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Un système éducatif défaillant

Sous la Ire République, l’enseignement a longtemps été dispensé en langue nationale et cette pratique a largement freiné l’apprentissage de la langue française, pourtant langue officielle. L’école se fait de nouveau en langue française depuis 1985 dès le primaire pour les enfants âgés de 7 à 10 ans. Mais après quelques décennies ayant apporté de réels progrès en matière d'alphabétisation et de scolarisation, la marche en avant a été largement freinée depuis le milieu des années 2010. Crises politiques et sociales à répétition, crises sanitaires successives ont entraîné de très fortes perturbations dans la vie scolaire des élèves depuis 2013. Rares ont été les années scolaires « normales », entraînant une dégradation très sensible du niveau des élèves et de nombreux décrochages. Aujourd'hui, on assiste à une privatisation galopante du système avec la démultiplication des groupes scolaires payants, notamment dans les grandes villes, alors que dans le même temps, l'école publique survit comme elle peut avec des classes surchargées, des enseignants peu ou mal formés et déconsidérés, des locaux inadaptés et mal équipés… Le système éducatif est en crise et la corruption, qui par ailleurs le gangrène, n'est pas faite pour le tirer vers le haut. Dans ces conditions, pas étonnant que le taux d'analphabétisme se maintienne à un niveau très élevé, de l’ordre de 60 %. Le taux brut de scolarisation en primaire est relativement stable mais avec de fortes disparités. Dans certains villages, ce taux est quasi nul du fait de l’éloignement des écoles ou encore de l'absence d'enseignants. Si vous y ajoutez une inadéquation du système universitaire aux besoins du marché du travail avec une université qui est réputée pour former plus de chômeurs que de futurs cadres du pays, vous avez un panorama peu flatteur d'un système défaillant et qui donne toute la mesure des défis à relever.

Une émigration en forte croissance

En Guinée comme ailleurs en Afrique de l'Ouest, la tradition séculaire se fissure chaque jour un peu plus. Elle est fortement remise en cause par les jeunes générations, avides d’une nouvelle réalité, et qui se retrouvent confrontés à la volonté de leurs aînés. Le manque de perspectives, l'absence de libertés, des conditions de vie difficiles associées à l'accès récent et massif à Internet et aux réseaux sociaux accélèrent d'ailleurs le phénomène. Cette situation conduit de plus en plus souvent à la fuite des jeunes pour la ville et ses illusions. Vers la ville… ou vers l'étranger, considéré encore comme l’eldorado. Mais quel autre choix pourraient-ils envisager face au chômage de masse, dans un pays où l'avenir reste incertain à court terme ? Même ceux qui réussissent à achever des études supérieures n'ont aucune garantie de trouver un travail stable dans l'économie formelle. La plupart, surtout s’ils n'ont pas un parent bien placé pour les aider, se « débrouillent » comme on dit ici et rejoignent les rangs toujours plus nombreux des acteurs du secteur informel. Si aujourd'hui les jeunes Guinéens sont parmi les plus nombreux dans les demandeurs d'asile en France, ce n'est malheureusement pas un hasard. Malgré le coût et les risques (connus de tous) des traversées clandestines, ils sont toujours plus nombreux à tenter leur chance afin de s'offrir l'espoir d'un avenir meilleur.

Santé, la grande oubliée

Avec la crise Ebola déclarée en 2014, les défaillances et insuffisances du système de santé ont été très largement mises en évidence, une réalité que les populations connaissent bien mais dont elles sont bien obligées de s'accommoder. Le système de santé souffre d'un manque d'infrastructures qualitatives et d'équipements, de personnels soignants disponibles et bien formés.

Ici la santé est devenue un business. Les soignants semblent y avoir perdu un peu de leur humanité. Si vous voulez être soigné, il faut commencer par payer. Pas d'argent, pas de soins, même si vous êtes en danger de mort. De plus en plus, comme pour le secteur de l'éducation, l'offre en matière de santé se privatise. Les cliniques privées se multiplient. Il n'est d'ailleurs pas rare de voir un membre du corps médical occupant un poste dans l'administration publique et exerçant par ailleurs dans une clinique ou un cabinet privés.

Face à cette situation, les Guinéens ne viennent dans les hôpitaux qu'en dernier recours et souvent trop tard. Ils préfèrent encore largement avoir recours aux guérisseurs et autres marabouts ou à l'automédication à base de produits achetés sur les marchés et dont la qualité est souvent douteuse. Les quelques améliorations et investissements réalisés ces dernières années (budget de la santé en hausse, construction de laboratoires et centres de santé, rénovation de l'hôpital Donka…) sont certes un progrès, mais il reste tellement à faire pour donner un accès aux soins qualitatifs à toute la population. Un bon indicateur d'une amélioration significative pourrait être le jour où les dirigeants et cadres du pays se soigneront sur place et non à l'étranger comme actuellement.

L'excision, une pratique qui a la vie dure

Malgré une loi l'interdisant et des sanctions pouvant aller jusqu'à cinq ans de prison, la Guinée fait partie des pays pratiquant le plus l'excision dans le monde. On estime à ce jour que 97 % des femmes guinéennes ont subi cette mutilation.

Pourtant la prise de conscience qu'elle constitue un véritable danger pour la femme existe bien. Les campagnes pour l'abolition de ces pratiques se sont multipliées depuis quelques années déjà, promues par des ONG locales ou étrangères. D'anciennes exciseuses sont même devenues des « repenties » et militent aujourd'hui pour l'arrêt de cette pratique. Le Club des jeunes filles leader de Guinée (association militante créée en 2016 pour la défense des droits des femmes et des enfants) est également très actif pour sensibiliser les populations sur cette question. Malheureusement, toutes se confrontent dans leur démarche à un mur social et culturel construit depuis des générations et qu'il est difficile de renverser, surtout auprès de populations rurales peu éduquées. 

Mais chaque petit pas est un progrès : chaque exciseuse qui renonce à ses pratiques, chaque mère qui interdit cette pratique sur sa ou ses filles sont autant de victoires devant permettre un jour de voir disparaître ces pratiques d'un autre âge. Trop souvent encore aujourd'hui, des jeunes filles décèdent des suites d'une excision en Guinée et pour beaucoup de Guinéens, ce n'est plus tolérable.

La polygamie reconnue à demi-mot

Interdite par la loi depuis 1968, la polygamie n'en est pas moins une pratique très courante. Face au poids de la tradition et de la religion musulmane qui autorise jusqu'à quatre épouses pour un homme, cette loi n'a de fait jamais été appliquée.

Une nouvelle loi, souhaitant prendre en compte cet état de fait, a été votée par l'Assemblée en 2018 et a ouvert la voie à une légalisation de cette pratique en donnant la possibilité de choisir l'un ou l'autre des régimes matrimoniaux, en précisant que « faute pour l'homme de souscrire à l'une des options, le mariage est présumé placé sous le régime de la polygamie ». Mais l'opposition d'une partie des députées a conduit le président d'alors à revenir sur le texte initial pour finalement faire adopter une loi reconnaissant la monogamie comme le régime général du mariage et la polygamie comme une exception. Un exemple parmi d'autres des débats qui agitent la société guinéenne sur le sujet.

Dans la pratique, les foyers polygames sont monnaie courante. L'homme est alors de la garant du bon fonctionnement du foyer et il est censé faire face à ses nombreuses obligations. Il doit consacrer à chaque femme la même attention afin d’éviter la jalousie et doit par ailleurs s'assurer de subvenir aux besoins de toute sa famille, souvent nombreuse. Chaque jour, après sa journée de travail, il doit s’occuper avec soin et amour de l’une de ses femmes. De plus, il se doit d’arbitrer les disputes qui ne manquent jamais de survenir entre les différentes épouses.

Bref, aujourd’hui, et pour plus de commodités, la jeune génération préfère la monogamie et use de pratiques « moins officielles » avec discrétion.

Mariage forcé, mariage arrangé

Le mariage est ici avant tout une affaire de famille. Avant d'unir deux êtres, le mariage unit deux familles. Difficile, voire impossible pour un jeune Guinéen de se marier sans l'accord et la bénédiction de ses parents. Bien souvent d'ailleurs, ce sont les parents qui vont proposer un futur conjoint à leur enfant. Certains l'acceptent parce qu'ils en font la demande, d'autres se soumettent quand leurs parents estiment qu'il est temps pour eux de fonder une famille. Mais il n'est pas rare de nos jours encore que des jeunes à peine sortis de l'adolescence soient soumis à une telle pression qu'ils finissent par accepter un mariage contre leur volonté et alors même qu'ils n'ont pas atteint l'âge légal fixé à 18 ans. Il demeure quasi inconcevable pour une grande majorité de familles qu'un de ses enfants puisse rester célibataire, et d'autant plus pour une jeune fille. C'est une question d'honneur. Mieux vaut un mariage forcé qu'une naissance hors mariage, qui est souvent très mal vécue. Peu importe si le Code civil adopté en 2019 érige le consentement mutuel des époux en principe fondamental et si le Code pénal exprime l’interdiction formelle du mariage forcé. La pression sociale est encore bien souvent plus forte que les lois et le mariage coutumier une manière de les contourner. Le chemin sera long pour faire disparaître ces pratiques, mais cela ne fait pas peur aux militantes guinéennes de défense des droits des femmes qui, comme le Club des jeunes filles leaders de Guinée, se battent au quotidien pour le respect de leurs droits.