Des débuts pas si lointains

Le récit traditionnel groenlandais, jusqu’alors oral, est devenu œuvre écrite lors de l’apparition de l’imprimerie au sud du pays en 1857. Nous devons beaucoup au linguiste morave Samuel Petruc Kleinschmidt (1814-1886) qui invente, entre 1851 et 1873, l’orthographe utilisée pour écrire le groenlandais ! Il traduit aussi des morceaux de la Bible dans cette langue. Il y a également Hinrich Johannes Rink (1819-1893) fondateur du premier journal en langue groenlandaise Atuagagdliutit en 1861, et qui est le premier à collecter des histoires de tradition orale auprès des locaux. Vient ensuite Knud Rasmussen (1879-1933) qui est un explorateur et anthropologue danois. Il est même surnommé « le père de l’esquimaulogie ». Il a couché sur papier des légendes, contes, mythes et récits des anciens. Certains de ses écrits sont traduits en français comme En traîneau du Groenland à l’Alaska ; La Chasse à l’ours ; Du Groenland au Pacifique : deux ans d’intimité avec des tribus d’esquimaux inconnus

À la même période, Hans Hendrik (1834-1889) marque l’histoire de la littérature du pays. C’est en effet le premier à publier ses mémoires sur ses voyages en Arctique (1878). Jean Malaurie dresse d’ailleurs un portrait de lui remarquable dans son livre Ultima Thulé où il le décrit comme le premier explorateur groenlandais à avoir observé la population de Thulé au nord du pays, où il vécut un temps.

Le XXe siècle

Le Rêve d’un Groenlandais (1914) de Mathias Storch (1883-1957) est le premier roman groenlandais à paraître. Pasteur et enfant du pays, il est un des partisans de la modernisation du Groenland. Son personnage principal, Paavia, prend conscience du sous-développement des siens par rapport aux Danois et essaie d’y remédier. À la fin, dans un rêve, il imagine un Groenland libre et prospère dans un futur lointain. Quelques années plus tard est publié le roman d’anticipation d’Augo Lynge (1899-1959), Trois cents ans après. Il y décrit l’Arctique en 2021 vu de 1931, et c’est peut-être incroyable, mais il ne s’est pas trompé ! Lynge comprenait déjà parfaitement son époque, les évolutions en cours et où elles pouvaient mener le pays. Quant à Anita Conti (1899-1997), première femme océanographe française, elle a écrit en 1993 Racleurs d’océans, un livre de mer entre littérature et ethnologie. Enfin, nous nous devons de citer Jonathan Petersen (1881-1961) qui est le compositeur de l’hymne national du Groenland. Auteur d’articles pour des journaux, il a également traduit des nouvelles, écrit un manuel sur l’orthographe ainsi qu’un dictionnaire !

De nos jours

Certains noms ont réussi à traverser la mer pour rejoindre les étalages des librairies de France. Kelly Berthelsen (né en 1967), auteur de nouvelles d’un réalisme noir, publie en 2001 Je ferme les yeux pour couvrir l’obscurité. Défenseur de l’identité groenlandaise et de la langue, il y tient un discours teinté d’un profond désarroi. Cet auteur révèle clairement le Groenland des années 1970-1980 et est le premier à gagner une reconnaissance internationale. Il a reçu le Grand Prix de littérature du Conseil nordique. Citons également Jorn Riel (né en 1931), auteur danois qui a vécu au Groenland pendant plusieurs années. Ses œuvres présentent un certain intérêt ethnologique. Il a écrit une série de romans Les Racontars arctiques, ensuite adaptés en bande dessinée par Gwen de Bonneval et Hervé Tanquerelle : La Communauté, Les Voleurs de Carthage, Un petit détour et autres racontars. D’autres écrivains connaissent un certain succès. À commencer par Kim Leine (né en 1961) qui a vécu de nombreuses années au Groenland. Son premier roman autobiographique, Kalak, est publié en 2007. Il a réalisé de superbes ouvrages comme Tunu en 2009 et Les Prophètes du fjord de l’éternité en 2012. Pour ce roman historique traduit dans le monde entier, il reçoit le Grand Prix de littérature du Conseil nordique. En 2015, son roman L’Abîme évoque l’Europe de l’entre-deux-guerres. Autre nom de la littérature, Hans Anthon Lynge, né en 1947. Il est notamment renommé pour Juste avant l’arrivée du bateau pour lequel il a reçu le Grand Prix de littérature du Conseil nordique. Quant à l’autrice Niviaq Korneliussen, elle a gagné un concours de nouvelles grâce à son ouvrage San Francisco. En 2014, son roman Homo Sapienne rencontre un grand succès. C’est un roman à controverse sur la communauté gay. Elle y décrit la vie de cinq jeunes dans la ville de Nuuk. En 2019 est publié son roman Last Night in Nuuk. Pour finir, évoquons l’ancien président de l’Organisation Internationale des Inuits ICC et membre du parlement, Aqqaluk Lynge (né en 1947). Il fait partie des intellectuels ayant participé aux revendications identitaires : il a œuvré pour l’autonomie du Groenland et pour la reconnaissance des Inuits de l’Arctique comme un peuple unique. Auteur de plusieurs livres, il est particulièrement connu pour son œuvre poétique (Des veines du cœur au sommet de la pensée, 2012). Enfin, n’oublions pas l’homme de télévision et de radio Flemming Jensen (né en 1948 au Danemark). En 2012, son roman Imaqa : Une aventure au Groenland raconte l’histoire d’un instituteur danois qui, ressentant un vide dans son existence, se fait muter au Groenland, dans un hameau nommé Nunaqarfik, et découvre une nouvelle vie entre aventure, harmonie, amour et immensité !

La déesse de la mer

Les Inuits des régions arctiques ont toujours survécu grâce aux ressources naturelles et ont ainsi toujours eu conscience de faire partie intégrante de la nature. La légende la plus célèbre du Groenland, intitulée Sassumap arnaa, porte sur la déesse de la mer qui recueille dans sa chevelure ébouriffée tous les animaux afin de punir les hommes pour leur cupidité. Un chaman est envoyé pour l’apaiser et lui promettre que les hommes vont améliorer leur comportement. Il est alors autorisé à peigner ses cheveux de manière à permettre aux animaux de s’échapper de sa tignasse. L’anthropologue Jean-Michel Huctin explique ainsi : « Cette personnification traditionnelle d’une nature à la fois avare et généreuse enseignant aux Inuits le respect de ses lois cachées. Ceux-ci suivaient certains rites pour ne pas vexer les phoques, les baleines et les ours qui s’offraient à eux. Rien n’était gaspillé. » A l’heure du réchauffement climatique et des menaces de pollution, la déesse de la mer reste plus que jamais un symbole fort pour la lutte de la préservation de l’environnement. Et un beau sujet littéraire.