussi à travers ce masque qu'un individu pouvait en se rendant dans sa forêt sacrée atteindre son ennemi et se venger de lui. Le Bansonyi est donc un masque très important dans la cosmogonie baga. Seul un homme doté de pouvoirs extraordinaires peut le porter.

Le masque en lui-même est une longue sculpture pouvant atteindre plus de 2 m, monoxyle et sinueuse, réalisée dans un bois très léger et évoquant le serpent par l'ondulation de ses courbes. L'alternance de losanges gravés et peints sur toute sa hauteur en accentue la dynamique. 

Le grand masque Banda est avant tout un masque protecteur et plus particulièrement des jeunes circoncis. Il est spectaculaire de par sa taille, ses formes et ses couleurs. Souvent proche de 1,5 m, il associe des formes animales (crocodile, antilope, serpent…) et humaines dans une composition souvent très colorée. Il était porté en oblique sur la tête lors de danses imitant les attitudes des animaux représentés et rythmées par des tambours à trois fentes. 

Les Baga sont aussi connus pour leurs tambours à cariatides, féminins ou masculins. Ces instruments de haute stature sont formés d’une cariatide soutenant sur sa tête la caisse de résonance. Celle-ci est souvent enlacée par des serpents, qui symbolisent le python mythique associé à la fertilité. Les tambours féminins ne peuvent être joués que par des femmes initiées, debout avec des baguettes en bois. Ce sont elles qui organisent les festivités des mariages, les initiations des jeunes une fois l’an (en saison sèche) et les funérailles des initiées. Ces tambours sont utilisés aussi bien pour communiquer avec les ancêtres que pour fêter la réception d'étrangers. Les institutions féminines sont nombreuses chez les Baga, la plus connue étant la confrérie des femmes qui ont enfanté chez les Baga Sitemu. C’est au son du tambour que les jeunes initiées et les jeunes mariées doivent danser avec un pot d’argile sur la tête, le corps orné de fétiches et la taille ceinte d’un collier de cauris.

Il est à noter que les sculptures chez les Baga sont souvent peintes de couleurs vives notamment pour les cariatides en rouge vif, et que les sculpteurs ont adapté au cours du temps les symboles gravés en prenant leur inspiration dans la vie moderne. Certains tambours sont ainsi composés d'éléments faisant référence à la présence des colons.

Les masques et sculptures de la forêt

Chez les Toma, les masques initiatiques ont le plus souvent des formes très épurées. Le plus emblématique, le Landai, est constitué d’une longue face dont la bouche est généralement inexistante et les yeux dissimulés sous des sourcils saillants se limitent à deux fentes. Ces masques sont associés aux puissantes organisations rituelles, dont la plus connue est celle du Poro. Chaque membre de ces organisations a un rang spécifique, et le passage entre chaque niveau nécessite des rites d’initiation. Ici l’initiation a un rôle essentiel pour permettre la métamorphose de l’individu, de son corps et de son esprit, qui lui permet d’être apte aux différents stades de la vie : passage à l’âge adulte, mariage, participation à la vie de la communauté. Le masque intervient notamment quand les candidats au Poro parviennent à la dernière étape de leur initiation. Il les dévore alors de manière symbolique pour qu'ils puissent renaître en tant que membre du Poro à part entière. 

Pour les Guerzé, le Niamou est un célèbre masque en tissu, porté par un danseur sur échasses. Il incarne la force des esprits des ancêtres et sort lors des grandes fêtes traditionnelles. Il faut veiller à ne pas se mettre en travers de son chemin car, s’il tombe, c’est le malheur assuré sur vous, votre famille et votre village. Les Kissi quant à eux n'ont pas de masques à proprement parler et plus généralement pas de sculptures rituelles. Leurs pratiques religieuses sont orientées essentiellement vers le culte des ancêtres. Dans les villages certains arbres ou rochers sont honorés comme autant d'héritages sacrés des ancêtres. Reste qu'un certain mystère entoure les fameuses statuettes funéraires en stéatite (pierre tendre) appelées Pondo que les Kissi considèrent comme des ancêtres et qu'ils honorent et consultent lors de cérémonies divinatoires. Quelles sont les origines de ces statuettes qui ne semblent pas être le fruit de leur pratique artistique ? La question reste encore largement sans réponse.

La sculpture chez les Malinké

Même s’ils semblent avoir eu une moins grande influence sur la vie quotidienne des populations que pour d'autres groupes ethniques, sans doute du fait de la forte islamisation, les masques sont également bien présents dans la culture mandingue. De nos jours le plus connu des masques malinké est très certainement le Konden. Il n'est pas lié à une société initiatique mais est plutôt appelé et évoqué par les parents pour faire peur aux enfants. Quand il sort, il se fait menaçant et court derrière les jeunes garçons. Quand il les attrape, il les frappe avec des branchages. C'est en quelque sorte le père fouettard local. Par ailleurs, si les Malinké étaient jadis célèbres pour leurs marionnettes sculptées (les plus remarquables étant le Waraba, représentation d'un lion), tradition qu'ils ont quelque peu délaissée, ils ont malgré tout gardé et perpétué leur savoir-faire en matière de travail du bois. Ainsi les familles de sculpteurs originaires de Kankan sont encore aujourd'hui réputées pour leur artisanat. Si vous rencontrez un sculpteur à N'Zérékoré ou à Conakry, vous pouvez être quasiment sûr qu'il est originaire de haute Guinée. Leur savoir-faire se transmet de génération en génération au sein de grandes familles. Ainsi à Kankan centre, la famille des Sidimé est connue et reconnue pour sa connaissance et sa maîtrise du travail du bois. Ici les bois travaillés sont l'ébène, même s'il se fait de plus en plus rare, et divers bois rouges durs. Installée depuis plusieurs générations dans le quartier Salamani, à proximité de la concession du grand cheikh Fantamadi Chérif, le marabout sorcier, les Sidimé ont une réputation qui n'est plus a faire. Ils réalisent toutes sortes de personnages (chasseurs, danseurs, femmes dans leur vie quotidienne…) mais aussi des animaux emblématiques de la faune africaine (lions, buffles, rhinocéros, hippopotames…) et tout objet qu'on leur demande. À noter que la plupart des animaux façonnés dans cet atelier ne sont pas ou plus présents dans les savanes guinéennes… Une sculpture appelée Makondé est par ailleurs devenue célèbre dans toute la Guinée (mais également dans certains pays voisins). On la retrouve dans presque tous les ateliers et magasins d'exposition-vente. Elle représente un personnage stylisé sans ventre, évoquant singulièrement le penseur de Rodin. 

Masques et fêtes aujourd'hui

Les masques et les rites et fêtes qui y sont associés ont longtemps présidé à la vie des villages dans la plupart des régions de la Guinée. Mais avec l'islamisation progressive de certaines populations, puis la colonisation et enfin l'avènement de la première République révolutionnaire, toutes ces pratiques ont été freinées, mises à mal et peu à peu remises en cause par le discours officiel. Avec la révolution culturelle et sa volonté affichée de libérer le peuple de certaines croyances ancestrales et du pouvoir des fétiches, nombre de masques et statuettes ont été détruits, et les rites et fêtes associés interdits. Certes, tout n'a pas disparu. Certains groupes ont su conserver leurs traditions et leur pratiques en se faisant discret. Mais aujourd'hui, ce patrimoine social et culturel est quelque peu édulcoré. Dans certains villages, notamment en pays baga ou encore en région forestière, les masques sont encore régulièrement mobilisés lors de moments importants de la vie locale et notamment lors des récoltes, mais ils ne président plus comme par le passé aux destinées de la communauté. La sortie des masques relève plus du folklore que des croyances ancestrales. Ainsi lors de la visite de personnalités locales ou d'étrangers, les villageois se prêtent volontiers à une cérémonie de sortie d'un masque et à l'organisation d'une danse traditionnelle, l'occasion pour les visiteurs de toucher du doigt les pratiques ancestrales.

À noter que chez les Peuls de Guinée, les masques et les sculptures sont totalement absents de la vie sociale et culturelle ; est-ce du fait leur mode de vie de pasteurs anciennement itinérants ou de la religion musulmane qu'ils ont très largement embrassée ? Sans doute un mélange des deux.

Ateliers et sculpteurs

Les ateliers de sculpture disparaissent peu à peu des grandes villes de l'intérieur du pays. Pas facile quand on est sculpteur sur bois de vivre de son art dans des contrées reculées loin des potentiels clients. Aussi la plupart des sculpteurs viennent exercer leur art à Conakry. 

Leurs ateliers sont essentiellement installés sur la presqu’île de Kaloum et le long de la corniche nord de Conakry depuis Camayenne jusqu'à Kakimbo. Néanmoins, Kankan, ville historique des sculpteurs en Guinée, demeure malgré tout un haut lieu de la sculpture sur bois avec encore plusieurs ateliers en activité qui perpétuent la tradition. 

Le centre artisanal de N'Zérékoré a également permis de maintenir sur place quelques sculpteurs. Mais pour combien de temps encore ? Le manque de clientèle régulière semble remettre en cause la pérennité de leur activité.  

De nos jours, les masques, statuettes et objets anciens sont rares, voire très rares, la plupart ayant été exportés et/ou achetés par des collectionneurs. Cependant quelques marchands d'art proposent encore de belles pièces, comme M. Dabo Sidiki dans sa galerie du quartier Kipé, la galerie Fakiki. Reste que la majorité des vendeurs de sculptures et de masques proposent des objets plus ou moins patinés, par le temps et/ou surtout par la main experte des artisans. Mais si vous êtes plus intéressés par l'esthétique que par l'âge des œuvres proposées, vous trouverez alors de belles réalisations dans les ateliers-boutiques de Conakry. Il vous faudra juste vous armer d'un peu de patience et de détermination pour y trouver votre bonheur.