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Cultures et modes de vie

Les « Pygmées » constituent l'un des derniers ensembles de chasseurs-cueilleurs au monde et le plus important en nombre. Ils sont réputés pour leur très grande connaissance de la forêt équatoriale dont ils dépendent étroitement pour leur subsistance. Leur petite taille caractéristique (1,50 mètre en moyenne) proviendrait d’ailleurs d’une adaptation génétique au milieu, un avantage évolutif pour la vie en forêt. Leur culture et tradition orale (danses, chants, contes, cosmogonie) sont intimement liées à la forêt et font l’objet d’un grand intérêt, reconnus par l’UNESCO.

Les différents groupes, catégorisés un peu artificiellement par les Occidentaux sous le terme « pygmées », ont en commun d’avoir historiquement fait le choix d’une économie de chasse et de collecte, sans transformation du milieu par l'agriculture ou l'élevage. Ils ont également en commun d’être inscrits dans des rapports de dépendance et de subordination vis-à-vis des ethnies voisines. S’ils présentent des similitudes dans leur mode de vie et l’attachement à l’univers forestier, chaque groupe possède sa langue et des traits culturels propres. Des différences s’observent aussi d’un point de vue physique et génétique.

En RDC

On retrouve à l’est de la RDC les Mbuti (BaMbuti au pluriel) dans les forêts de l'Ituri, qui se divisent en trois groupes : Efè, Asua et Mbuti proprement dits. Les Aka, beaucoup moins nombreux, vivent quant à eux à l’extrême nord-ouest sur les rives du fleuve Oubangui. Enfin, les Twa et les Cwa, importants en nombre bien que morcelés et dispersés, sont présents au sud-est (dans les Kasaï) et au centre-ouest du pays (Equateur, Tshuapa, Mai-Ndombe). Parmi les Pygmées de RDC, ces derniers sont les plus sédentaires et les plus dépendants de leurs voisins agriculteurs, constituant une véritable caste au sein de ces sociétés.

Origines présumées

Jusqu'il y a peu, l’origine de ces différentes communautés restait un mystère, en l’absence d’une langue spécifique, d’un mythe fondateur commun, ou de vestiges archéologiques ; ainsi que face à la complexité de l’histoire des migrations dans le bassin du Congo. C’est la génétique qui a permis de lever le voile sur l’histoire de ces populations. Les récentes études font remonter l’existence d’un ancêtre commun aux bantous et pygmées à environ 60 000 ans. Provenant du Cameroun et du Nigéria, l’agriculture est importée en Afrique centrale il y a 5 000 ans. Certains groupes forestiers l’adoptent, tandis que d’autres conservent un mode de vie de chasseurs-cueilleurs. Des échanges se créent entre ces deux économies : viande sauvage et produits de la forêt contre produits agricoles, sels, fers, et poterie. Mais pendant longtemps, pas d’échanges de gènes… sans doute du fait d’un fort interdit de mariages entre ethnies, montrant ainsi l’ancienneté des relations d’évitements voire de discriminations.

Historique et découverte

On doit la première mention des « Pygmées » à Homère qui mentionne dans l’Iliade l’existence d’êtres mystérieux de petite taille, vivant aux confins du monde connu, aux sources du Nil, et qu’il nomme en grec pugmaios (haut d’une coudée, c’est-à-dire 45 cm !). On en retrouve ensuite la trace dans les écrits de Pline l’Ancien, d’Aristote et dans l’Égypte antique. Depuis ce temps, ces peuples de la forêt ont toujours été l’objet de mythes et d’affabulations. Il faudra attendre 1870 pour qu’un explorateur allemand Georg Schweinfurth confirme l’existence réelle des Pygmées dans la forêt de l’Ituri et les relie à ceux des êtres mythiques de l’Antiquité.

Politiques coloniales et sédentarisation

A l’époque coloniale, les autorités européennes mettent sur pied une « politique d’apprivoisement » des peuples pygmées dans une vision civilisatrice. Mobutu tentera également de les assimiler dans les années 1970 décrétant que « tous les Pygmées sont des Zaïrois ». Un régiment de Pygmées sera même créé à l’initiative du Maréchal au sein des Forces Armées Zaïroises, qui prendra part notamment aux affrontements de Kolwezi en 1978 et à la deuxième guerre du Shaba, aux cours desquels la plupart seront tués. Sous l’effet des changements économiques (le besoin de main-d’œuvre des paysans bantous) et de discours religieux et politiques dévalorisant la vie en forêt et prônant celle du village, les Pygmées s’engagent alors dans une dynamique de sédentarisation et d’adoption de l’agriculture. Intégrés à l’économie de marché, ils restent toutefois cantonnés à un rôle de fournisseurs de ressources forestières peu payés, ou de main-d’œuvre agricole corvéable et bon marché.

Exclusion et discrimination

Ces populations sont aujourd’hui toujours victimes d’exclusion et de stigmatisation de la part des populations non-pygmées, qui les considèrent souvent comme des êtres inférieurs. Relégués au rang de sauvages, de non-civilisés, ils subissent des comportements violents et discriminatoires (pratique de viols pour devenir prétendument invulnérable ou guérir du sida, interdiction de vendre sur les marchés, refus de manger dans le même plat, discrimination à l’école et dans les centres de santé…). A cela s’ajoute une précarisation croissante par l’exploitation des forêts qui leur servent d’habitat, de garde-manger et de pharmacie, et qui menace dès lors leur santé et le maintien de leurs savoirs traditionnels.

Pour cette raison, de nombreux programmes d’aide ont été mis sur pied en RDC par le biais d’associations et d’organisations. Celles-ci militent à la reconnaissance des droits des peuples autochtones des forêts d’Afrique centrale, reconnus par une déclaration des Nations Unies. Afin qu’ils aient accès, à leur demande, aux soins de santé, à l’éducation, au travail, au commerce, au droit et à la justice, dont ils ont été privés jusqu’ici.

Droits fondamentaux et enjeux climatiques

Grâce à la pression de ces organisations, avec en tête la Dynamique de Groupe de Peuples Autochtones (DGPA), l’Assemblée Nationale congolaise a adopté en 2021 un projet de loi garantissant les droits fondamentaux des peuples Pygmées (à travers la gratuité des soins, de l’enseignement secondaire, des frais de justice…), ainsi que la reconnaissance de leur culture. Sont ainsi garantis – sur papier à tout le moins – le droit à la participation civique, les droits socio-économiques et culturels ainsi que les droits fonciers, afin que ces populations puissent « participer activement à leur émancipation par l'autodétermination dans un environnement sain ». Et afin de « protéger et promouvoir les moyens de subsistance des populations autochtones pygmées, en vue de respecter leur culture et traditions dans une perspective de développement durable ».

En effet, leur rôle est aujourd’hui reconnu comme crucial dans la préservation des forêts et de la biodiversité. Le débat actuel sur la lutte contre les changements climatiques et l’implication des communautés locales amènent à s’interroger sur le potentiel que représentent les connaissances et pratiques de ceux qui observent la forêt changer au quotidien. Il est prévu qu’un « fonds national pour le développement des Pygmées » soit créé, afin de favoriser la mise en œuvre du texte de loi. Des financements sont également à trouver, car en RDC beaucoup de lois sont votées sans pouvoir être appliquées faute de moyens financiers…

Récents conflits fonciers

On assiste cependant dans le pays à l’émergence de conflits fonciers qui dégénèrent en conflits armés, entre populations pygmées réclamant leur droit à l’utilisation de leurs terres ancestrales, et communautés villageoises, dont les modifications du mode de vie affectent bien souvent celui de leurs voisins pygmées. Ces conflits fonciers sont liés à des enjeux agricoles (modification des pratiques) ou d’utilisation de ressources forestières (charbon de bois, viande de brousse), mais aussi démographiques avec l’augmentation de la population et parfois l’afflux de déplacés fuyant l’insécurité dans d’autres provinces et venant occuper ces terres. C’est le cas notamment dans la province du Tanganyika, où de nombreux morts sont à déplorer dans les deux camps depuis près de dix ans, sans que cela ne semble s’apaiser.

Au nom de la conservation de la nature

Autre point de discorde récurrent, en RDC (et singulièrement au Sud-Kivu, au sein du Parc National de Kahuzi-Biega) mais qui s’observe également dans les pays voisins : le peu d’égard des acteurs de la conservation de la nature envers les populations locales. Depuis plusieurs décennies, le modèle occidental de protection de la biodiversité, pour qui sauver la Nature c’est l’isoler des Hommes, entraîne une exclusion des populations pygmées des parcs nationaux, et de l’accès à « leurs » forêts où certaines pratiques leur sont ainsi soit interdites, soit restreintes, entraînant une grande incompréhension. Les communautés pygmées parlant ni plus ni moins de spoliation : ne rejetant pas la création de ces parcs, ils veulent juste y avoir « leur part ». S’opposent ainsi deux visions, en apparence inconciliables.

L’ONG Survival International dénonce dans un rapport publié en 2017 les « violences et persécutions commises à l’encontre des communautés pygmées au nom de la préservation des aires naturelles protégées ». Ces exactions sont le plus souvent le fait d’éco-gardes prenant les pygmées qui chassent pour leur subsistance, pour des cibles plus faciles que les grands braconniers armés. Cette lutte contre le braconnage est le plus souvent financées par de grandes ONG de conservation de la nature et des bailleurs internationaux, posant un problème de responsabilité pour ces institutions. L’implication des communautés locales (pygmées ou non) dans les stratégies de conservation restant une épineuse question… L'UNESCO reconnaît en effet la nécessité d’obtenir « le consentement libre, informé et préalable » des populations autochtones et riveraines avant d’imposer tout programme de conservation de la nature, et afin de mieux assurer la protection des parcs en question.

Comme le résume l’anthropologue Romain Duda : « ces populations restent aujourd’hui fortement dépendantes des grands espaces forestiers, en fonction de la disponibilité saisonnière des ressources (poissons, chenilles, miel, gibier), dont la mise en commun permet de garantir la stabilité sociale et le maintien de leur identité. Ces forêts sont cependant de plus en plus sujettes à l’accaparement des terres. Les plans gouvernementaux de gestion des ressources naturelles, calqués sur les prescriptions des instances internationales, ont facilité l’exploitation forestière, minière, les plantations industrielles et la création d’aires protégées. Ces populations se retrouvent donc à devoir négocier leur place ancestrale dans l’écosystème avec des acteurs dont ils ne partagent ni le langage ni la vision du monde ».

Pour en savoir plus

Florent de la Tullaye est l’auteur de deux films documentaires inspirants, traitant de problématiques en lien avec les peuples pygmées en RDC : Le Chant des Walés tourné avec Patrick Willocq chez les Ekonda en Equateur, autour de rites particuliers liés à la maternité.  Et Pygmée blues réalisé avec Renaud Barret, qui retrace le retour aux sources d’un couple pygmée ostracisé vivant à Kinshasa au moment d’entreprendre le voyage de retour vers leurs forêts de l’Equateur.