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Du XVIe siècle au siècle des Lumières

Le plus ancien document retrouvé en langue slovène, les Brižinski spomeniki (les Feuillets de Freising), date de la fin du Xe siècle. Il faudra attendre quelques siècles pour que des auteurs s’engagent dans la défense de la langue. En 1584, Jurij Dalmatin (1547-1549), écrivain et théologien protestant, publie la première traduction de la Bible à Wittenberg, qui sera utilisée par les prêtres slovènes jusqu’au XVIIIe siècle, grâce à une autorisation papale. Au même siècle, le prêtre Primož Trubar (1508-1586), brillant orateur à la cathédrale de Ljubljana, influencé par la Réforme et la pensée de Martin Luther, finit par rompre avec Rome et publie lors de son exil en Allemagne une trentaine d’ouvrages, qu’il fait entrer clandestinement dans des fûts. Son Katekizem (Catéchisme) et son Abecednik (Abecedarium) sont les premiers livres publiés en langue slovène (1550). Sa traduction du Nouveau Testament paraîtra trente ans plus tard.

Même s’il n’est pas tout à fait question de langue slovène, nous ne pouvons pas ne pas évoquer l’historien Valvasor (1641-1693) qui apporta une importante contribution aux recherches de son temps en publiant son encyclopédie, L’Honneur du duché de Carniole (en langue allemande). Cette encyclopédie de quinze tomes permet d’appréhender la Slovénie de l’époque. C’est une riche source d’informations avec plus de 528 illustrations et de nombreuses annexes. Historien, géographe, imprimeur, Valvasor rédige son œuvre pendant près de vingt ans. Il évoque la Carniole sous tous ses aspects (histoire, légendes, géographie, techniques…). Ses dessins (costumes) et gravures (châteaux) demeurent de précieux documents. Il fut également membre de la Société royale de Londres pour la découverte des origines du lac de Cerknica. Voyager en Slovénie, c’est retrouver nécessairement les traces de ce grand voyageur.

Le baron Žiga Zois (1747-1819) encourage, par son humanisme et son mécénat, les écrits favorisant la création théâtrale d’Anton Tomaž Linhart (1756-1795), premier dramaturge slovène. Son adaptation du Mariage de Figaro (1781), qui connaîtra la censure, sera jouée en 1848. Žiga Zois appuie également la parution du premier journal slovène, rédigé par Valentin Vodnik (1758-1819), un ancien franciscain, devenu professeur au lycée de Ljubljana. Il publiera notamment le premier recueil de poésie slovène, Pesme za pokušino, Chants d’essai, et composera une ode à la gloire de Napoléon.

Au XIXe siècle : le slovène s’impose

Les premières grammaires consacrées à la langue slovène apparaissent à la fin du XVIIIe siècle. À cette époque, l’impératrice Marie-Thérèse s’emploie à réformer le royaume, notamment en matière d’enseignement. La scolarisation devient dès lors obligatoire, ce qui donnera naissance à une langue littéraire. Le XIXe siècle salue la naissance de celui qui est considéré comme l’une des grandes figures de la poésie slovène, France Prešeren (1800-1849). Aidé de son ami Matija Čop (1797-1835), un critique et esthète, grand connaisseur de la littérature européenne, il élaborera des formes poétiques complexes (sonnet, trochée, ghazel, canzone). Ses vers, d’une grande sensibilité, seront publiés un an avant sa mort dans le recueil Poezije. Grâce à lui, le dialecte de Carniole devient langue littéraire. Pour la petite histoire, l’hymne national n’est autre que la septième strophe de son poème Zdravljica (Le Toast).

Anton M. Slomšek (1800-1862) est lui aussi un grand défenseur de la langue slovène. Nommé évêque de Maribor, il s’opposera à la suprématie de la langue allemande. Auteur de chants populaires et de fables, pédagogue, il fonde la Société de Saint-Hermagor, une coopérative d’édition, afin de promouvoir la lecture. Il est également important de citer le linguiste Franc Miklo Šič (1813-1891), auteur d’une très importante Grammaire comparative des langues slaves et d’un Dictionnaire étymologique des langues slaves, ainsi que Fran Levstik (1831-1887), théoricien de la langue slovène, auteur dramatique, poète et romancier. Il nous livrera l’histoire de Martin Krpan, contrebandier en sel qui déjoue, grâce à sa force, les pièges tendus par l’empereur à Vienne. En pleine période d’éveil des nations, Fran Levstik exprime la lutte des petits face au pouvoir impérial. Évoquons aussi Josip Jurčič (1844-1881), auteur du premier roman slovène Deseti brat (Le Dixième Frère, 1866). Sa nouvelle, Le Janissaire slovène (1864), connaîtra un vif succès et de nombreuses traductions.

Arrêtons-nous à présent sur le poète lyrique Simon Gregorčič (1844-1906), surnommé « le rossignol de Gorizia ». Il exerce la prêtrise à Kobarid, une petite bourgade qui connaîtra la désolation au cours de la bataille de la Soča (1917). Dans ses odes, Simon Gregorčič exprime tout l’amour de la patrie. Ses vers possèdent des accents prémonitoires. Un amour malheureux, une maladie, une retraite avant l’heure… C’est l’un des poètes les plus aimés, compris et écoutés en Slovénie.

Au tournant du XXe siècle, la vie littéraire est marquée par le romancier et dramaturge Ivan Cankar (1876-1918). L’homme est considéré comme le plus grand écrivain slovène. Il débuta par la poésie (Erotika, 1899) avant de devenir dramaturge. L’école viennoise, Die Moderne, a influencé son œuvre. Socialiste, il participa à la vie politique. Dans son œuvre, Ivan Cankar dépasse le naturalisme pour dépeindre la confrontation de l’homme avec un monde hostile. Son Hlapec Jernej (Le Valet Jernej, 1907) demeure une œuvre maîtresse.

Le XXe siècle et ses auteurs engagés

Prêtre, romancier et dramaturge, Fran Finžgar (1871-1963) voit ses écrits jouir d’une grande popularité. Il évoque les migrations slaves dans son roman historique Sous le soleil libre (1907). Son œuvre est influencée par Sienkiewicz (1846-1916), grand auteur polonais prix Nobel de littérature en 1905. Fran Finžgar est un sympathisant du Front de libération durant la guerre. Son contemporain, Oton Župančič (1876-1949), est une autre grande figure de la poésie nationale. Ses vers, tous d’une grande qualité musicale, expriment l’harmonie du monde. Sensible au destin national, il a soutenu la Résistance et écrit des poèmes engagés contre le nazisme. Il est aussi l’auteur de pièces de théâtre et le créateur de Ciciban, un personnage pour les enfants devenu très populaire. Mentionnons aussi France Bevk (1890-1970), très affecté par la situation de sa province, rattachée à l’Italie après la Première Guerre mondiale, ce qui entraîna une mise à mort de la culture slovène par les fascistes. Son roman le plus connu, Kaplan Martin Čedermac (Le Vicaire Martin Čedermac), a pour héros un prêtre à qui l'on interdit de prêcher dans la langue slovène.

Dans le même temps, la poésie continue à s’imposer, notamment à travers l’œuvre de Srečko Kosovel (1904-1926), que l’on pourrait qualifier de poète de l’Ailleurs. Enfant du Karst, le jeune visionnaire meurt d’une méningite après avoir livré une œuvre fulgurante : quelques textes en prose  et pas moins de 1 200 poèmes ! Ses recueils ont été publiés après sa disparition. L’œuvre du jeune poète résistant Karel Destovnik Kajuh (1922-1944) est tout aussi marquante. Renvoyé du lycée pour propagande communiste, il sera interné en Serbie en 1941. Après avoir rejoint les partisans en 1943, il deviendra chef de l’organisation culturelle de la 14e division et sera abattu en février 1944. Ses vers évoquent avec nostalgie la liberté ainsi que les souffrances de l’homme emprisonné. La poésie contemporaine et d’avant-garde est quant à elle représentée par Dane Zajc (né en 1929), Boris A. Novak (né en 1953) et Tomaž Šalamun (né en 1941).

Côté prose, mentionnons Vladimir Bartol (1903-1967), célèbre pour son roman Alamut (1935, traduit en France en 1988), et surtout Drago Jančar, né en 1948 à Maribor. Ses œuvres ont été traduites en une vingtaine de langues. Son premier roman 35 degrés voit le jour en 1974 ; son deuxième, Galiote, en 1978. C’est en 1985 que sa pièce la plus connue, La Grande Valse brillante, est publiée. À découvrir aussi Le Regard de l’ange (1992), Désir moqueur (1993), Des bruits dans la tête (1998), Cette nuit, je l’ai vue (2014), livre ayant reçu le prix du Meilleur livre étranger, Six mois dans la vie de Ciril (2014), Et l’amour aussi a besoin de repos (2017). En 1993, il reçoit le prix Prešeren, prix littéraire le plus prestigieux, pour l’ensemble de son œuvre.

Quelques écrivains installés à l’étranger

Parmi la nouvelle génération d’auteurs, impossible de ne pas citer le nom de Brina Svit (née en 1954). Vivant à Paris depuis 1980, cette auteure slovène francophone a écrit ses premiers romans en slovène, puis a opté pour la langue française à partir de son cinquième roman Moreno qui a reçu le prix du Rayonnement de la langue et de la littérature françaises. En 2006, elle publie Un cœur de trop qui reçoit le prix de l’Académie française Maurice Genevoix. À lire également, Petit éloge de la rupture (2009), Une nuit à Reykjavik (2011), Visage slovène (2013) et Nouvelles définitions de l’amour (2017), recueil pour lequel elle a été finaliste au prix Goncourt de la nouvelle.

On retiendra aussi le nom d’auteurs de langue slovène installés à l’étranger. C’est le cas de Boris Pahor (né en 1913 à Trieste) et Florjan Lipuš (né en 1937 en Autriche). Boris Pahor restait, à l’heure où nous écrivons ces lignes, le plus vieil écrivain du monde ! Déporté dans plusieurs camps de la mort, son œuvre est fortement marquée par cette expérience traumatisante. Les lecteurs français l’ont découvert grâce son roman Pèlerin parmi les ombres (1990) dans lequel il évoque son expérience dans les camps de concentration. À lire également, Printemps difficile (1995), Quand Ulysse revient à Trieste (1955), La Villa sur le lac (1998), Jours obscurs (2001), La Porte dorée (2002), Dans le labyrinthe (2003) et L’Appel du navire (2008).