" C'est à La Nouvelle-Orléans qu'il faut venir, disais-je souvent à Manon, quand on veut goûter les vraies douceurs de l'amour, c'est ici qu'on s'aime sans intérêt, sans jalousie, sans inconstance. " C'est en ces mots que l'abbé Prévost, romancier et historien du XVIIIe siècle, décrivait en 1731 La Nouvelle-Orléans. Presque trois siècles plus tard, en 2022, cette admirable assertion brille d'actualité ! Porte d'entrée sudiste de la Louisiane, La Nouvelle-Orléans est une cité singulière où il fait bon vivre ! Mais, si elle concentre de nombreux atouts de l'État, elle ne le résume pas pour autant. Suggestion d'itinéraires dans une région pas comme les autres.

Carnet de route

Si vous n'arrivez ni de l'Ouest texan, ni du Mississippi au nord ou de l'Alabama à l'est, il y a fort à parier pour que vous pénétriez la ville via le Louis Armstrong Airport. Votre talon se met à battre la mesure à peine posé sur le tarmac ? Pas d'inquiétude, c'est la réaction normale ! C'est que, qu'on le veuille ou non, quelque chose chaloupe dans l'air louisianais. Quelque chose d'à la fois sensuel et trépidant. Quelque chose de rassurant, d'envoûtant. Porté par une touffeur tropicale, le taxi - dont le poste radio distribue les nouvelles entre deux standards de jazz - file déjà entre les méandres du Mississippi et le placide lac Pontchartrain pour vous déposer en une vingtaine de minutes en plein French Quarter !

Coeur vibrant de la ville, le Quartier français, avec ses façades antiques bardées de balcons ouvragés et ses commerces au charme désuet, semble ne jamais dormir. Un piano fatigué bourdonne un blues de ce côté ici, des fenêtres de cette gargote s'échappe une mélopée enjouée ou romantique, pendant que de l'autre côté de la rue parade un big band pour un mariage... ou un enterrement peut-être ? New Orleans a tant d'événements à fêter ! Tant de personnes à célébrer !

Pour mieux comprendre cette ville unique à bien des égards, il convient de se plonger dans son histoire. Une histoire dont l'origine moderne coïncide avec celle des États-Unis. Une fois le fil du temps remonté, nous nous pencherons avec enthousiasme sur les réjouissantes facettes de La Nouvelle-Orléans d'aujourd'hui : son patrimoine architectural unique, sa culture bien particulière, son époustouflante scène musicale et bien sûr sa gastronomie épicée !

Si La Nouvelle-Orléans est la capitale culturelle de la Louisiane, on ne saurait saisir l'essence de ce coin d'Amérique sans s'enfoncer un peu plus profondément dans son arrière-pays. Le pays cadien d'abord, dont la myriade de petites villes et villages semble flotter sur les marécages du fameux bayou louisianais. C'est sur les parquets grinçants des fais-dodo, sortes de saloons cadiens où l'endiablée musique zydeco se joue depuis belle lurette, que l'on fera connaissance avec un peuple attachant s'exprimant dans un français savoureux par son accent et ses expressions.

Autre facette de l'État louisianais qu'on ne peut taire : l'esclavage. Comme de nombreuses autres régions du monde, l'économie des régions conquises par les puissances européennes il y a trois siècles était basée sur un système esclavagiste particulièrement cruel et bien huilé. En arpentant les sentiers menant aux splendides demeures coloniales de Plantation Road, on pourra approcher d'un peu plus près la finesse architecturale de ces lieux d'exception, mais aussi la complexité des rapports entre maîtres et esclaves dans les champs de canne et de coton. Une immersion dans le Deep South en somme ! Pour terminer, nous pousserons l'excursion plus au nord de l'État, où la nature est reine. En définitive, où qu'ils se trouvent, qu'ils soient des campagnes cadiens ou des villes comme Bâton-Rouge (la capitale) ou Shreveport (nord), les Louisianais partagent le secret de la vie douce. Une sorte de loi tacite invitant à la joie de vivre, qu'une simple formule résume : Laissez les bons temps rouler !

La Nouvelle-Orléans, une cité à l'histoire ancienne

C'est au Français Sieur de Bienville que l'on doit la " découverte " par les Européens des terres louisianaises. Il y a un peu plus de trois siècles, l'homme s'engouffre dans l'embouchure du puissant Mississippi et en remonte les méandres. Affrontant les maringouins (sortes de mouches-moustiques ainsi baptisées par les Cadiens) et les difficultés à se mouvoir dans les marécages et plateaux inondés de ces terres basses, l'homme flaire la dimension stratégique du site. Bientôt, à son initiative, un comptoir est établi ici et nommé La Nouvelle-Orléans, en l'honneur du duc d'Orléans. La colonie naissante a besoin de main-d'oeuvre pour se développer. Elle attire trappeurs français et chasseurs canadiens, mais aussi un bel escadron de condamnés français à qui l'on proposa de troquer leur peine à la Bastille contre le bagne des marais. Peu à peu, ce coin du Mississippi se peuple et le comptoir en vient à ressembler à une petite ville : 1718 marque l'année de naissance officielle de la cité colonie française !

Les murs du fameux French Quarter se dressent grâce au labeur des esclaves noirs achetés par les colons. Puis les rues, ordonnées, rationnelles, se dessinent et s'étirent. On leur donne les noms des supposés fils illégitimes de Louis XIV : Conti, Toulouse et Maine comptent en effet parmi les plus vieilles artères du centre urbain colonial, distribuées autour de Jackson Square, centre parfait de La Nouvelle-Orléans. Les trois côtés de cette agora créole (le quatrième étant couvert par le Mississippi) abritent des merveilles d'architecture.

La St. Louis Cathedral d'abord, parfait échantillon du style français de la fin du XVIIIe siècle (1793 exactement). On trouve aussi le Presbytère, où résidaient naguère un groupe de moines capucins. Et enfin, le Cabildo. Cet édifice emblématique a très longtemps été le siège politique de la colonie française. C'est entre ses murs que fut d'ailleurs signé en 1803 le Louisiana Purchase, l'acte de vente de la Louisiane, française, aux États-Unis. À signaler également ici, le remarquable Couvent des Ursulines : installé sur Charles Street depuis 1745, la bâtisse a accueilli en son temps des religieuses venues de Rouen.

Paradoxalement, le Quartier français n'est pas - hormis quelques exceptions - si français que ça en termes d'architecture. Débarqués en ville en 1762, les Espagnols sont certainement ceux qui ont laissé leur empreinte la plus durable dans la silhouette de La Nouvelle-Orléans. Il faut dire que lorsque les conquistadores accostent, l'essentiel des constructions sont en bois, matériau fragile que le Grand incendie du 21 mars 1788 n'épargne pas : sur les quelque 1 100 bâtiments, 856 partent en fumée ! Pour la réédification, on favorise alors la brique. Bientôt, les portails à arcades s'ouvrant sur des cours intérieures accommodées d'élégantes fontaines - typiques de l'architecture coloniale espagnole - se multiplient. Les balcons des demeures et villas du Vieux Carré (l'autre nom du Quartier français) s'ornent quant à eux de volutes de fer forgé, subtiles, grâce au savoir-faire de gens de couleur libres fraîchement débarqués à La Nouvelle-Orléans suite à l'insurrection de Saint-Domingue initiée par Toussaint Louverture en 1791. En cette fin de siècle, la cité sur l'eau amalgame les populations, les mélange, et commence à bâtir son identité métisse. Le French Market fait office de symbole de ce creuset des cultures. Si ses étals sont d'abord réservés aux Amérindiens pour la vente d'herbes et épices, les cultivateurs allemands bientôt s'invitent, avant d'être rejoints par les commerçants italiens.

Alimentée par la matière première des plantations en amont du fleuve, la cité est alors plutôt prospère en cette fin de XVIIIe siècle. Si bien que les saloons commencent à fleurir aux quatre coins de la ville. Chrétiens pratiquants et nettement plus puritains que le reste des habitants de La Nouvelle-Orléans, les Américains, nouvellement propriétaires des lieux, ne sont toutefois pas séduits par la tournure décadente que prennent les moeurs ici. L'affaire est vite réglée : le 8 janvier 1815, la jeune nation américaine, sous le commandement du général Jackson et aidée par les Créoles, les Noirs libres et des pirates de tous bords, emporte la bataille de La Nouvelle-Orléans ! Les Anglais sont boutés. Commence alors l'âge d'or des bateaux à vapeur ! Des centaines de steamboats se mettent à décharger de manière ininterrompue dans le port de la cité balles de coton, de tabac et d'indigo. L'épanouissement économique est alors prodigieux, attirant de nouveaux immigrés. Plus tard, La Nouvelle-Orléans deviendra le plus vaste marché de coton au monde.

Héritage de cette époque et désormais attractions touristiques, les bateaux à aubes sillonnant le Mississippi - le City of New Orleans est peut-être la star dans le domaine - accueillent des visiteurs pour un dîner musical à l'heure du sunset ou pour de véritables croisières sur le fleuve ! Une expérience à ne pas manquer !

Quelque temps plus tard, entre 1853 et 1858, une épidémie de fièvre jaune emporte pas loin de 20 000 personnes (essentiellement des travailleurs venus d'Irlande et d'Allemagne). C'est à ce funeste épisode que l'on doit la construction de la plus édifiante cité des morts de La Nouvelle-Orléans : le cimetière Saint-Louis N°1 (en se promenant au hasard de ses allées, on tombera sûrement sur la pierre tombale de la célébrissime prêtresse vaudou Marie Laveau !). Puis, au printemps 1862, alors que l'Amérique est en pleine guerre de Sécession, la Louisiane, dans le camp de la Confédération des États du Sud, tombe aux mains de l'Union. Trois ans plus tard, l'esclavage est aboli. La ville traverse alors une obscure époque de reconstruction qui la mènera à l'aube du siècle suivant. C'est à cette époque que, non loin de Congo Square (actuelle porte d'entrée de Treme), se développe le quartier de débauche de Storyville. La bonne société créole et commerçante se presse dans ses cabarets pour assister, dissimulée derrière un festif masque de rigueur, aux excès de Mardi Gras. Cet antre grivois du jeu et de la prostitution, nettoyé au sortir de la Première Guerre mondiale, est le terreau d'un mouvement inouï qui gagnera bientôt le reste de l'Amérique, puis du monde. Ses noms fameux sont alors Louis Armstrong, Sidney Bechet ou encore Fats Domino... Oui, le jazz est né !

NOLA : culture, jazz et cuisine créole

On doit à l'artiste néo-orléanais Joël Lockhart Dyer cette tentative de définition de sa ville : " La Nouvelle-Orléans est la Venise de l'Amérique du Nord. Comme les Vénitiens, nous vivons un peu hors du temps. Nous nous battons contre la boue, la chaleur, la pluie et les insectes en essayant - si vous cherchez un peu - de créer un " Paris-sur-marécage ". Notre architecture et notre façon de vivre sont telles parce que nous avons une certaine attitude, une conception du temps différente de partout ailleurs aux États-Unis. La Nouvelle-Orléans ne changera pas - cela serait le début de son déclin - et pourtant elle évolue. "

Indéniablement, on ne vit pas à La Nouvelle-Orléans comme dans n'importe quelle grande ville nord-américaine. C'est un fait : New Orleans a son attitude, son cachet, sa signature. Le rapport au temps et à l'espace est différent ici. Il faut dire que la localisation même de la ville induit une certaine fragilité ayant elle-même pour conséquence une certaine " urgence de vivre ". La météo difficile et moite, la proximité permanente de l'eau et le danger que l'élément aquatique représente (l'ouragan Katrina ne s'est pas privé de le rappeler aux résidents en 2005) sont en effet autant d'éléments contribuant à créer une ambiance singulière. Peut-être procède-t-elle d'une fatalité bienheureuse, mais la douceur de vivre est bien réelle. Comme si la vie était une affaire trop dangereuse pour être prise au sérieux, on a ici l'habitude de laisser les petits bonheurs venir à soi. C'est bien cette philosophie épicurienne qui a valu à la ville son plus célèbre sobriquet : The Big Easy ! Là où la vie est facile !

Côté culture, les images d'Épinal sont légion en ville. Chaque quartier a ses institutions, ses légendes, ses restaurants et ses bars musicaux. Commençons par le Café du Monde, en plein French Quarter. On sert invariablement depuis 1860, sous ses tonnelles rayées de vert et de blanc, des beignets au sucre et du café au lait et à la chicorée. Passage obligé ! Les espaces verts de la ville valent le détour aussi, à l'image du dédale que propose le City Park ou le plus paisible Audubon Park et ses chênes centenaires.

On rejoint ce dernier via un streetcar, l'un de ces antiques tramways roulant bruyamment le long de St. Charles Avenue et qui évoque à coup sûr Un Tramway nommé Désir de Tennessee Williams ! Du côté du Faubourg Marigny, on ira flâner du côté de Frenchmen Street, rue des bars musicaux se présentant comme la relève de la célèbre Bourbon Street, désormais devenue une version bien trop touristique d'elle-même ! Du côté de Frenchmen en revanche, la légende du jazz New Orleans continue de s'écrire, au Snug Harbor ou au Spotted Cat, pour ne citer que quelques temples du live. On s'assied ici ou là, on commande un café brûlot et on se laisse voguer, porté par les notes chauffées au cuivre d'une nostalgie dont seule New Orleans peut accoucher. Non loin, le Preservation Hall, salle de concert toute en bois baignant dans son jus, semble sur le point de s'écrouler. C'est pourtant là que les meilleurs musiciens et brass-bands maintiennent bien vivante l'âme de la ville ! Bref, qu'ils soient épris de jazz, blues, rockabilly ou du plus local zydeco (dont le nom provient, charmante distorsion linguistique, de la ritournelle cadienne " Les z'haricots sont pas salés ! "), les mélomanes sont rassasiés !

La promenade continuera sur Esplanade Avenue dont les deux flancs sont bordés de demeures victoriennes absolument somptueuses et le plafond constitué d'une voûte végétale plus que centenaire. Parmi les plus notables, signalons celle qu'occupa le peintre Edgar Degas en 1872. Voisine, une villa non moins majestueuse et de style Greek Revival (grec antique revisité) abrite le Musée de  f.p.c., qui retrace la passionnante histoire des Free people of color de la ville (Gens de couleur libres). En redescendant vers le vieux centre, on croisera les multicolores shotgun houses du Bywater. Jadis populaire, ce quartier a tendance à se gentrifier et accueille de plus en plus de galeries d'art et autres locaux commerciaux conceptuels et hypes, mais aussi des cafés branchés et autres lieux de culture vivante. De l'autre côté de Canal Street, artère centrale de la ville nouvelle, on arpentera les rues du CBD et ses restaurants de luxe. En poussant un peu plus à l'ouest, on tombe sur Magazine Street et ses alentours, zone très fréquentée le week-end en raison de nombreuses adresses gourmandes et coquettes qu'elle concentre. Le quartier ne manque pas de disquaires hyper pointus et de friperies chic non plus !

Impossible de parler de La Nouvelle-Orléans sans évoquer son carnaval. Pour en apprendre davantage sur les coulisses de l'un des plus déjantés carnavals du monde, rendez-vous dans le colossal entrepôt de Mardi Gras World, où se trouvent les ateliers de création des costumes et chars de la grande fête depuis 1947 ! Autre événement incontournable de la Big Easy : le Jazz Fest naturellement ! Il s'agit tout simplement de l'un des plus importants festivals de jazz au monde. C'est autour de ces deux événements festifs majeurs que la ville trouve son rythme tout au long de l'année. À n'en point douter, la fête est un exutoire ici, tout comme le sont le blues que chantent les buskers (chanteurs de rue) au coin des boulevards, le gospel dans les églises le dimanche (les negro-spirituals de St. Augustine Church sont saisissants) ou le vaudou pratiqué dans des temples qui échappent aux regards. Toutes ces pratiques sont nées de la rencontre entre le christianisme imposé par les ségrégationnistes et les croyances tribales des esclaves ouest-africains amenés malgré eux jusqu'ici. Une rencontre douloureuse dont les liens intimes sont certainement à l'origine d'un certain nombre de défis sociaux et raciaux auxquels la Louisiane - mais aussi l'Amérique dans son ensemble - ne cesse de faire face.

Autre aspect essentiel de La Nouvelle-Orléans : la gastronomie !

À l'image de sa population, à l'image de la multitude d'influences qui donnèrent naissance au jazz, la cuisine louisianaise est le fruit d'un savant métissage qui séduira les gourmets de tout poil. Issue de 300 ans d'emprunts, d'incorporations et de mijotage lent, elle n'a sa pareille nulle part dans le monde. Ainsi, les Français sont à l'origine des sauces (étouffée, piquante, bisque, etc.) et du pain.

À l'Espagne, on doit l'iconique jambalaya (sorte de paella épicée typique). Les Africains ont ajouté l'okra et la grillade. La Caraïbe importa ses fruits et légumes tropicaux. Les charcuteries et l'usage de la moutarde sont dus aux Allemands. Les Amérindiens ont mis sur la table herbes aromatiques et maïs. L'Italie a contribué au melting-pot avec ses pâtes naturellement, mais aussi ses sandwichs dont la muffuletta est la version la plus consistante ! Last but not least : le considérable apport des Cadiens. Chassé de l'actuelle Nouvelle-Écosse au Canada par les Britanniques, ce peuple francophone a dû à l'époque se réfugier dans les bayous et survivre comme il pouvait. Ils se mirent alors à cuisinier des cuisses de ouaouarons (grenouille) et des spicy gators (alligator sauce piquante). Le crawfish (écrevisse) piquant est également une recette classique des marmites cadiennes. Voilà en quelques mots les principaux ingrédients de la savoureuse cuisine créole de Louisiane ! Ah, n'oubliez pas de commander un po'boy (baguette locale garnie de viande ou d'huîtres du Delta) et de goûter à un gombo (soupe à base d'okra, crustacés, saucisson de porc et riz aux épices), il s'agit là de deux des recettes les plus communes de l'État !

Le Pays cadien

Pour partir à la découverte du Pays cadien, on mettra le cap sur le sud-ouest. Entre terre et eau, ici règne le swamp : le marais ! La meilleure manière de faire connaissance avec cet environnement unique et surréaliste est encore de louer un kayak. Breaux Bridge, capitale de l'écrevisse et temple des antiquaires est à cet égard un bon point de départ. Alentour se dessine en effet l'hiératique bassin de l'Atchafalaya dont les Cadiens furent les premiers occupants et sa faune nombreuse (renards, ours, loutres, serpents, alligators, crapauds-buffles et pas loin de 300 espèces d'oiseaux !). Au rythme tranquille de la pagaie perçant délicatement la surface paisible des eaux troubles, on évolue dans un décor fantomatique tissé de mousses espagnoles, presque spectrales, suspendues aux bras tortueux des cyprès immergés.

Un moment proprement extatique ! Historiquement, la région fut d'abord peuplée par des trappeurs vers 1760. À la même époque sont expropriés les francophones d'Acadie (actuelle région du Canada), récemment conquise par les Anglais : il s'agit de l'épisode dit du " Grand Dérangement ". Des milliers d'entre eux vont alors s'installer en Louisiane, territoire français devenu entre-temps une colonie espagnole.

À Vermilionville, on verra d'authentiques bâtiments traditionnels ou des reconstitutions que font vivre des artisans costumés, présentant dans un français charmant les offices de l'époque. Pour une version plus contemporaine de cette culture, direction Lafayette, capitale du Pays cadien. Paisible en semaine, les parquets de ses fais-dodos se mettent à grincer joyeusement au son des violons quand vient le week-end. Et que dire de l'ambiance survoltée du Festival International de Louisiane, au printemps ! Vous apercevant reprendre votre souffle entre deux pas de danse endiablée, un autochtone vous gratifiera à coup sûr d'un chaleureux " Lâche pas la patate ! " (N'abandonne pas !) avant de prendre congé de vous avec un bécot doux (bisou). Signalons ici que la Louisiane a officiellement rejoint la grande famille de la francophonie en 2018 ! Lafayette est par ailleurs un centre gastronomique de premier ordre. Parmi les incontournables, citons le gombo du Bon temps Grill, les brunchs cadiens du French Press et les po-boys de Pop's ! Les gourmands pousseront l'expérience culinaire en empruntant le Cajun Boudin Trail (sentier du boudin créole), victuaille-reine dans la région !

Depuis Lafayette, il sera facile de rayonner sur la zone, de découvrir les bourgades une à une. Vers le sud-ouest, on trouve Mamou, Opelousas et Rayne (cité de la grenouille !), villages aussi verdoyants qu'humides et où est née la swamp pop, ou rock des marais ! À Arndaudville, on se laissera emporter par l'effet conjugué d'un two-step (danse dérivée de la polka) et d'une bière brassée localement avant d'aller taper à la porte du Nunu's, un immense et très vieux corps de ferme abritant un café culturel cadien !

Découvrez aussi St. Martinville, qui doit son nom à son église catholique consacrée à saint Martin de Tours. Les Acadiens y trouvèrent une terre d'accueil suite au Grand Dérangement et nombreux sont les lieux qui soulignent cette page d'histoire, comme l'Acadian Memorial & Cultural Center Museums.

Non loin on trouve la capitale de la pastèque : Deridder. La localité est également connue pour héberger un musée de la poupée des plus baroque et une prison... hantée ! Lake Charles, plus sudiste (à 40 miles du Texas) et chef-lieu des Cajun cowboys, est un carrefour : on y trouve casinos, villas victoriennes et plaines côtières peuplées d'une sensationnelle avifaune. Jumelles en bandoulière recommandées !

En manque d'adrénaline ? Inscrivez-vous donc à un swamp tour, enfilez un casque antibruit et accrochez-vous bien à votre siège, car les airboats filent à toute allure sur les plans d'eau du Bayou Tech ! Les pilotes de ces engins hydroglissants spécialement conçus pour le bayou sont plutôt du genre tête brûlée et connaissent le terrain comme leur poche. Ils sont même " amis " avec les monumentaux hôtes de ces bois : des alligators de plusieurs mètres de long nourris au poulet ! Les nostalgiques du détective privé Dave Robicheaux (personnage créé par le romancier James Lee Burke) et du jazzman Bunk Johnson marqueront un arrêt sous les chênes de New Iberia, suffocante et flegmatique. Pour dynamiser un peu le corps et l'esprit, on ira jusqu'à Avery Island, petit tertre de sel qu'une puissante végétation tropicale recouvre, site d'implantation de l'usine Tabasco. Houma et les sept bayous traversant son centre-ville méritent également la visite. Enfin, pour clore cette petite aventure cadienne, on ira jusqu'au bout du bout, à Cocodrie, " da bottom of da boot " (le bas de la botte) ! L'esprit vagabonde face aux flots bruns du golfe du Mexique, et le coeur se réchauffe à l'idée de revenir bientôt !

La route des plantations et au-delà

Depuis New Orleans, à mesure que l'on remonte le cours du Mississippi on remonte aussi celui du temps ! Entre l'embouchure du Delta et Bâton-Rouge, chef-lieu du Pelican State (qui mérite une escale a pour le Capitol Park Museum), se déploie la Great River Road, également nommée Plantation Road en raison de la présence de très nombreux anciens domaines agricoles.

Ces exploitations qui ont vu le jour aux XVIIIe et XIXe siècles ont été le fer de lance de l'économie louisianaise. La beauté et la passionnante histoire des demeures trônant au centre de ces terres justifient à elles seules un voyage en Louisiane. Villas de style Renaissance grecque d'un blanc immaculé ou demeures créoles aux porches bigarrés, chacune a son caractère, ses légendes et ses anecdotes. En prenant le temps d'en visiter plusieurs - la majorité d'entre elles sont désormais des musées et/ou des Bed & Breakfast -, on aura l'occasion de recueillir de précieux témoignages qui permettront d'approcher d'un peu plus près ce que fut la retentissante et impitoyable réalité d'une époque pas si lointaine. Le Deep South, ses habitations glorieuses encadrées d'aussi emblématiques que symétriques allées de chênes, les us et coutumes de ses riches familles de planteurs, les sinistres conditions de vie des Noirs captifs s'épuisant dans les champs de coton ou de canne... Voilà où mène la Plantation Road, popularisée par Mark Twain.

La première que l'on rencontre en venant de La Nouvelle-Orléans, à tout juste 30 minutes de route, est aussi la plus ancienne propriété du Delta. L'édification de Destrehan remonte en effet à 1787 ! On dit que le pirate Jean Lafitte y aurait dissimulé un inestimable trésor et que lorsque la nuit l'orage gronde, son fantôme rôde dans le jardin... Plus en amont, l'illustre silhouette de la plantation Whitney est connue de tous : c'est là que fut tourné Autant en emporte le vent ! Si la bâtisse impressionne, les récits des guides couplés aux témoignages de ceux qui ici naquirent les fers aux pieds font froid dans le dos. Dans les anciennes cabanes d'esclaves qui émaillent le vaste jardin, on apprend que les propriétaires, les maîtres des plantations, avaient plus de cent cinquante manières de nommer et de traiter un Noir. On apprend aussi que bien des années après l'abolition de l'esclavage, des Noirs étaient encore détenus dans des cages. Qu'alors la servitude n'a fait que changer de visage, mais n'a rien perdu de sa cruauté. Whitney Plantation, sans tomber dans le sordide, remplit avec brio son office de premier musée des États-Unis dédié à l'esclavage.

Non moins connue, l'allée plantée de 82 chênes bicentenaires d'Evergreen ne laisse pas indifférente même si elle est fermée au public ! C'est certainement la plus intacte et la plus filmée de toutes (on la retrouve notamment dans les films Django Unchained et Twelve Years a Slave). En poursuivant jusqu'à Vacherie, on voit se dessiner le séduisant et coloré contour de la Laura Creole Plantation, édifiée en 1805. L'histoire du lieu est distillée au rythme des mémoires de Laura, ancienne propriétaire des lieux. Elle y dévoile les brumeux arcanes de l'histoire familiale, ponctués de considérations plus pragmatiques. Un petit espace centralisant des portraits croisés d'anciens esclaves offre un regard nuancé sur une rude réalité, souvent mal comprise a posteriori. À Vacherie également, on visitera la star des plantations : Oak Alley ! Il n'y a qu'à jeter un oeil sur l'allée plantée de 28 chênes antédiluviens pour s'assurer qu'elle n'usurpe pas son nom. En arpentant les différentes salles, on sera surpris par l'heure fixe donnée par les horloges de la maison : 7h30 ! Dissipons ici le mystère, il s'agit d'un hommage de la femme du dernier propriétaire à son mari, mort aux aurores.

Alors que l'on approche Bâton-Rouge, on pourra faire escale dans les jardins du domaine d'Houmas, plantation romantique par excellence, dont les jardins sont ornés de sculptures en marbre de Carrare et fleuris d'azalées et d'odorants magnolias ! Passé la capitale de l'État, d'autres propriétés méritent d'être visitées, comme celle de Myrtles, à St. Francisville. En plus de la jolie plantation dont la villa abrite pléthore de tapisseries et meubles antiques garnis de feuille d'or, la cité compte 150 bâtisses de charme réunies autour de Prosperity Street. Enfin, en tirant 180 miles plus au nord-ouest, on trouve Natchitoches, toute première colonie française et plus ancienne ville de Louisiane, fondée en 1714 !

Voilà, vous êtes arrivé dans la grande région dite du Carrefour, ou Crossroads ! La zone se trouve en effet au croisement de deux cultures : celle du Sud, bonne vivante, et celle du Nord, terre des téméraires pionniers ! Vous aurez définitivement besoin d'un véhicule personnel pour en sillonner les paysages somptueux composés de puissants massifs forestiers que traversent de belles rivières d'eau claire. Le Crossroads est un verdoyant éden pour les amoureux de la nature ! En poussant jusqu'à Shreveport-Bossier City, troisième ville louisianaise, culturellement très dynamique, vous mettrez les pieds dans une région ordinairement très peu visitée : celle dite de Sportsman's Paradise ! Le " paradis des sportifs " rassemble lui aussi bien des atouts pour les amateurs d'activités en plein air. De la pêche au canoë en eaux vives, du golf à la randonnée (le lac Caddo est incroyable !), les possibilités sont innombrables. Cerise sur le gâteau, la grande majorité des parcs de ce vaste paradis louisianais autorisent le camping. Alors que le feu crépite dans la nuit, le regard se perd dans le firmament créole...

 

Infos futées

Y aller. À moins que vous ne soyez déjà sur le continent américain, c'est par la voie des airs que vous rejoindrez la Louisiane.

Le prix moyen d'un vol A/R Paris-La Nouvelle-Orléans varie selon la saison, mais vous pouvez tabler sur une moyenne de 800 à 1 200 € en moyenne. Pensez à réserver à l'avance !

Quand ? Il n'y a pas vraiment de meilleure saison pour visiter la région. L'hiver est peut-être un peu plus frais que le reste de l'année et les mois de juillet et août un peu étouffants, mais dans l'ensemble, on est plutôt à l'aise toute l'année en Louisiane. Dans le cas où vous souhaiteriez assister à Mardi Gras (février-mars) ou au Jazz Fest (avril-mai), un conseil : réservez votre logement plusieurs mois, voire un an, à l'avance !

S'informer. Pour préparer au mieux son séjour.

OFFICE DE TOURISME DE LA NOUVELLE-ORLÉANS / LOUISIANE - Plus d'informations sur le site, la page Facebook (@Louisianatravel) ou la page Instagram (@Louisianatravel).