Epoque coloniale
La première phase d’urbanisation de la Nouvelle-Calédonie est intrinsèquement liée à la présence militaire. C’est particulièrement le cas à Nouméa, dont la création a été initiée par le capitaine Tardy de Montravel. D’importants travaux de remblayages y sont d’abord effectués, permettant de gagner du terrain sur la mer. Une fois le site établi, les militaires y ont dessiné un plan géométrique dont les rues se croisent à angle droit. Au départ plutôt austère, comme le montrent les forts autour desquels s’organisent la plupart des bourgs de l’île, l’architecture militaire s’adapte rapidement aux contraintes du climat, tout en conservant certains codes européens, comme le montre la grande caserne de Nouméa, dont on admire les 74 m de long, les deux étages à arcades en pierre de taille et ses galeries aérées. Ce mélange des genres va être poussé à son paroxysme par la toute puissante et tristement célèbre Administration Pénitentiaire. Les forçats ont été mis à contribution pour urbaniser l’île, se tuant littéralement à la tâche pour construire aussi bien les grandes infrastructures (ponts, routes, installations portuaires) que les bâtiments administratifs, les écoles et hôpitaux et même les temples et églises. Nombreux étaient les forçats à être choisis pour leurs compétences et savoir-faire. Du bagne proprement dit, il ne reste souvent que des vestiges envahis par la nature. Le site le plus important est le Bagne de Nouville. Au départ, les logements y étaient simplement réalisés en torchis, puis les forçats furent envoyés à travers l’île à la recherche de carrières où ils découvrirent la pierre rose de Nouville. Sur le site, qui abrite encore près de 170 bâtiments, ont été retrouvés des vestiges d’un four à chaux et d’une briqueterie (au plus fort de la production, cette dernière produisait jusqu’à 80 000 briques par mois), mais aussi d’un vaste quartier cellulaire et d’un quadrilatère plus « administratif ». Fort Teremba, ancien poste militaire transformé en colonie pénitentiaire, avec sa tour de guet, son mur d’enceinte, ses cellules voûtées, de même que son ancien wharf pour acheminer les matériaux ; ou le chantier de bûcheronnage du Bagne de Prony avec ses quais de chargement aux poteaux en bois imputrescible et ses vestiges de magasins et bâtiments en pierre de corail, sont d’émouvants témoins d’un système carcéral qui a transformé ses prisonniers en « bras armé » des urbanistes et architectes. Dimensions des édifices, hauteurs sous plafond, épaisseurs des murs et fondations… tout était entièrement standardisé. Mais tout comme les militaires avant elle, l’Administration Pénitentiaire emprunte aux codes européens, tout en s’adaptant au climat, dessinant les contours d’une architecture coloniale aux édifices plus sobres que dans les autres territoires d’outre-mer. Les maisons des commandants en sont les plus évidentes représentantes. La maison du commandant à La Foa révèle ainsi les caractéristiques phares de cette architecture : des fondations en pierre et brique avec vide sanitaire à claire-voie pour se prémunir de l’humidité tout en assurant une ventilation ; charpente et parquet en bois local ; grande hauteur sous plafond pour assurer l’aération des pièces ; séparation de la cuisine du corps principal et présence d’une véranda. Un style qui influença l’habitat individuel à travers l’île. Les premières habitations coloniales avaient la simplicité des cases créoles. Petites, aux toits en tôle peinte et ondulée et aux parois montées en clins de bois (revêtement en planches horizontales se recouvrant partiellement), ces habitations, souvent préfabriquées, étaient faciles à monter et à transformer, notamment grâce à leur plan géométrique et symétrique. Puis très rapidement, ces petites habitations sont devenues plus grandes et plus cossues, avec l’ajout de vérandas décorées de frises, de toitures passant de 2 à 4 pans et s’ornant de tourelles d’angles et d’une décoration très travaillée avec des lambrequins finement découpés et ciselés dans le métal ou le bois, des auvents métalliques élégamment courbés et placés au-dessus des fenêtres, des persiennes, des petits carreaux de verre cathédrale coloré et des épis de faîtage métallique aux allures de sculpture. Le jardin, d’agrément à l’avant et vivrier à l’arrière, est un autre élément phare de ces belles maisons coloniales. Nouméa possède aussi quelques superbes exemples de « villas caldoches », somptueuses demeures des élites françaises, où la pierre est reine, et où les codes européens sont parfois plus visibles, notamment dans les escaliers à double volée flanquant les façades. La Maison Célières et le Château Hagen sont des immanquables. En parallèle, la Nouvelle-Calédonie connaît une colonisation religieuse voyant catholiques et protestants s’affronter dans ce que beaucoup qualifièrent de « guerre des missions ». Croix, calvaires, statues et grottes mariales fleurissent le long des chemins, tandis que chaque bourg se dote d’une église ou d’un temple. Les églises des missions catholiques se caractérisent souvent par d’imposants clochers aux formes géométriques, souvent de couleur rouge contrastant avec la blancheur des murs, comme le clocher hexagonal flanqué de 2 tourelles rondes coiffées de guérites à toits coniques de l’église de Thio-Mission. Avec sa nef de 56 m x 12 m et sa façade ornée de statues et flanquée de 2 tours hautes de 25 m, la Cathédrale Saint-Joseph de Nouméa impressionne. Sa charpente voûtée en bois reposant sur 20 piliers engagés dans le mur, son plafond en planches de bois de kaori, sa tribune reposant sur 2 colonnes de tamanou et son lutrin en bois de kohu sont des chefs-d’œuvre des artisans forçats. Ces derniers ont également imprimé leur marque dans le Vieux Temple de la ville dont on admire les atours néogothiques, avec son escalier monumental en pierre menant à un porche ogival orné d’une rosace, ses superbes portes en bois sculpté, ses vitraux aux thèmes floraux, et son ébénisterie aux motifs gothiques (lancette, quadrilobe, entrelacs…)
Vers la modernité
Au tournant du siècle, d’étonnants exemples d’architecture métallique apparaissent, comme la Bibliothèque Bernheim à Nouméa. En partie installée dans l’ancien pavillon de la Nouvelle-Calédonie de l’Exposition Universelle de Paris de 1900, elle possède une charpente métallique dessinée par Gustave Eiffel. Autre très beau témoin de l’époque : la Passerelle Marguerite, pont suspendu en acier et à haubans, traversant la rivière Foa. Ses 48 m de long et 3 m de large ont d’abord été réalisés en France, avant d’être assemblés sur place en 1909. Le béton, lui, devient le matériau phare dès les années 20-30. Nouméa possède quelques exemples d’Art déco que l’on reconnaît à ses volumes simples et géométriques. Mais la ville abrite surtout quelques beaux exemples d’un style régionaliste qui tire profit des potentialités du béton, en le couplant avec la pierre. Faux colombages en ciment, toits à 2 pans dissymétriques et couverts de tuiles rouges, beaucoup de ces maisons ont une allure résolument néo-basque très appréciée de l’entrepreneur Jules Mary qui les fait construire, d’où leur surnom de « Maisons Mary » ! De la présence américaine durant la Seconde Guerre mondiale subsistent des bâtiments étonnants : les demi-lunes. De forme semi-circulaire, ces structures préfabriquées en tôle ondulée et couches d’acier inoxydable se montaient sur des arches en métal formant la charpente. Une fois les panneaux intérieurs reliés par des systèmes de clips d’attache, on plaçait les panneaux extérieurs. Cette double paroi permettait une meilleure isolation, tandis que la forme en cylindre assurait une faible prise au vent et permettait de dévier les éclats d’obus. Certaines de ces demi-lunes pouvaient être disposées sur des blocs de pierre ou des plateformes en béton pour éviter l’humidité. Faciles à construire et à entretenir, ces structures offraient de vastes volumes et pouvaient s’agrandir à l’infini. Motor Pool et Receiving, les deux quartiers de Nouméa à avoir gardé leur nom américain, étaient constitués de centaines de demi-lunes, tout comme l’île Nou. Après-guerre, les demi-lunes furent utilisées pour reloger rapidement et à bas prix la population, avant de progressivement disparaître. Aujourd’hui, celles qui subsistent ont été transformées en commerces et même en églises et en temples comme l’église Sainte Jeanne-d’Arc de Koumac et le Temple de Montravel. Etonnant ! A Nouméa, alors que la pression démographique n’a cessé d’augmenter, les activités industrielles se sont renforcées, créant une sectorisation de la ville qui rend visibles les inégalités. Les HLM de béton sont collés aux vastes complexes métallurgiques au Nord, tandis que complexes hôteliers, villas cossues et immeubles de standing, tous aux codes très standardisés, émergent au Sud dans les zones de Val Plaisance ou Tina. Et entre les deux, la ville a vu se développer de vastes zones de squats. Au départ, ces zones permettaient aux habitants des HLM de créer leurs petits jardins avec cabanons, puis progressivement, les cabanes sont devenues des maisons en dur. Lieux de prière, salles communes, jardins vivriers, ces zones, bien que sommaires, permettent malgré tout de maintenir un mode de vie traditionnel. En réponse à ses dérives, la municipalité de Nouméa lance, dans les années 2000, un vaste projet visant à améliorer le cadre de vie des habitants, tout en offrant un meilleur accueil aux touristes via le réaménagement de l’entrée Nord de la ville notamment. Du fait d’opérations d’urbanisme peu réfléchies, la ville avait progressivement tourné le dos à la mer. Une situation ubuesque que de nombreux architectes s’attellent à transformer en ouvrant de nouvelles perspectives et en créant des zones mixtes, comme sur le Quai Ferry. Ce dernier a vu apparaître un vaste bâtiment de 10 000 m2 à la belle façade de bois ajouré ponctuée de fleurs métalliques, tandis que restaurants et commerces réinvestissent les quais. Autre projet phare : la transformation du Musée de Nouvelle-Calédonie en MUZ. Porté par des architectes calédoniens, le projet propose un design ambitieux avec un bâtiment qui s’enroule comme un serpent autour du bâti existant, tandis que le revêtement de sa façade, fait de 24 000 écailles en bois et acier Corten, rappelle la peau du reptile. Pour agrandir les espaces, il a fallu abattre une centaine de pins colonnaires et cocotiers, mais ces derniers ont été réutilisés dans des ateliers de sculpture et tissage dont les œuvres seront présentées au musée. Ouverture prévue en 2024 !
Richesses kanakes
Chez les Kanaks, le bâtiment traditionnel est la case ronde, dont la plus importante est la Grande Case ou Case de la Chefferie, qui est construite par l’ensemble du clan. Il s’agit d’abord d’aménager un tertre en terre battue maintenu par un soutènement de pierres superposées sur lequel on place le pilier central en bois imputrescible, appelé rhéa. Des poteaux sont ensuite disposés en cercle autour du pilier central et réunis par un treillis de roseaux tressés. Le diamètre de la structure peut atteindre 9 m de diamètre et 12 m de haut. Pour les parois de la case, on utilise notamment le niaouli ou des feuilles de cocotiers tressées. Le pilier central, lui, soutient une imposante charpente circulaire. Si leur taille est plus modeste, les autres cases des tribus ou villages possèdent cette même forme de ruche. Elles s’organisent autour d’une allée centrale généralement bordée de cocotiers ou pins colonnaires et menant à la Grande Case. Si les matériaux traditionnels sont aujourd’hui souvent remplacés par le ciment et la tôle ondulée, les villages conservent cette même organisation spatiale. Dans cette architecture, tout est symbole. Le pilier central abrite l’âme des ancêtres de la tribu, tandis que chaque poteau abrite l’esprit d’un mort. Pour entrer, il faut à la fois enjamber l’énorme seuil et baisser la tête en passant sous le linteau, toujours très bas, en signe d’humilité. Autour du tertre sont disposés des pierres sacrées ainsi que deux perches au pied desquels poussent l’igname symbole du père et de l’été, et le taro symbole de la mère et de l’hiver. Mais les deux éléments décoratifs faisant l’objet de toutes les attentions restent la flèche faîtière et le chambranle. La première est toujours sculptée à partir d’une seule pièce de bois. Elle figure l’Aîné de la tribu, l’ancêtre totémique, de façon anthropomorphique ou géométrique. Son pied est calé par de la fibre de coco dans une corbeille surmontant le pilier central, son centre est constitué de la représentation de l’ancêtre, et son sommet est composé d’une tige ronde effilée sur laquelle sont enfilées des conques. Visible de tous, la flèche faîtière est l’emblème de la puissance du clan. Les chambranles désignent des appliques sculptées fichées de part et d’autre de l’entrée de la case. On y retrouve des visages ainsi que de nombreux motifs géométriques (zigzags, étoiles, ellipses…) De superbes cases sont à découvrir à Lifou, Oua Tom, Bopope et sur les îles Loyauté. La puissance symbolique kanake a également influencé l’art et l’architecture religieuse sur l’île. Rapidement, les missionnaires ont compris qu’il leur fallait intégrer la culture kanake à leur projet d’évangélisation. Il n’est ainsi pas rare de voir des églises non plus surmontées d’une croix mais d’une flèche faîtière, tandis que les intérieurs se font plus colorés, intégrant des motifs floraux ou géométriques et faisant la part belle aux essences locales. Dans l’église Saint-Louis de Nouméa, le lutrin représente un personnage kanak, tandis que le tabernacle, en forme de case, est encadré de 2 chambranles de porte oblongs et surmonté d’une flèche faîtière. La richesse du patrimoine kanak a également inspiré les architectes contemporains. Sur la presqu’île de Tina, le célèbre architecte Renzo Piano a imaginé le Centre Culturel Tjibaou. 10 grandes cases de bois et de verre tout en verticalité y sont alignées le long d’une allée centrale bordée de pins colonnaires et surplombées d’autres bâtiments de verre et de béton tout en horizontalité. Autour des cases, dignitaires kanaks et architectes paysagers ont imaginé un « chemin kanak », sorte de parcours initiatique à travers un somptueux jardin. Chez les Kanaks, le nom d’un clan est indissociable de la terre où ce dernier s’enracine, or le clan Tjibaou appartient au Nord de l’île. Il a donc fallu obtenir l’autorisation du chef de clan pour déplacer le nom jusqu’à Nouméa et organiser une cérémonie coutumière pour assurer la symbiose entre le centre culturel, son nom et sa terre. Autre intéressante réalisation contemporaine : la mairie de Hienghène, très belle réalisation bioclimatique dont les bâtiments sont organisés autour d’une allée centrale et dont on apprécie les structures mêlant socle en béton anthracite rappelant les roches noires locales et l’ossature en bois de pin des caraïbes tout en légèreté. Une preuve de plus que l’on peut respecter la tradition tout en dessinant un avenir plus durable !