Chasse et pêche : des modes de vie encore bien ancrés

Ce mode de vie traditionnel existe encore de nos jours au Groenland. Plus de 2 500 familles en dépendent encore directement, surtout à l'est ou au nord du pays. C'est le cas par exemple de plus de 90 % de la population de Tiniteqilaaq. En 2009, 2 434 permis de chasse à temps plein dit Piniartoq (chasseur) et 8 031 permis de chasse à temps partiel dit Sunngiffimmi (chasseur sur temps libre) ont été délivrés, ce qui représente 18 % de la population totale. Si les chasseurs amateurs n’ont pas le droit de revendre les produits de leurs pêches, ils peuvent exceptionnellement le faire pour la viande à condition de ne pas causer de concurrence déloyale. Les Groenlandais sont aussi autorisés à chasser des rennes, des bœufs musqués, des lièvres polaires, des oiseaux, mais c’est surtout le rachat des poissons, dont le flétan et les crevettes par les usines (revendus à l’étranger), qui font le plus vivre les Groenlandais aujourd'hui. Les quotas de pêche sont quant à eux fixés annuellement sur la base des conseils biologiques fournis par Pinngortitaleriffik (Groenland Institut des ressources naturelles) en coopération avec plusieurs organisations internationales de pêche et également en étroite collaboration avec WWF. De manière générale, les pêcheurs gagnent très bien leur vie, surtout avec le réchauffement climatique qui augmente le nombre de poissons. Inversement, il est à noter une menace sur la culture traditionnelle de la chasse pour la même raison (banquise fragile, conditions météorologiques instables…).

Le kayak, une invention inuite

Le kayak – ou qajaq comme on l'appelle au Groenland, « bateau de l'homme » ou « bateau de chasseur » – est une invention des temps anciens qui était indispensable pour aller chasser et pêcher. Il est devenu le symbole par excellence de l’adaptation du peuple inuit aux conditions extrêmes de l’arctique. Dès leur plus jeune âge, les Inuits apprenaient donc à trouver leur équilibre sur une corde et manœuvrer sur ces embarcations. De nos jours, il est toujours utilisé à cet usage surtout dans le nord du pays (la région de Qaanaaq par exemple) où il est exigé de chasser les narvals de manière traditionnelle, à savoir à l’aide d’un kayak et d’une lance jetée à la main (bien plus difficile que la chasse moderne au fusil !).

Traîneau à chiens, le transport ultime

Si la pratique du kayak a pu faiblir ces dernières décennies au Groenland, c’est aussi le cas pour le traîneau, mais pour une raison différente : le réchauffement climatique et donc l’incertitude de la solidité de la banquise ou le manque de neige. Mais si les conditions sont favorables, les Groenlandais préféreront toujours leurs chiens à la motoneige : moins lourds, plus sûrs, plus économiques, sans panne d’essence ! Toutefois, les Groenlandais continuent de plus en plus à pêcher en bateau durant l’hiver, ce qui leur facilite grandement la tâche. Ceci est surtout vrai pour la région d’Ilulissat et moins pour le nord où, logiquement, il fait plus froid. Les traîneaux à chiens sont autorisés seulement au nord du cercle polaire sur la côte ouest et dans toutes les villes sur les côtes est et nord du pays. L’art du mushing s’apprend généralement dès le plus jeune âge, il est indispensable pour réussir à diriger avec autorité les chiens groenlandais coriaces et dotés d’une force incroyable ainsi que d’une capacité hors-norme pour lire l’environnement (sentir les trous ou les points d’eau, en général mauvais signe sur la banquise…). Les techniques diffèrent selon les régions et les terrains. Ainsi, vous verrez différents types de traîneaux selon les régions et donc le terrain pratiqué : dans la région de Thulé au nord, ils sont plutôt lourds et massifs en raison des longues distances ; dans la région d’Ilulissat en baie de Disko, ils sont plutôt courts et maniables en raison des montagnes escarpées ; à l’est, ils sont plutôt légers (inspirés des explorateurs Nanssen et Paul-Émile Victor ainsi que des attelages d’Europe et d’Alaska) en raison de la haute montagne et d’une quantité de neige plus importante. Différence notable également : les chiens sont tous attachés en éventail, mais deux par deux à l’est tandis qu’ils sont attachés un par un à l’ouest. Afin de s’adapter aux terrains accidentés, tous les traîneaux sont assemblés à l’aide de cordelettes et de tendons (sans clous). Auparavant, les mushers utilisaient de la peau de phoque pour faire leurs lignes de traits, mais on utilise aujourd'hui du nylon, le fouet (iperaataq) demeure par contre toujours en peau de phoque.

Modernité et identité

Le Groenland n'est pas qu'une terre de tradition, et certains Groenlandais s'offusquent lorsqu'ils voient leur pays réduit seulement au folklore inuit. Un mélange de cultures s'est développé depuis et une nouvelle identité s'est construite. Le Groenland moderne se révèle être un savant mélange entre modernité et traditions inuites. En arrivant sur place, vous serez probablement surpris par les aéroports bondés, les ports de pêche remplis, les entreprises modernes, les marques internationales, les institutions éducatives, l'architecture design contemporaine de certains buildings, les cinémas, les skateparks, les cafés, les téléphones portables… bien loin de la vision stéréotypée de l'Arctique ! Savez-vous par exemple que 98 % de la population utilise les services de télécommunications numériques ? Ou que le Groenland, via son entreprise Royal Greenland, est le plus grand fournisseur mondial de crevettes d'eau froide ? Une vie urbaine dynamique se retrouve dans les plus grandes villes du pays que sont Nuuk, Ilulissat et Sisimiut tandis que les plus petites villes continuent de vivre majoritairement de manière traditionnelle avec la pêche et la chasse aux phoques comme activités de subsistance.

Le caractère national groenlandais s’est progressivement imposé tout au long de l’histoire du pays, notamment lors de l'obtention des statuts d'autonomie face au Danemark consécutivement en 1979 puis en 2009. En dépit d’un certain populisme prodigué par certains partis politiques au pouvoir, une majorité de Groenlandais souhaitent conserver une relation privilégiée avec le Danemark envisagé pour l'instant comme partenaire égal plutôt qu’un pays dont il faut à tout prix se séparer. Il en résulte un fort trouble identitaire, similaire à tous les pays colonisés : l’appropriation « forcée » de la culture du pays colonisateur puis le besoin de se reconnecter avec sa culture d’origine (lire pour cela le remarquable ouvrage d'Albert Memmi intitulé Portrait du colonisé). À la différence du Canada, le Danemark – et en particulier la reine Margrethe II très appréciée sur place – aide et encourage les Groenlandais à renouer avec leur culture inuite.

Inuit, Eskimo, Kalaallit, Groenlandais, Danois : comment les appeler ?

Autant de mots pour désigner un seul et même peuple, de quoi semer le trouble ! Voici une rapide définition de chaque terme pour éclaircir un peu plus la problématique.

Inuit. Ce terme désigne les peuples autochtones vivant dans les régions arctiques du Canada, de l'Alaska et du Groenland. En groenlandais et en inuktitut (Canada), il signifie à la fois « les humains », « les gens » et les autochtones. Il est le pluriel d'Inuk. Au Groenland, la plupart des habitants n’ont pas l’habitude d’utiliser Inuit puisqu’ils se nomment eux-mêmes kalaallit. Certains néanmoins l'utilisent sans problème, dont des partis politiques indépendantistes (le parti inuit) ou la jeune génération qui emploie fréquemment ce hashtag sur Facebook ou Instagram : #proudtobeinuk. Quoi qu'il en soit, si vous voulez employer le terme inuit, peut-être la manière la plus judicieuse serait de dire : les Inuits du Groenland.

Eskimo. Ce terme proviendrait d'un mot algonquin du Canada signifiant non pas « mangeur de viande crue », mais « ceux qui parlent une langue étrangère ». Il a été repris ensuite par les premiers missionnaires franco-canadiens puis popularisé par les explorateurs au XIXe siècle jusqu'à s'écrire « esquimau » et donner lieu à la science de l'eskimologie (dont un centre de recherche existe à l'université de Copenhague). Vous entendrez souvent dire que cette appellation est péjorative, mais en réalité les Groenlandais ne réfutent pas vraiment ce terme et l'emploient parfois pour parler de l'ancien temps. Ainsi, « Toi, tu es un Eskimo » peut signifier « toi, tu es très traditionnel » !

Kalaallit - Groenlandais. Kalaallit signifie « les Groenlandais », c'est le pluriel de Kalaaleq. Ce nom a été choisi par les Groenlandais eux-mêmes. Il s'agit donc sans aucun doute de la meilleure appellation pour désigner les habitants du Groenland puisqu'elle est une autodésignation qui englobe tous les habitants autochtones du pays. Toutefois, cette appellation n’englobe pas les personnes d’origines étrangères souvent appelées « qallunaat », c'est-à-dire « les Blancs » ou les « Danois ».

Danois. Bien que les Groenlandais aient obtenu une autonomie renforcée, ils sont toujours officiellement de nationalité danoise en tant que territoire autonome du Danemark. Il n'empêche que le pays s'appelle officiellement Groenland (Kalaallit Nunaat) et que les habitants de ce même pays s'appellent officiellement des Groenlandais (Kalaallit) avec pour langue officielle le groenlandais (dit Kalaallisut). De plus, même si la nationalité groenlandaise n'existe pas réellement et n'est pas reconnue dans bon nombre de pays, ils ont le droit de demander un passeport groenlandais (non européen).