Richesses séculaires et vernaculaires

Encore peu exploré, le versant archéologique de l’Histoire du Congo recèle pourtant bien des trésors, datant des Grands Royaumes précoloniaux notamment. D’étonnants sites funéraires, comme ceux du Katanga dont les origines remontent au VIe siècle et de Kindoki occupé depuis le XIVe siècle, révèlent l’existence de rites funéraires extrêmement raffinés. Parmi les autres grands sites découverts, notons celui de Mashita Mbanza, « la ville des espoirs », qui abrite 7 collines disposées en cercles et dont la plus imposante mesure 20 m de long et 2 m de haut. Faites de terre, de charbon de bois et de débris de céramique, ces collines évoquent la puissance du Royaume Kongo ; tout comme le site de Ngongo Mbata où se devinent des sépultures et les fondations de maisons au plan géométrique. Dans la province du Maniema, vous pourrez découvrir les vestiges de la présence des commerçants arabo-swahilis qui y établirent des bases militaires et commerciales. Ils vivaient alors dans des boma ou bisusi, maisons fortifiées de plan rectangulaire avec un toit à deux pentes. Ils ont également créé une autre typologie de bâtiments baptisés Mukongo Ya Tembo, littéralement « dos d’éléphant », et que l’on retrouve partout dans la province. Ils développèrent également des voies de communication, et mirent l’accent sur un urbanisme cohérent dont la dimension sanitaire était l’un des aspects capitaux. Dans cette province, la ville de Kindu abrite également de nombreuses maisons en briques de terre cuite rouge, avec une toiture en tuiles ou en paille, et clôturées par des haies basses. De manière générale, en République Démocratique du Congo, l’habitat traditionnel se présente sous la forme de domaines familiaux délimités par des enceintes de bois ou de végétaux et composés de différentes huttes ou paillotes. Les huttes peuvent être de plan circulaire ou rectangulaire. Leur cadre est réalisé en bâtons et tiges de palmier sur lesquels on attache des plantes grimpantes. Ce treillis est ensuite rempli d’un mélange de sable et d’eau et parfois de ciment. Les toits, eux, sont en chaume. Chaque hutte possède une fonction propre (cuisine, stockage, résidence…) En règle générale, et chez les Bakongos en particulier, la terre clanique revêt une dimension patrimoniale et spirituelle. La terre est un don des dieux et doit être transmise de générations en générations sur des principes de solidarité et de durabilité… mais malheureusement ces terres ancestrales sont bien souvent absorbées par l’étirement des villes fondées, elles, sur la privatisation et la spéculation. Souvent, de ces terres, ne restent plus que les grands arbres qui y jouaient le rôle de point central et de rencontre. Parmi les autres types d’habitats vernaculaires du pays, citons également les huttes du peuple pygmée Mbuti, aux allures d’igloo et faites de jeunes plants courbés pour former un cadre sur lequel sont disposées des feuilles de mongongo. Le peuple Hima, lui, réalise des huttes dont la forme de dôme est obtenue en utilisant des bois résistants aux attaques de nuisibles tissés en spirale de manière à créer une ossature semblable à un panier renversé, sur laquelle on vient placer des herbes vivaces et touffues. A l’intérieur, les différents espaces sont délimités par des poteaux, tandis que des plateformes en bois et végétaux servent d’espaces de stockage. Et ce ne sont là que quelques exemples des nombreux trésors qu’il reste encore à découvrir !

Période coloniale

En matière architecturale, la période coloniale peut se diviser en trois phases. La première est celle de ceux que l’on a appelé « les arpenteurs » du territoire, les pionniers. C’est l’ère des constructions à ossature métallique, souvent préfabriquées pour répondre aux différents enjeux de l’époque : difficulté d’acheminement des matériaux, absence de main d’œuvre qualifiée d’où nécessité d’avoir des constructions rapides, modulables et facilement mises en œuvre. La ville de Mbanza-Ngungu, dont l’essor est indissociable de celui des chemins de fer qui se développent dès la fin du XIXe siècle, possède parmi les plus beaux exemples de cette architecture. L’ancien hôtel ABC, qui abrite aujourd’hui le Palais de Justice, impressionne par sa silhouette élégante dont les lignes rappellent l’Art nouveau mêlant fluidité et géométrie. L’école primaire Noki 2, elle, est un symbole des constructions phares de l’époque dans le Bas-Congo : les structures faites d’une ossature métallique sur laquelle sont accrochées des plaques de tôle embouties, c’est-à-dire travaillées pour laisser des saillies ornementales dont certaines ont des allures de diamants. Cette école a été créée par les Forges d’Aiseau en Belgique, également à l’origine de la Résidence du Premier Gouverneur du Congo à Boma. En matière purement résidentielle, la forme d’habitat privilégiée est celle des bungalows et structures pavillonnaires de plan carré ou rectangulaire, qui possèdent également une ossature métallique, mais que l’on rehausse par des pilotis afin de créer des vides sanitaires protecteurs. Leur toiture débordante, pensée pour protéger la maison des rayonnements du soleil, se termine souvent par d’élégants lambrequins. La présence de barza ou véranda périphérique entourant la maison permet également de mettre la façade en retrait et d’assurer ombrage et aération, tout en assurant un lien constant entre intérieur et extérieur. Mbanza-Ngungu, Lubumbashi et Boma possèdent encore de beaux exemples de cette architecture. Dès 1898, Stanleyville, aujourd’hui Kisangani, fait l’objet d’un premier arrêté d’urbanisme. La politique foncière et urbaine qui se met alors en place est clairement ségrégative. La « ville blanche », dont les logements sont alignés le long des voies de communication, possède des rues pavées et arborées, un système d’égouts, et un zoning clair selon les activités. Les « indigènes », eux, sont relégués dans des sortes de cités dortoirs insalubres et sans infrastructures séparées de la « ville blanche » par une zone tampon aux vertus prétendument sanitaires.

La seconde phase de cette période coloniale est marquée par une sorte de décalcomanie architecturale. Appliquant les codes urbanistiques des villes européennes, les colons belges répliquent également les styles historicistes et régionalistes en vogue sur le continent. Les églises et missions religieuses, vecteurs phares de la puissance coloniale, se dotent de tours clochers aux accents romans, de flèches et rosettes néogothiques, de pilastres et frontons néoclassiques, le tout en pierre et brique évidemment. La Cathédrale Saints-Pierre-et-Paul de Lubumbashi et l’église Sainte-Anne de Kinshasa en sont de parfaits exemples. Les villas cossues, elles, prennent des allures de chalets ou de cottages normands, tandis que certaines empruntent leurs pignons courbés au style Cape-Dutch venu d’Afrique du Sud. En parallèle, se développent des centaines d’ouvrages d’ingénierie, dont on peut encore apercevoir un peu partout les silhouettes. Parmi les plus étonnants, notons : le pont Mbuji-Mayi, pont à poutres en treillis d’une seule portée de 72 m ; le pont de Bukama en acier riveté et poutres à treillis de 248 m de long ; ou bien encore le pont de la rivière Inkisi de 100 m de portée et dont les 450 tonnes sont supportées par des fondations en béton.

Dans sa troisième phase, la période coloniale montre une volonté très claire de pérennisation, notamment via le Plan Décennal pour le Développement Economique et Social du Congo Belge. Pour ce faire, l’historicisme et le régionalisme totalement inadaptés à ces latitudes sont abandonnés au profit d’un modernisme tropical, combiné à des tentatives d’urbanisme climatique. L’orientation des bâtiments est ainsi calculée en fonction de la durée d’ensoleillement et les volumes sont étirés vers les axes les plus favorables. On retrouve les vérandas et balcons permettant le retrait des façades, mais on découvre également les brise-soleil et éléments en saillie créés pour former des auvents protecteurs. La Résidence Vangèle à Kinshasa est l’exemple type de ce modernisme tropical avec sa façade animée par des ailettes mobiles orientables selon le degré d’ensoleillement. A cette époque, un groupe d’architectes belges baptisé Yenga se fait connaître pour ses réalisations à la plastique très expressive et aux courbes sculpturales, comme le montre bien le Théâtre de Lubumbashi. Ce modernisme tropical va, par endroit, se doter des atours de l’Art déco dans sa déclinaison Streamline Modern. Celle que l’on surnomme « la villa bateau » avec sa terrasse en proue à Bukavu en est un parfait exemple. Au style international, les édifices de l’époque emprunteront les rangées de fenêtres symétriques et l’absence d’ornementation, que l’on retrouve dans des bâtiments officiels comme la mairie de Lubumbashi, ou dans les immeubles d’appartements qui partout apparaissent. A ces éléments modernistes pourront s’ajouter parfois des détails en pierre de taille, incorporés pour illustrer la puissance coloniale, comme le montrent l’église de Bonzola ou bien l’ancienne « Maison de Vacances de Thysville (Mbanza-Mgungu) » avec ses nombreuses terrasses et balustrades. En matière urbanistique, les colons belges créent l’OCA, Office des Cités Africaines, organisme qui se donne pour objectif d’imaginer des cités planifiées aux logements uniformisés de type pavillons ou petits immeubles d’habitations, souvent disposés en bande, à destination de la main d’œuvre des différentes entreprises minières et industrielles coloniales. Mais malgré la présence de meilleures infrastructures, la réalisation de travaux d’assainissement et asséchement des terrains marécageux, et l’existence de fonds de financement permettant aux Congolais d’accéder plus facilement à la propriété, ces cités peinent à répondre aux besoins d’une population qui ne cesse de croître et maintiennent surtout une organisation de l’espace clairement ségrégationniste. A Mbuji-Mayi, « la ville Miba », le noyau originel, illustre parfaitement cette séparation. Le quartier résidentiel européen est organisé selon un modèle concentrique avec les équipements au centre, tandis que les zones d’habitations « indigènes » sont disposées de façon linéaire à l’opposé. Une séparation qui sera encore plus flagrante avec la construction d’une nouvelle cité en face de la ville coloniale.

Depuis l’Indépendance

Les années 60 sont marquées par la persistance du style moderniste, désormais teinté de brutalisme, mais toujours pensé pour s’adapter au climat. Mbuji-Mayi, qui fait l’objet d’un nouveau plan d’urbanisation, voit apparaître de nouvelles constructions : des logements et villas pour fonctionnaires aux façades protégées par des parois ajourées et aux murs épais en pierres taillées plus isolants ; de nouveaux bâtiments officiels dont le bâtiment du Parquet composé de quatre édifices organisés autour d’une cour intérieure et dont les parois sont percées de multiples trous pour favoriser la ventilation, et le siège de la Socabanque doté d’un impressionnant auvent en porte-à-faux incliné et ajouré. Mais c’est bien sûr Kinshasa qui va faire l’objet de toutes les attentions. Sous l’ère Mobutu vont naître des édifices fondateurs pour l’identité congolaise (même si très vite nombreux ont été ceux à qualifier ces réalisations « d’éléphants blancs »… comprenez des réalisations grandiloquentes aux coûts d’entretien pharamineux !) : la Tour de l’échangeur de Limete qui domine la ville du haut de ses 210 m de béton, a été imaginée par l’architecte franco-tunisien Olivier-Clément Cacoub, et se compose de 4 colonnes de béton armé posées sur un socle sculptural qui s’ouvre sur un viaduc de 300 m de long menant lui-même à la plateforme des cérémonies. La tour est indissociable du grand boulevard de la ville, qui sous le mouvement de zaïrianisation et de recours à l’authenticité abandonne le nom de Léopold II pour devenir le grand Boulevard Lumumba. Le Palais du Peuple, le Stade des Martyrs, la célèbre Tour Sozacom à la silhouette à degrés, ou bien encore l’immeuble de la RTNC comptent parmi les autres bâtiments phares de l’époque à Kinshasa, qui abrite également le nouvel Institut du Bâtiment et des Travaux Publics. De nombreux plans de développement urbain ont été imaginés pour tenter de juguler la croissance exponentielle de la ville, mais pas un seul n’a été suivi. Pris entre un Parti-Etat soucieux de son image qu’il travaille à grands renforts de constructions grandiloquentes, et des chefs coutumiers qui répartissent terres et parcelles de façon plus qu’arbitraire, Kinshasa n’a cessé de croître de façon totalement anarchique. Cela est très visible dans les collines environnantes où des quartiers aux villas cossues font face à des quartiers où sont sortis de terre des centaines de logements sociaux, tandis que derrière se cachent des quartiers à l’extrême insalubrité, disposés sur les flancs les plus soumis à l’érosion et aux inondations et voyant pulluler des structures de pisé, paille ou boue qui ne résistent jamais longtemps. Sous la présidence de Joseph Kabila, de nouveaux projets de restructuration et réhabilitation tentent de dessiner un cadre pour la ville, notamment le pharaonique projet des « Cinq Chantiers » qui a pour objectif la construction de nouvelles voies de communication et un nouvel aéroport notamment… un projet entièrement financé par la Chine. En matière architecturale, le pays peine à être maître de son destin, d’autant que pèsent d’autres contraintes, comme le manque de main-d’œuvre qualifiée, la prédominance de matériaux de moindre qualité et des budgets plus que serrés. Mais depuis quelques années, une nouvelle génération d’architectes se bat pour dessiner les contours d’une nouvelle modernité plus ancrée dans l’histoire du pays et surtout plus durable. Soutenu par le Centre de Recherche Forestière Internationale, le projet de l’Université de Kisangani illustre parfaitement cette volonté avec sa toiture dotée d’un système de récupération des eaux de pluie, ses murs faits de briques de terre brute non polie plus isolantes que le béton et son absence de climatisation pour diminuer ses dépenses énergétiques. Mais pour imaginer l’architecture de demain, peut-être le pays devrait-il s’appuyer sur les œuvres de Bodys Isek Kingelez, l’un des plus grands artistes congolais, célèbre pour ses maquettes de villes utopiques d’où ressortait un optimisme sans faille envers le futur transmis par les couleurs et les formes oniriques des édifices les composant. Du chaos de la capitale où il créait, Kingelez faisait naître l’espoir et la beauté !