L’habitat autochtone

Les peuples du Grand Nord ont toujours su s’adapter au climat inhospitalier de la Sibérie. Si chaque peuple possède ses propres traditions, notamment en matière d’habitat, il existe, malgré tout, des caractéristiques communes à certaines zones de Sibérie. Ainsi en Sibérie centrale et occidentale, les peuples autochtones utilisent le tchoum, une tente mobile de forme conique constituée d’un nombre variable de perches, généralement de 20 à 50, plantées circulairement au sol et attachées entre elles au sommet. En hiver, les perches sont recouvertes de deux couches de peaux de rennes, tandis qu’en été, elles sont calfeutrées par des écorces de bouleau ou de la mousse. Le sol est isolé par une superposition de paille d’osier ou d’herbes sèches et de tapis en fourrure de renne. Le centre de la tente est occupé par le foyer, tandis que l’espace opposé à l’entrée est réservé aux objets sacrés. En Sibérie nord-orientale, les peuples autochtones s’abritent dans des yarangues, des tentes de forme cylindrique à la base et conique au sommet, forme offrant une résistance particulièrement efficace aux fortes bourrasques. En hiver, l’armature en bois est recouverte de tentures en fourrure de renne maintenues par de grosses pierres ou attachées à de solides traîneaux. Sol et murs sont également couverts de tapis en fourrure. Comme dans de nombreuses cultures nomades, le montage/démontage des tentes, ainsi que leur fabrication et leur entretien sont entièrement gérés par les femmes. Dans la province du Kamtchatka, les peuples autochtones privilégient un habitat plus sédentaire. Les maisons sont très basses, faites de rondins ou billes de bois équarris, tandis que les interstices sont bouchés avec de la mousse sèche. Les toits sont couverts de chaume ou de plusieurs couches d’écorce de mélèze dont dépasse à l’extrémité et sur les côtés un avant-toit. Le vitrage des fenêtres est réalisé en vessies de poisson cousues entre elles avec du nerf de renne séché. À ces maisons sont accolés des balagans, tentes coniques surélevées par 4 poteaux afin de protéger la nourriture qui y est entreposée, ainsi que des hautes armatures horizontales servant à faire sécher le poisson. Les autochtones du Kamtchatka ont généralement une résidence d’hiver (zimovie) à l’abri des collines boisées, et une résidence d’été (letovie) à proximité des rivières. À la belle saison, ces derniers peuvent aussi troquer les habitations en dur pour des tentes mobiles. Même s’ils privilégient aujourd’hui les yarangues ou les maisons de bois, certains chasseurs d’animaux marins utilisent encore des huttes semi-souterraines recouvertes de terre ou de mousse auxquelles on accède par le toit en été ou par une longue galerie en hiver. La peau de phoque est utilisée pour recouvrir sol et murs tandis que la graisse de baleine ou de morse sert à s’éclairer et se chauffer. Les éleveurs, notamment les Yakoutes, ont également adapté l’habitat des animaux à la rigueur du climat, comme le prouvent les khoton, étables en bois au toit plat, aux murs inclinés colmatés par de l’argile et de la bouse de vache, ce qui permet de maintenir la chaleur en hiver, et d’éloigner les moustiques en été grâce à la bouse brûlée. Enfin, nous pouvons terminer ce petit tour d’horizon par les étonnantes baloks, les cabanes montées sur patin, imaginées par le peuple dolgane.

Architecture religieuse

Les églises sont sans aucun doute les édifices les plus importants de la culture sibérienne. Elles sont au centre de tout. La plupart possèdent les grandes caractéristiques de l’architecture religieuse orthodoxe, parmi lesquelles le plan en croix grecque, donc avec quatre bras égaux permettant aux fidèles d’apercevoir l’autel quelle que soit leur position et de vivre pleinement ce christianisme contemplatif, et bien sûr les clochers à bulbe, également appelés clochers à oignons, directement inspirés des coupoles byzantines, mais adaptés à la rigueur du climat. En effet, leur alternance de formes convexes et concaves évite à la neige de s’entasser et donc de peser sur la structure. Ces dômes sont eux-mêmes couronnés d’une croix orthodoxe, d’un lanternon ou d’une flèche. À partir du XVIIIe siècle se développe le baroque sibérien, étonnant mélange témoignant de la multitude de nationalités présentes en Sibérie. On peut ainsi y déceler une richesse et une exubérance colorée héritées du baroque moscovite, des cintrages verticaux et des décors ciselés inspirés du baroque ukrainien, ou bien encore des formes élancées influencées par les stupas extrême-orientaux. À cela s’ajoutent des motifs purement russes tel le kokochnik, arc-diadème inspiré de la coiffure traditionnelle du même nom, élément uniquement décoratif de forme semi-circulaire et présentant une pointe légèrement ogivale au milieu de son sommet. Sa multiplication contribue à animer l’architecture d’ensemble. De manière générale, ces églises sont construites sans pilier et se caractérisent par un ensemble de volumes de plus en plus petits s’empilant les uns sur les autres, tous étant surmontés de dômes encadrant le dôme principal de la nef. Parmi les plus belles églises de ce style, notons l’église de l’Élévation-de-la-Croix à Irkoutsk. Originellement en bois, elle fut reconstruite en pierre en 1760. On appréciera le raffinement de ses façades ornées de formes géométriques et ses superbes arabesques animant ses volumes. À côté des églises, les monastères ont également joué un grand rôle en Sibérie, comme en témoignent le monastère Notre-Dame-du-Signe d’Abalak qui, au XVIIe siècle, était le seul édifice religieux en pierre, ou bien encore le monastère de Znamensky à Irkoutsk dont l’architecture mêle inspirations médiévales et éléments du baroque sibérien.

Architecture en bois

Lorsque l’on évoque la Sibérie, ce sont souvent ses maisons en bois qui viennent à l’esprit. Il faut dire que la région possède en la matière un patrimoine d’une richesse inestimable. La Sibérie regorge de forêts, rien d’étonnant donc à ce que l’architecture traditionnelle privilégie le bois. Mais l’accessibilité n’est pas la seule raison de l’utilisation de ce matériau noble et particulièrement esthétique. Le bois peut se déformer, mais il ne se rompt jamais, ses qualités intrinsèques lui permettant de s’adapter aux fluctuations du climat. Le mélèze, notamment, est particulièrement utilisé pour les fondations, du fait de sa très grande solidité et surtout de sa durabilité naturelle. Le pin, lui, permet de conserver la chaleur et est donc utilisé pour la structure générale des maisons. Le bois nécessite évidemment un entretien particulier et les Sibériens ne ménagent pas leurs efforts pour le protéger de l’humidité, en le badigeonnant de sel par exemple, ou en le recouvrant d’un badigeon spécial en été afin d’éloigner les insectes. La noblesse du bois est soulignée par la finesse et l’élégance avec laquelle il est travaillé. La précision avec laquelle les chambranles sont ciselés, les corniches et les toits sculptés, rappelle le travail des dentellières. La ville de Tomsk, outre son très beau musée de l’architecture de bois (situé dans une maison dont le bois a été sculpté à la mode Art nouveau), possède sans doute l’un des plus beaux ensembles de maisons en bois de Sibérie. Parmi les plus belles, notons la Maison de style pyramidal, à la jolie couleur bleue et aux portes et rosaces richement ornées de reliefs en bois sculptés ; la Maison aux oiseaux de feu et son superbe balcon sculpté (également appelé oriel) ; sans oublier la Maison aux dragons inspirée des églises en bois à étages et des chalets impériaux. À Irkoutsk, vous pourrez également admirer de superbes maisons de bois dont les ornements sont aussi décoratifs que symboliques. En effet, placés aux portes et fenêtres, ils doivent permettre de protéger la maison des mauvais esprits. Les maisons d’Irkoutsk ont quasiment toutes la même structure : un sous-sol, un haut porche, un balcon sur le côté arrière de la maison et 5 ou 6 fenêtres donnant sur la rue. Les maisons de Tioumen, elles, se caractérisent par des rangées de larges fenêtres, permises, malgré la rudesse du climat, par une structure extrêmement solide. Ces maisons, dont la plupart furent construites au XVIIIe siècle, ont appartenu aux élites qui pouvaient manifester leur importance et leur richesse à travers une riche ornementation. Elles ne sont pas à confondre avec les isbas, autres grandes représentantes de l’architecture en bois. Ces maisons paysannes sont faites de rondins de bois empilés horizontalement et équarris seulement sur la face intérieure. Ces constructions devaient être le plus simple possible afin d’être réalisées rapidement. Ainsi, nul besoin de clous ou d’outils complexes pour les construire. Au fil du temps, les isbas traditionnelles ont connu un grand nombre de modifications : le sol en terre battue a été remplacé par un plancher en bois, le poêle a supplanté l’âtre en pierre, le chaume du toit a fait place à la tôle (mais le toit, lui, est toujours pentu pour éviter l’amoncellement de neige) et les vessies d’animaux ont été remplacées par un véritable vitrage. Ce qui n’a pas changé, en revanche, est l’importance donnée à la décoration des portes et fenêtres. Très ancrées dans la culture populaire, certaines de ces isbas sont rachetées par des citadins en quête d’authenticité et réaménagées parfois avec un luxe bien étranger aux paysans sibériens d’antan !

Évolution des villes

Si l’on excepte les cités minières et autres villes nouvelles créées de toutes pièces à proximité des lieux d’extractions des matières premières et centres militaro-industriels, le plus souvent à l’époque soviétique, et victimes aujourd’hui de leur urbanisme quasiment inexistant et de leurs constructions sans âme pensées surtout pour loger rapidement et facilement la main-d’œuvre, on peut établir un processus de développement des villes en Sibérie, en particulier pour les plus anciennes, fondées dès le XVIe siècle. À l’origine de ces cités, on trouve les ostrog, les forteresses érigées par les colons cosaques. Au XVIIe siècle, la Sibérie était ainsi tenue par un réseau de forteresses calquées sur le quadrillage des voies fluviales. Ces ostrog étaient en bois, comme le montre la tour du fort d’Iakoutsk, à l’exception de la forteresse de Tobolsk bâtie en pierre. Rapidement, églises et monastères, vecteurs spirituels de la colonisation, se sont développés au sein de ces places fortes, donnant naissance à de véritables villes. À partir du XVIIIe siècle, deux types d’architectures se développent au cœur de ces villes. D’un côté l’architecture en bois dont nous venons de parler, et de l’autre une architecture officielle utilisée pour les bâtiments publics et administratifs et reflétant le goût pour l’ordre et l’équilibre du classicisme russe. Les grandes fortunes industrielles participent au développement des villes et les dotent de théâtres, bibliothèques, clubs et musées. À partir du XIXe siècle, on parle de néoclassicisme ou même de rétrospectivisme, mélange de classicisme russe, de style Empire et d’emprunts aux canons de la Renaissance. Les villes se transforment en véritables centres culturels, à l’image de Barnaoul ou Tomsk qui voit s’ouvrir la première université de Sibérie en 1880. Le goût du néoclassique se lit encore dans les constructions du XXe siècle, même si l’on voit se développer également des édifices de type constructiviste, sorte d’idéal romantique soviétique où la construction prime sur la décoration. Commencé en 1931, le théâtre de Novossibirsk, surnommé le « Colisée sibérien », du fait de sa taille impressionnante et de son dôme de 35 m de haut, en est un bel exemple. Durant la période communiste, le régime continue à utiliser les canons classiques, les bâtiments publics devant sublimer le pouvoir. En revanche, les habitants, eux, sont relégués en périphérie des villes, dans des barres standardisées et sans âme, créant un contraste saisissant avec les centres historiques. La Sibérie compte peu de réalisations contemporaines, à l’exception peut-être du centre scientifique d’Akademgorodok, en périphérie de Novossibirsk, avec son Academpark, surnommé la Silicon Valley de Sibérie du fait de son architecture quelque peu futuriste, surgissant de la forêt, à laquelle elle s’intègre curieusement plutôt bien.

Perspectives

L’enjeu majeur auquel fait face la Sibérie aujourd’hui est celui du réchauffement climatique. Ce dernier entraîne le dégel du permafrost et par là même une réduction notable de la portance des sols, c’est-à-dire leur capacité à supporter le poids des constructions. Ce risque majeur pèse aussi bien sur les immeubles d’habitation que sur les infrastructures industrielles, la plupart étant construits en béton, matériau qui ne résiste guère aux grandes amplitudes thermiques sibériennes. Ainsi, avant chaque nouvelle construction, il est obligatoire de consulter l’Institut du Permafrost, chargé d’étudier la structure des sols et donc à même de déterminer la nature des fondations et pilotis qu’il convient de mettre en place. Sans doute avez-vous également vu ces photos incroyables de villes abandonnées totalement ou partiellement… eh bien sachez que certains en imaginent la réhabilitation, comme le studio d’architectes AB-Elis Ltd et son projet fou de reconversion de la mine de diamant de Mirny. Ce cratère géant de 550 m de profondeur et de 1 200 m de large a inspiré à ces architectes une écocity, ville écologique qui épouserait les formes du cratère, qui posséderait une forêt et qui serait surplombée d’un dôme lui-même recouvert de panneaux photovoltaïques permettant à la ville d’être autosuffisante en énergie. Un projet fou vraiment ! Mais la Sibérie compte aussi de nouvelles initiatives bien réelles imaginées dans le cadre de la loi de l’hectare gratuit lancée en 2016 pour encourager le développement de la Sibérie extrême-orientale. Ce district de près de 200 millions d’hectares composé de 11 régions comme le Kamchatka perd chaque année plusieurs milliers d’habitants. Sa reconquête a donc été élevée au rang de priorité nationale par le gouvernement. Chacun peut faire une demande de parcelle gratuite en présentant un projet de développement (commerce, tourisme…) et au bout de 5 ans, si le projet s’est avéré viable et rentable, les porteurs du projet deviennent propriétaires de leur parcelle. Parc naturel sur l’île de Sakhaline, complexe touristique organique, artisanat 100 % bio et naturel… l’audace de ces nouveaux aventuriers fait écho à celle des premiers pionniers et dessine les contours d’une Sibérie renouant avec ses traditions.