Epoque coloniale

Ce sont principalement les colons hollandais qui ont laissé leur empreinte sur le Suriname. Cette présence a pris les traits de ce que l’on a appelé le style Dutch Colonial. La particularité de ce style est de reprendre certains codes de l’architecture hollandaise de l’époque, notamment dans les influences Renaissance, baroque et néoclassique, tout en les adaptant au climat local. Grès, bois et brique rouge en sont les matériaux phares. En matière d’habitat, les maisons de ce style se reconnaissent à leur base carrée en brique sur laquelle repose la structure en bois des murs. Les toits sont le plus souvent à pignons. Les façades, elles, sont rythmées de balcons en bois ou en ferronnerie dont on admire les entrelacs finement travaillés, de frontons triangulaires sculptés, ou d’impressionnantes colonnades auxquelles mènent d’élégants escaliers de pierre. Pour s’adapter au climat tropical, on multiplie les fenêtres pour assurer une ventilation naturelle constante tout en prenant garde de les munir de volets ou persiennes en bois afin d’éviter l’exposition directe au soleil, et l’on dote les demeures de grandes vérandas qui sont à la fois un espace d’accueil et de réception, et un élément structurel assurant aération et ombrage. Le blanc éclatant des structures principales contraste avec les couleurs vives des toits, portes et volets. Excellents artisans du bois, les colons hollandais sont également passés maîtres dans l’art de l’urbanisme et de la maîtrise de terrains hostiles, souvent humides et marécageux. La capitale, Paramaribo, dont le cœur historique avait été conçu sur les lignes de crête d’un promontoire offrant une zone d’aménagement sèche et préservée, a ensuite pu s’étendre grâce à des travaux d’assèchement des zones marécageuses alentour. En matière d’urbanisme, la ville porte encore fièrement son tracé en damier où de larges rues arborées mènent à la Place de l’Indépendance ornée de fontaines, et desservent également de nombreux parcs et espaces verts, dont le superbe et célèbre Jardin des Palmiers. Parmi les trésors de la capitale, dont le centre historique est classé au Patrimoine mondial de l’UNESCO depuis 2002, ne manquez pas : le Palais Présidentiel avec ses superbes galeries, portiques et terrasses ; le ministère des Finances avec sa structure monumentale en brique dotée d’un portail classique et d’un beffroi ; la mosquée Amadya et synagogue Neveh Shalom, unique synagogue du pays, aux allures de maison bourgeoise mais à la façade rythmée par un portique à 4 colonnes ioniques et surmonté d’un fronton triangulaire sculpté ; sans oublier la somptueuse cathédrale-basilique St.Pierre-et-Paul qui peut se targuer d’être l’une des plus grandes cathédrales en bois d’Amérique du Sud. Cet édifice unique témoigne de la manière dont les essences de bois locales peuvent se marier harmonieusement avec les attendus des styles européens : voyez les arcs en plein cintre et les colonnades néo-romanes, les hauts clochers (44 m tout de même !) néogothiques et surtout les chapiteaux aux étonnants motifs sculptés par des charpentiers créoles. Depuis sa rénovation dans les années 2000, la Cathédrale domine fièrement la ville de ses couleurs jaune et bleu-gris. Autre point d’intérêt : le boulevard Waterkant, l’une des plus anciennes et plus importantes rues de la capitale. Parmi les centaines de superbes bâtiments en bois d’un blanc immaculé dont les entrelacs des balcons et galeries donnent rythme et mouvement à la perspective de la rue, deux édifices ressortent tout particulièrement. La Banque Centrale du Suriname et la Balance Municipale, édifices commerciaux de premier ordre, ont, elles, été édifiées en briques enduites de plâtre et pierres. Des constructions en dur pour symboliser la permanence et la puissance du pouvoir économique ! Une économie basée sur le système des plantations dont le Suriname possède encore quelques témoins. Entre exploitation agricole et établissement préindustriel, la plantation est pensée pour mettre en valeur les terres à des fins spéculatives. Tours en moellons des moulins à vent, hangars à chaudières et autres entrepôts en brique, digues et rails d’acheminement jalonnent ces grandes propriétés au milieu desquelles trônent le plus souvent de grandes maisons de maître dont le faste contraste avec les logements à destination des esclaves puis des travailleurs, sortes de cases sommaires entourées de petits jardins. Concordia, Frederiksdorp et Mariënburg comptent parmi les sites de plantation les plus intéressants à visiter. C’est également sur le système de plantations que reposait l’ancienne colonie juive de Jodensavanne dont subsistent les vestiges de la synagogue Beracha Ve Shalom construite en briques importées, et point central d’un village de plan géométrique. Ce dernier conserve également un étonnant cimetière aux tombes élégamment décorées et dont certaines sont réalisées en marbre d’Europe. Non loin, se trouvait le Post Gelderland qui appartenait à un système de défense allant de la colonie à la côte. Une architecture militaire, dont le Fort Zeelandia et le Fort Neuw-Amsterdam, forteresse de pierre construite sur des fondations en terre et déployant sa structure bastionnée à 5 pointes, sont les plus beaux représentants.

Architecture vernaculaire

De l’habitat des peuples originels, Arawak, Caribes et Wayana, il ne reste que peu de témoins. Cependant, dans le but de préserver cet héritage, le pays mise de plus en plus sur un tourisme dit autochtone, qui se base sur un respect et une implication permanente des communautés locales, et un travail de pédagogie notamment dans la transmission des cultures et traditions. A Kalebaskreek, site uniquement accessible par bateau, un projet s’est développé avec la construction de maisons sur pilotis reconnaissables à leurs toits à deux pans à hauts pignons entièrement recouverts de chaume. Depuis 2015, au sud du pays, en pleine jungle, l’architecte Paul Spaltman accompagne la communauté locale Wayana dans la réalisation d’un grand projet comprenant un centre pour femmes, un centre pour visiteurs, de nombreux poulaillers, des maisons individuelles, un collège et d’étonnantes cabanes dans les arbres pour les visiteurs. Pour obtenir l’adhésion de la communauté, l’architecte a opté pour le rendu réaliste et clair de la 3D qui a permis à chacun de se projeter. Les habitants se chargent de la sélection et du travail des différentes essences de bois. Les structures sont réalisées en planches reliées par des cordes ou des matériaux naturels, mais jamais par des clous. Balustrades décoratives et bardeaux de toits sont également en bois. Bungalows sur pilotis, cabanes à étages portées par un seul puissant pilier central… les possibilités du bois sont infinies ! En parallèle, le Suriname a également vu se développer un type d’architecture bien particulier : celui des esclaves marrons qui ont fui les terribles conditions de vie et de travail sur les plantations en se réfugiant dans la jungle, puis de leurs descendants. Dans les villages de Pingpe et Semoisie, on peut découvrir ces maisons en planches de bois aux structures posées sur des fondations surélevées, avec des toitures à deux pans très pentues qui peuvent être en bois ou en tôle ondulée qui descendent presque jusqu’au sol et s’avancent légèrement en saillie pour protéger les façades. Ces dernières présentent de très belles alternances de bois clairs et sombres créant des motifs rythmés, ou sont parfois ornées de peintures aux couleurs vives, une tradition empruntée aux peuples caribéens, mais dont les motifs illustrent le pouvoir d’un art bien particulier : l’art Tembé. Art pictural, textile et sculptural, l’art Tembé se fait tout à la fois art décoratif et moyen de communication. Pour ces populations en grande majorité analphabètes, les lignes et formes géométriques, et les couleurs vives (rouge, blanc, noir au départ, puis jaune, vert et bleu ensuite pour symboliser les éléments) deviennent les lettres et les mots d’un langage puissant qui s’affiche en façade et sur les frontons des maisons. D’une façon générale, et sous bien des aspects, ces maisons rappellent la légendaire case créole. D’abord avec des sols en terre battue, toiture en feuilles de cannes et façade en panneaux de bois tressés, ces cases se sont ensuite « pérennisées » avec des fondations en dur, des toits en bois plutôt qu’en chaume et l’ajout d’éléments structurels, au premier rang desquels la véranda… un habitat modeste mais raffiné !

Modernité et perspective d’avenir

Difficile d’imaginer que la belle Paramaribo abrite au cœur de ses splendeurs coloniales une architecture toute de béton… et pourtant ! Entre 1950 et 1970, l’architecte hollandais Peter Jacobus Nagel y fut commissionné pour réaliser un certain nombre de grands édifices publics et commerciaux. Il fut d’ailleurs le premier à y créer une société d’ingénierie et d’architecture. Entre lignes épurées, blancheur immaculée et travail du décor et des motifs sculptés dans le béton inspirés de l’Art déco, et structures de verre et d’acier héritées du style International, l’architecte a laissé une empreinte pour le moins étonnante sur la ville. L’édifice moderne de la Banque du Suriname, grand monolithe de béton rectangulaire creusé pour créer un effet de profondeur et faire mieux ressortir la grande baie vitrée scandée par des « intercalaires » de béton ; le Bureau de Poste Principal, composé de volumes rectangulaires simples aux imposantes rangées de fenêtres mais abritant à l’intérieur halls et guichets aux sublimes fresques et décors de ferronnerie ; l’Assemblée nationale, avec ses volumes simples surmontés d’une sorte de petit pavillon au toit tout en courbe ; ou bien encore le Stade du Suriname… toutes ces créations modernistes sont signées Peter Jacobus Nagel ! Un sens de la simplicité et de l’épure que l’on retrouve dans un bâtiment beaucoup plus contemporain : la nouvelle Ambassade des Etats-Unis avec ses différents pavillons carrés ou rectangulaires rythmés de canopées et autres éléments en saillie, et reliés entre eux par des sentiers pédestres, des espaces verts et des plans d’eau. Une sobriété fort éloignée de la déferlante de faste de la Mosquée de la Kaizerstraat. Si le bâtiment central conserve un plan carré simple, il est cependant surmonté d’un imposant dôme à bulbe, entouré de puissantes colonnades et flanqué de trois minarets, eux-mêmes ponctués d’étonnants éléments décoratifs. Cependant, ces réalisations contemporaines ne doivent pas masquer le fait que le pays continue à souffrir des conséquences de décennies de crises économiques et politiques, laissant les richesses de son patrimoine à l’abandon. C’est pour inverser cette tendance que le gouvernement s’est associé à des ONG ainsi qu’à l’IDB (Inter-American Development Bank) pour lancer, en 2017, le programme Paramaribo Urban Rehabilitation. Ce dernier consiste à revitaliser le cœur historique de la capitale afin de préserver son inscription à l’UNESCO. Cela passe par des travaux de rénovation, mais aussi des réflexions sur une meilleure gestion du trafic, et la promotion d’activités économiques et résidentielles pour faire revenir les habitants qui avaient déserté le centre au profit de la périphérie. La reconstruction du Parliament Building, la transformation de la belle demeure d’Elisabeth Samson en musée, ou bien encore la création de commerces dans la Heerenstraat qui devrait également bénéficier d’un meilleur éclairage, de plus d’accessibilité pédestre et d’une signalétique visant à mettre en valeur les trésors du patrimoine, comptent parmi les premières réalisations visibles de ce projet. En parallèle, le pays se tourne vers une architecture contemporaine mêlant innovations techniques et matériaux naturels, motifs traditionnels et savoir-faire locaux. Premier pays, avec le Bhoutan, à avoir atteint la neutralité carbone, et à même absorber plus d’émissions de CO2 qu’il n’en consomme, le Suriname fait figure d’exemple. Les férus d’architecture n’ont qu’une hâte : découvrir les prochaines réalisations innovantes, durables mais résolument locales de cet étonnant petit pays !