L’architecture inuite

On qualifie souvent l’habitat inuit de primitif… mais voilà qui est fort péjoratif lorsque l’on observe les trésors d’ingéniosité développés pour mettre en place un habitat construit à base de matériaux naturels et parfaitement adapté à l’environnement. En hiver, les Inuits privilégiaient les huttes de terre ou de gazon. Basses et carrées, elles étaient construites en pierre pour une meilleure isolation. Le Groenland étant pauvre en bois, le toit était recouvert de gazon et soutenu par des poutres en bois flotté, ce bois charrié par les océans. Ces huttes, encore visibles aujourd’hui, étaient construites à proximité de la mer pour faciliter les départs pour la pêche. L’igloo, qui signifie « maison » en inuit, lui, n’était que très peu répandu. Ce type d’habitation n’était utilisé qu’à l’extrême nord du pays où la mer gelait. Les blocs de neige étaient coupés selon différentes tailles grâce à des lames spéciales souvent en ardoise. Ils étaient ensuite disposés de manière à former un dôme parfait, permettant de libérer un espace intérieur suffisant pour s’y déplacer. La neige assurait une bonne isolation thermique, qui, ajoutée aux feux de camp et à la présence des habitants, permettait de maintenir une température tout à fait supportable. En été, saison de la cueillette et de la chasse, donc des déplacements, les Inuits utilisaient des tentes en peaux d’animaux, de phoques généralement, pour ne pas dormir à la belle étoile. La structure d’ensemble était soutenue à l’intérieur par un cadre en bois flotté et à l’extérieur, la peau était maintenue par de grosses pierres. Un habitat en parfaite adéquation avec la nature !

Vestiges vikings

Les Vikings, menés par le légendaire Erik le Rouge, ont laissé bien plus que des vestiges, puisque c’est Erik lui-même qui, impressionné par les fjords et vallées verdoyantes, donna son nom de « Terre Verte » (Green Land) au pays. En matière d’habitation, les Vikings utilisaient deux types de maisons. Celle en forme de bateau viking avec des côtés ovales, soutenus à l’extérieur par des poteaux en bois. Ces maisons longues pouvaient accueillir plusieurs familles. À l’intérieur, de longs bancs longeaient les murs et la cheminée était placée au centre, un trou dans le toit permettant d’évacuer la fumée. Du fait de l’absence de bois, les Vikings recouvraient leurs toits de gazon. L’autre forme très utilisée était la maison semi-souterraine, creusée à environ un mètre du sol. La terre environnante permettait une bonne isolation thermique. Il est possible d’observer les vestiges de ces habitats à Qassiarsuk où se trouve le site de Brattahild, nom donné à l’ancienne maison d’Erik le Rouge. On y trouve les ruines de deux salles de pierre et les traces d’une dizaine d’habitations. À Narsaq, une superbe maison longue a été mise à jour dans les années 1960. Elle serait en réalité le tout premier lieu où s’établit Erik le Rouge avant de fonder Brattahild. Mais les Vikings n’ont pas laissé que des vestiges civils, ils ont également laissé d’étonnants vestiges religieux, les peuples scandinaves ayant subi la christianisation forcée. À Igaliku, vous pourrez admirer les fondations de la cathédrale de Gardar, la plus grande cathédrale nordique du Moyen Âge… elle était en effet longue de 27 m et large de 16 m, et suivait un plan en croix. Non loin de Qaqortoq se trouvent les vestiges de l’église de Hvalsey, construite en pierre de taille avec des murs allant jusqu’à 1,5 m d’épaisseur ! Enfin, sur le site de Brattahild, vous découvrirez les vestiges de l’église Sainte-Thjodhild, considérée comme la toute première église construite sur le continent nord-américain. Tout comme les Inuits, les Vikings étaient très loin de l’image rustre et primitive qu’on leur attribue souvent.

Influences danoises

Sans doute avez-vous déjà vu des images des maisons colorées du Groenland… mais saviez-vous qu’il s’agit là d’une tradition héritée de l’époque de la colonisation par les Danois à la fin du XVIIIe siècle ? Pragmatiques et surtout désireux de continuer à bâtir en bois, comme ils le faisaient dans leur propre pays, les Danois ont importé leurs maisons par bateaux, sorte d’habitations en kit, qu’ils remontaient ensuite à destination. Le bois utilisé est un bois de construction d’essence résineuse, plus malléable. Les toits sont à pignons à charpente en bois. Quant aux couleurs, elles ont une signification : le rouge pour les commerces, le jaune pour les hôpitaux, le noir pour les postes de police, le vert pour les postes de communication et le bleu pour les usines et conserveries de poisson. Vous pourrez admirer ce bel héritage colonial dans le petit port de Nuuk, la capitale, ou bien dans la petite ville de Qaqortoq. Autre témoin de la présence danoise : la cathédrale Notre-Sauveur de Nuuk, construite à la fin du XIXe siècle et décrite comme la plus petite cathédrale du monde. Elle est bâtie selon les principes du culte luthérien imposé par les Danois.

Écueils de l’ère moderne

Pendant la Seconde Guerre mondiale, alors que le Danemark est sous domination nazie, le Groenland choisit de se rallier aux États-Unis. Les Américains décèlent rapidement l’aspect stratégique du Groenland et y font construire des bases militaires, comme celle de Thulé. Son agrandissement en 1951 entraîne l’expropriation et le déplacement de nombreuses populations inuites. C’est d’ailleurs la création de la base de Thulé qui engendra la création de la commune de Qaanaaq, la commune la plus septentrionale du pays. Cette injustice sera aggravée par un autre phénomène mis en place dans les années 1960. À cette époque, le gouvernement danois instaure une politique d’assimilation à marche forcée, obligeant les habitants des villages à venir vivre dans des barres d’immeuble sans âme qui fleurissent autour des villes, notamment à Nuuk. Sous couvert de pouvoir mieux gérer une population sinon dispersée et isolée, le gouvernement cherche en réalité à transformer les Inuits en parfaits citoyens, fournissant une main-d’œuvre supplémentaire aux pêcheries en plein essor. Problème : cette architecture moderne n’est absolument pas adaptée aux modes de vie inuits.

Regarder vers l’avenir

Aujourd’hui, de nouveaux quartiers apparaissent, tentant cette fois-ci de lier plus harmonieusement tradition et modernité. C’est surtout le cas dans les banlieues autour de Nuuk et notamment à Qinngorput. Là, de nombreux petits immeubles aux façades colorées ont fleuri. Les appartements y sont plus grands et surtout plus lumineux avec des fenêtres allant du sol au plafond et offrant une vue imprenable sur la nature environnante. Et surtout, comble du luxe, ces nouveaux logements possèdent des balcons où les habitants peuvent accrocher leur linge bien sûr, mais surtout leurs matériels et produits de pêche et de chasse ! De même, ces banlieues ont vu un retour à la tradition des maisons colorées. Mais cette fois-ci, ces maisons s’élèvent sur deux ou trois étages et surtout leurs couleurs ont changé. Finies les couleurs fonctionnelles. Désormais, le pourpre, l’orange ou le rose s’affichent fièrement et sans autre signification que le goût de leur propriétaire. D’ailleurs, il faut savoir qu’au Groenland, on ne possède jamais que sa maison. La terre, elle, est un bien collectif que personne ne peut posséder. Voilà pourquoi vous ne trouverez jamais de clôtures autour des maisons ! Cependant, ces nouvelles habitations n’empêchent pas certains habitants de perpétuer la tradition de l’architecture inuite et de ressortir les tentes en peaux de bêtes une fois les beaux jours revenus.

Le Groenland offre également quelques très belles réalisations contemporaines. À Nuuk, vous pourrez admirer le Centre culturel Katuaq, construit en 1997, et dont les courbes de la façade rappellent les ondulations des aurores boréales ; ou bien encore la superbe piscine baptisée Malik, qui signifie « vague » en groenlandais. Son toit en forme de vague s’inscrit harmonieusement dans le paysage, tandis que sa fenêtre panoramique offre clarté et luminosité. La ville s’est également dotée de « tours jumelles » dans le quartier de Jagtvej qui abritent les appartements les plus luxueux du pays. Deux autres superbes projets sont en cours de réalisation. Il y a d’abord la Galerie nationale dessinée par l’agence danoise BIG. Ce bâtiment se veut la métaphore architecturale d’un glacier. Ainsi ce grand anneau blanc doit-il épouser harmonieusement les formes du socle rocheux sur lequel il repose. Avec son plafond vitré, il offrira une vue imprenable sur la nature environnante. L’intérieur est, lui, conçu comme une sorte de labyrinthe, créant une dynamique, métaphore de la créativité. La ville de Nuuk va ensuite bientôt se doter de la toute première prison du pays. Imaginé par le cabinet Friis & Moltke, le bâtiment témoigne d’une vision engagée et humaniste de l’architecture. En effet, sans faire l’impasse sur la sécurité, les architectes ont imaginé un édifice faisant la part belle à la lumière et aux ouvertures, permettant une relation privilégiée à l’environnement extérieur, sachant l’influence de ce dernier sur le comportement humain. Intégrée à la roche arctique, cette prison sera une véritable première architecturale. Autre création contemporaine à ne pas manquer : le Centre des Visiteurs du fjord d’Ilulissat, imaginé par l’architecte danois Dorte Mandrup. Le fjord étant un site naturel classé au Patrimoine mondial de l’Unesco, l’architecte a imaginé une architecture respectueuse de cet environnement unique. Il dit lui-même s’être inspiré des ailes d’une chouette des neiges pour imaginer la structure sobre et simple de l’édifice.

Alors que des projets titanesques prévoient la création de nouveaux logements, d’un nouvel aéroport, et l’agrandissement des pistes existantes pour faire face à l’afflux de population que va engendrer l’exploitation des ressources minières dévoilées par le réchauffement climatique, les architectes font face à un défi de taille : imaginer une architecture qui respecte l’environnement, permettant un développement social harmonieux, et surtout qui renforce l’identité de toute une nation. Espérons que cela sera possible…