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Architecture de légende

Les environs de Dublin vont vous faire remonter le temps. À moins d’une heure de la capitale, vous pourrez ainsi découvrir le célèbre et millénaire Tumulus de Newgrange, colline de 11 m de haut et 85 m de diamètre formée de près de 200 000 t de pierres abritant des galeries gravées et une chambre funéraire qui s’illumine à chaque solstice d’hiver ! Vous ferez ensuite un bond dans le temps et découvrirez les splendeurs du Haut Moyen Âge que sont les vestiges des monastères de Kells et Monasterboice, abritant notamment de hautes tours de pierre rondes aux silhouettes crénelées et percées de meurtrières, et d’imposantes croix celtiques ou High Crosses, chefs-d’œuvre de la sculpture de pierre chrétienne. Au départ, simples tertres entourés de palissades, puis donjons ou maisons-tours carrées en pierre crénelées et protégées par des fortins de bois puis par des remparts de pierre, les châteaux se transforment, sous l’impulsion des rois normands, en puissantes forteresses aux murs épais ornés de motifs géométriques (zigzags, damiers, chevrons…). Non loin de Dublin, la ville de Trim abrite la plus grande forteresse du pays au mur-rideau mesurant près de 440 m de long. À ne pas manquer non plus, le château de Malahide dont les plus anciennes fortifications datent du XIIe siècle. Mais s’il ne fallait visiter qu’un seul château, ce serait évidemment celui de Dublin. La Record Tower est l’un des seuls vestiges de la grande époque normande, tandis que, dans la crypte, vous pourrez observer les vestiges de la Powder Tower érigée sur les murs d’un ancien fortin datant de l’époque viking. Dublin abrite aussi de très beaux édifices religieux à l’image de la cathédrale Saint Patrick, plus longue église du pays, bâtie au XIIe siècle par les Normands sur l’emplacement d’une chapelle du Ve siècle et dont on admire les belles et lumineuses baies et arcades, ou bien encore la cathédrale Christ Church érigée sur le site d’une église en bois construite par les Vikings. Chose étonnante, sa crypte s’étend sur toute la longueur de l’édifice. Le sous-sol de la capitale est décidément riche d’histoire ! Peu marquée par la Renaissance et le baroque, Dublin se transforme surtout à la fin du XVIIe siècle avec la construction de ponts, la rénovation du château et la modernisation des fortifications que l’on adapte à l’artillerie moderne avec des plans en étoile, des murs épais renforcés de terre et des bastions en saillie. En matière résidentielle, l’époque est encore marquée par une prédominance des maisons à pignons, surtout curvilignes d’inspiration flamande, et par un style Tudor résolument médiéval.

Effervescence stylistique

Le XVIIIe siècle est celui des lignes classiques et des proportions à l’antique que l’on retrouve dans des édifices aux silhouettes ornées de colonnes, frontons, balustrades et corniches inspirés du palladianisme. C’est l’avènement du style géorgien oscillant entre une rigoureuse sobriété et une grande liberté formelle. La Leinster House et la prison de Kilmainham Gaol impressionnent par leur massivité et leur austérité... bien loin de la blancheur des colonnades et portiques de la Bank of Ireland ou des Chambres du Parlement. La Custom House surmontée d’un dôme cuivré et présentant une façade ornée de sculptures allégoriques, offre un autre bel exemple d’un néoclassicisme grandiose. Et n’oublions pas bien sûr le General Post Office, ou GPO, et son superbe portique ionique. Mais ces trésors sembleraient presque « fades » en comparaison de la folie architecturale que représente le Casino de Marino. Ici casino ne désigne pas un établissement de jeu, mais une petite maison… qui n’a de petit que le nom ! Chef-d’œuvre de l’architecte écossais néoclassique William Chambers, le Casino est un véritable palais miniature et temple de l’illusion : ses colonnes d’argile dissimulent les gouttières, ses fenêtres incurvées ont un effet réfléchissant empêchant de voir à l’intérieur et ses murs et plafonds sont couverts de trompe-l’œil en stucs et mosaïques. Élégance et majesté que l’on retrouve dans les grandes villas d’inspiration palladienne, telle Powerscourt House dans le Comté de Wicklow, avec sa longue façade (275 m tout de même !) ornée de lions héraldiques et d’une double rangée de colonnes incurvées. Ses décors de stucs tout en entrelacs, guirlandes et motifs floraux, ont été réalisés par les frères Lafranchini. Une influence italienne que l’on retrouve dans les somptueux jardins en terrasse. À Dublin, ce XVIIIe siècle géorgien va s’accompagner de nouvelles formes urbaines : les terraced houses, alignement de maisons mitoyennes le long d’une rue ou autour d’une place (square) créant harmonie et unité, sentiment renforcé par la sobriété de leur façade rehaussée par les volées de marches, cachant un rez-de-chaussée semi-enterré et menant à leurs superbes portes lambrissées et colorées surmontées d’impostes semi-circulaires richement décorées. Les plus beaux exemples sont à voir à Merrion Square. À cette sobriété succède l’étonnant éclectisme de l’ère victorienne. Durant cette période, l’architecture oscille entre emprunts au passé et prouesses d’ingénierie, mêlant la brique néogothique à l’architecture métallique. C’est aussi une période qui voit se développer les édifices à vocation éducative et pédagogique. Le Trinity College Museum Building est un des plus beaux exemples de cet éclectisme avec sa silhouette de palazzo vénitien, empruntant également aux arts byzantin et romano-lombard. Et n’oublions pas le campanile de l’université aux allures de beffroi dessiné par Charles Lanyon, le grand architecte de l’ère victorienne. Les serres des National Botanic Gardens impressionnent, elles, par leur élégante silhouette de verre et de métal. Autres chefs-d’œuvre victoriens : le National Museum of Archeology and History avec son hall d’entrée en forme de rotonde au sol recouvert de mosaïques, et bien sûr le Guinness Building, influencé par l’École de Chicago et tout premier édifice d’Irlande à plusieurs étages porté par une armature métallique. Polychromie de briques rouges et jaunes, décors moulés, grandes fenêtres de verre et balustrades en fer forgé caractérisent les maisons de l’époque victorienne. De très beaux exemples sont notamment à voir dans les quartiers de Rathmines et Pembroke. Oscillant entre classique géorgien et éclectisme victorien, les petites villes côtières aux alentours de Dublin, telle Dun Laoghaire, sont également des immanquables !

Architecture moderne et contemporaine

Au tournant du XXe siècle, l’architecture résidentielle tend à plus d’authenticité, s’inspirant notamment du mouvement Arts and Crafts. Tuiles colorées, porches en bois et fenêtres à battants viennent ainsi orner les maisons. Dans le quartier de Mount Merrion, ces belles demeures rustiques côtoient des maisons à la blancheur immaculée et aux lignes géométriques épurées, typiques du modernisme naissant. Face à l’augmentation de sa population, la ville lance dans les années 1920-1930 les « Dublin Corporation Houses », grandes propriétés divisées en maisons mitoyennes et organisées en croissant autour d’espaces verts. Si le béton est désormais la norme, le schéma urbain géorgien est encore d’actualité ! L’après-guerre, lui, est marqué par un style international inspiré des théories de Le Corbusier. Le bâtiment emblématique de la période est Busaras, la gare centrale des bus de Dublin, construite en 1953 par Michael Scott, et que l’on reconnaît à sa façade en béton rythmée par un alignement de vitres très… monotone. Sam Stephenson, lui, a inventé un brutalisme aux élégants contours, comme en témoigne la Banque Centrale de Dublin et les deux tours des Civic Offices mêlant béton, pierre et verre. Terre d’innovation architecturale, Dublin a continué à se redessiner sous les coups de crayons de célèbres architectes. Santiago Calatrava l’a doté de ses deux ponts emblématiques : le pont James Joyce à la silhouette rappelant un livre ouvert, et le pont Samuel Beckett dont la forme rappelle celle d’une harpe, l’emblème du pays. Dublin est aussi et surtout la ville de Shelley McNamara et Yvonne Farrell, fondatrices de l’agence Grafton Architects, et récipiendaires, en 2020, du prestigieux prix Pritzker, le Nobel d’architecture. Avec Zaha Hadid, elles sont les seules femmes à l’avoir reçu ! Créatrices d’une architecture sobre et épurée aux accents brutalistes, les deux architectes ont pour mots d’ordre : humanisme, altruisme et générosité. À Dublin, elles ont réalisé le département d’ingénierie mécanique du Trinity College et l’un des édifices du département des finances près de Stephen’s Square. Un dialogue réussi avec le bâti existant que l’on retrouve aussi dans la Millenium Wing de la National Gallery mêlant béton et pierre de Portland, ou bien encore dans le Trinity Long Room Hub alternant pierre et verre. Ancienne zone insalubre, Temple Bar, articulé autour de la Meeting House Square, est devenu le quartier à la mode, avec ses balcons aux formes insolites, ses façades colorées et surtout son célèbre Umbrella Project, fait de piliers-parasols rétractables protégeant la place centrale tout en laissant pénétrer la lumière. Autre étonnante requalification : celle de Grand Canal Dock. Daniel Libeskind y a imaginé le Bord Gais Energy Theatre, avec une superbe façade en miroirs et des volumes sculptés fluides et transparents, devenu le point focal du nouveau quartier de Grand Canal Harbor. Sur Grand Canal Square, la façade en damier du Marker Hotel est immanquable. Et n’hésitez pas à découvrir son lobby dessiné comme s’il avait été excavé du sol à la manière de la Chaussée des Géants. La tour Capital Dock Dublin surplombe du haut de ses 79 m ce quartier qui accueille également le Google Docks, plus grand bâtiment commercial de la ville, relié depuis 2014 aux deux autres buildings du géant américain (Gordon House et Gasworks House) par une étonnante passerelle de verre et de métal. Le Monument of Light ou Spire, l’aiguille de 120 m de haut sur O’Connell Street, et le Aviva Stadium à la silhouette ondulante comptent parmi les autres célèbres emblèmes de cette petite capitale aux grandes ambitions architecturales !