Joyaux antiques

L’étonnante nécropole de Pantalica, avec ses 5 000 tombes taillées dans la roche et les vestiges de son palais monumental, est un précieux témoin d’une présence humaine aux rites élaborés remontant à l’âge du bronze. Mais ce sont surtout les Grecs qui vont transformer l’île. Urbanistes de génie, ils n’implantent pas leurs cités au hasard. Le plus souvent sur des promontoires rocheux jouant le rôle de défenses naturelles et à proximité de terres arables, les cités grecques sont protégées par de puissantes enceintes et organisées selon un plan rigoureux. Le premier site à être délimité est le temenos, l’espace sacré dédié à la divinité protectrice de la cité, puis le reste du terrain est organisé selon un plan en damier dont les larges avenues se rejoignent à l’agora, le cœur de la cité. Les habitations sont, elles, organisées en îlots de même taille. Les grands édifices de la cité sont les temples, les théâtres et les lieux accueillant les assemblées d’édiles et de citoyens. Les architectes d’alors laissent libre cours à leur imagination, prenant soin d’intégrer le plus harmonieusement possible l’édifice à son environnement. Agrigente avec son Temple de la Concorde tout en colonnes et en stuc, son gigantesque Temple de Zeus et ses Telamon, géants de pierre qui soutenaient l’édifice ; Ségeste avec son superbe temple inachevé mais merveilleux exemple de la perfection dorique et son théâtre s’ouvrant vers l’horizon ; Sélinonte avec son acropole comme suspendue au-dessus des flots et son étonnante usine de céramique ; les carrières des Rocche di Cusa où subsistent piliers et colonnes inachevés ; et bien sûr le Temple d’Apollon de Syracuse (le plus ancien de l’île) sont autant de témoins de la splendeur et du savoir-faire grecs. Et ne vous y trompez pas : si les édifices sont aujourd’hui d’un blanc immaculé, ils étaient autrefois couverts de couleurs ! Une richesse décorative que l’on retrouve dans l’architecture romaine dont le plus beau témoin est sans conteste la Villa Casale et ses incroyables pavements de mosaïques à l’étonnant exotisme. La Villa abrite également les vestiges de thermes avec leur système de canalisations très perfectionné et leurs différents espaces (promenoirs, palestres…). Portiques et péristyles complètent ce splendide tableau. Les Romains sont aussi les créateurs des latifundia, ces vastes domaines agricoles centrés autour des grandes Villae Rusticae, vastes demeures rurales.

Richesse médiévale

La présence arabe en Sicile se lit aujourd’hui encore dans l’urbanisme de certaines cités dont les puissants châteaux ont été édifiés sur d’anciens fortins arabes et dont les vibrants marchés rappellent les souks d’alors. A Palerme, le quartier fortifié de la Kalsa est une extension de la ville que l’on doit aux Arabes. Cette présence se lit également dans les prouesses d’ingénierie développées pour maîtriser la terre via de complexes systèmes d’irrigation, comme en témoignent les réseaux d’aqueducs souterrains encore visibles à Palerme. A cela s’ajoutent un raffinement et une richesse décorative qui vont durablement marquer les Normands, et plus spécifiquement Richard II de Hauteville. Diplomate éclairé et grand lettré, ce dernier va donner naissance à un art unique désormais indissociable de la Sicile : l’art arabo-normand puisant aux sources des nombreuses cultures déjà présentes. Naissent alors de somptueux édifices à la structure romane, aux mosaïques sur fond d’or byzantines et aux coupoles, jardins et fontaines arabes. On surnomma même les rois normands « les sultans baptisés » ! Le grand chef-d’œuvre de l’époque est la Chapelle Palatine de l’ancien palais arabe. Sa structure et ses superbes pavements géométriques de marbre sont typiques du roman italien, tandis que ses plafonds en bois à pendentifs sont arabes et ses absides et coupoles ornées de somptueuses mosaïques sur fond or sont résolument byzantines. Autre splendeur à ne pas manquer : la cathédrale de Monreale et ses quelque 6 440 m2 de mosaïques. Ne manquez pas non plus le cloître du couvent jouxtant la cathédrale et dont on ne peut qu’admirer le cloître au portique soutenu de 228 colonnes géminées abritant une rafraîchissante fontaine. La cathédrale de Cefalù en pierre dorée avec ses savants jeux d’arcatures entrecroisées et ses absides richement décorées de mosaïques et l’église San Giovanni degli Eremiti à Palerme avec son campanile roman et ses cinq coupoles rouges arabes sont deux autres exemples de cet incroyable syncrétisme normand. A côté de ces sanctuaires, les rois normands se font également ériger des résidences d’inspiration arabe. La Cuba de Palerme en est un bon exemple. Pavillon rectangulaire aux fenêtres étroites et aux arcatures aveugles, elle emprunte aux codes de l’architecture fatimide. Cette austérité extérieure est compensée par la présence de précieux jardins où fontaines et kiosques aux arcatures dentelées surmontées de coupoles sont autant de signes d’un raffinement extrême. L’influence de cet art arabo-normand est telle qu’il faut attendre le XIVe siècle pour voir apparaître un nouveau style architectural : le gothique. L’un des plus beaux édifices gothiques de Sicile est l’église Saint-François d’Assise de Palerme avec notamment son superbe portail et sa rosace. Puis le gothique va progressivement se teinter d’autres influences. Les Chiaromonte se font ainsi ériger de nombreux châteaux et palais dans un style empruntant tout à la fois au gothique (arcs brisés, rosaces, baies géminées…) et là encore aux influences arabes (entrelacs d’arcatures, polychromie des décors…). Le Palais Steri de Palerme alterne entre austérité défensive et richesse décorative. A ne pas manquer non plus : les châteaux de Caccamo, Montechiaro et MussomeIi à la silhouette crénelée, aux nombreux passages secrets et aux belles salles voûtées. Sous la domination aragonaise, le gothique-catalan va faire son apparition sur l’île, avec des édifices d’une grande pureté formelle comme l’église Santa Maria della Catena à Palerme. La Sicile médiévale se découvre aussi à travers les nombreuses tours de guet qui jalonnent ses côtes et à travers ses villages aux ruelles étroites et aux passages voûtés. Erice possède l’un des plus beaux centres médiévaux de Sicile recélant de nombreux trésors : murs d’enceinte (dont les blocs inférieurs portent la marque des Phéniciens !), tours, portes fortifiées, ruelles dallées selon des motifs géométriques et jolies demeures dotées de patios…

Effervescence baroque

En matière d’architecture, la Renaissance n’a quasiment pas imprimé sa marque en Sicile… mais le baroque, lui, a pu s’y épanouir comme nulle part ailleurs. Il faut dire qu’en Sicile, le baroque n’est pas seulement le style privilégié par la Contre-Réforme pour impressionner les fidèles et les ramener dans le giron de l’Église, il est aussi et surtout le style de la reconstruction. Suite au séisme de 1693, de nombreuses villes sont réduites à néant. Il faut donc reconstruire. Entre les grandes familles nobles, la bourgeoisie naissante et les ordres religieux, la lutte est acharnée, chacun souhaitant témoigner de son pouvoir de la plus somptueuse des manières. Architecture et urbanisme deviennent les outils d’une mise en scène du pouvoir. La reconstruction de la ville de Noto en est l’exemple le plus frappant. La ville nouvelle est élaborée selon un plan en damier traversé par une grande artère rectiligne, le Corso Vittorio Emanuele, desservant lui-même de nombreuses places qui se déploient comme autant de scènes de théâtre. La symétrie de ce plan permet de savants jeux de perspectives soulignant la splendeur des édifices baroques qui jalonnent la cité et dont on ne peut manquer les monumentaux escaliers ou les superbes portails et balcons sculptés et les façades jouant sur les volumes et les ombres pour créer un mouvement permanent. Parmi les incontournables : le Duomo, le Palais Villadorata ou bien encore le Collège des Jésuites. Tout est pensé dans le souci du paraître : voilà pourquoi le baroque sicilien possède une telle richesse décorative. Le grand maître en la matière est l’enfant du pays, Giacomo Serpotta, sculpteur et fils de marbrier qui donna au stuc ses lettres de noblesse, faisant de la décoration un art à part entière. C'est à lui que l’on doit stucs, angelots, draperies et guirlandes de fleurs des oratoires des rosaires de San Domenico et de Santa Zita à Palerme dont la poussière de marbre est rehaussée de nacres et de gypses. La marquèterie est aussi largement employée dans le baroque sicilien, offrant d’incroyables effets de polychromie. En 2002, ce sont huit cités qui ont été classées au patrimoine mondial de l’Unesco pour la richesse de leur héritage baroque. Parmi ces cités, ne manquez pas Caltagirone avec ses balcons, fontaines, façades et kiosques ainsi que son monumental escalier, le Scala di Santa Maria del Monte, entièrement recouvert de céramiques et de majoliques polychromes ; Catane, avec la façade tout en mouvement de son Duomo, la façade convexe de l’église San Giuliano, la façade concave de l’église Santa Trinita et sa Via dei Crociferi jalonnée de 5 églises et 4 couvents créant une perspective monumentale ; Modica et son église San Girogio dont la façade tout en volutes trône au faîte d’un escalier de 250 marches ; ou bien encore Raguse, avec son église San Giorgio aux incrustations de marbre et dentelles de stuc. Palerme n’est bien sûr pas en reste avec sa très théâtrale Piazza Vigliena aux 4 coins richement décorés, les très belles demeures patriciennes de la Via Maqueda et les marbres polychromes de Santa Caterina. Avec le baroque, même la nature se met en scène, comme en témoignent les jardins peuplés de statues et fontaines des somptueuses villas, à l’image de la Villa Palagonia à Bagheria.

Petit patrimoine

L’identité de la Sicile se lit également à travers son patrimoine rural. Les murets de pierre sèche délimitent partout les terres fertiles de l’île. Au cœur de la Sicile rurale, peut-être tomberez-vous sur une masseria, ferme traditionnelle souvent fortifiée dont les différents bâtiments et dépendances s’organisent autour d’une grande aire. On retrouve ces fermes isolées sur les monts Hybléens. Dans la région de Trapani, les fermes sont appelées des bagli. On y pénètre par une imposante porte d’entrée menant à une cour intérieure autour de laquelle s’organise l’ensemble de la structure. Enfin, ce panorama ne serait pas complet sans les dammusi, habitations parfaitement adaptées aux rigueurs du climat, que l’on reconnaît à leurs murs épais en pierre de lave et à leurs toits en forme de dômes revêtus d’un enduit imperméable permettant le ruissellement des eaux de pluie dans des citernes. Sur les pentes de l’Etna, le noir de la pierre de lave est partout, voilà pourquoi la cité de Randazzo est souvent surnommée « la noire ». Campaniles, ruelles pavées et façades… : tout semble avoir été taillé à même la lave ! Voilà qui contraste avec la blancheur immaculée des demeures des îles Eoliennes que l’on reconnaît à leurs toits-terrasses, dont les pergolas sont soutenues par de puissantes colonnes de maçonnerie, et à la végétation luxuriante qui orne leur façade. Les plus beaux exemples sont à voir à Panarea et Stromboli. Enfin, moins connu mais tout aussi important, ne faites pas l’impasse sur son patrimoine minier. Le Parc Minier de Floristella-Grottacalda, aux allures de ville fantôme, donne à voir la réalité des mines de souffre qui restèrent en activité jusque dans les années 1970. Puits, galeries, bâtiments de stockage sont autant de témoins d’un passé complexe à ne pas oublier.

Sicile moderne et contemporaine

Aux dernières heures du XVIIIe siècle et durant le XIXe siècle, la Sicile se fait éclectique. Il faut dire qu’elle ne manque pas d’influences où puiser son inspiration ! L’exemple le plus frappant de ce mélange des genres est le Pavillon Chinois qui trône dans le Parc de la Favorite à Palerme. Commandé par Ferdinand III de Bourbon, il mêle arcades gothiques, toits et clochetons au goût chinois et terrasses néoclassiques. Au tournant du XXe siècle, la Sicile va délaisser l’éclectisme historicisant pour entrer de plain-pied dans la modernité avec le Liberty ou Art nouveau italien. Courbes étonnantes, richesse décorative et motifs d’inspiration végétale caractérisent ce nouveau style qui fait la part belle aux matériaux modernes, fonte et ciment en tête. A Palerme, le grand maître de ce renouveau est Ernesto Basile qui construit de nombreuses villas pour la nouvelle et prospère bourgeoisie urbaine. Œuvres d’art totales, dont tous les détails, y compris le mobilier, sont finement et richement travaillés, ces belles demeures sont à voir Viale della Liberta et dans les rues adjacentes. Ne manquez pas la Villa Bordonaro, la Villa Favardo et le chef-d’œuvre de Basile : la Villa Florio. Ayant subi de lourdes destructions durant la guerre, minée par la spéculation immobilière mafieuse qui détruisit des trésors du patrimoine au profit de grands ensembles en béton sans âme aux périphéries des villes, et menacée encore et toujours par les éléments, la Sicile peine à se reconstruire. Gibellina en est le parfait exemple. Détruite en 1968, son maire, Ludovico Corrao, décide de construire une ville nouvelle où de nouveaux édifices dialogueraient avec des œuvres d’art monumentales. De grands artistes et architectes participent au projet. Ludovico Quarini imagine une église surmontée d’une coupole géante ; Franco Purini et Laura Thermes réalisent une grande place mêlant motifs antiques et géométriques ; tandis que Pietro Consagra crée une étoile en métal de 24 m enjambant l’autoroute menant à la ville nouvelle... Un projet utopique qui s’est soldé par un échec, Gibellina la neuve étant devenue une véritable ville fantôme dont les édifices tombent en ruine. Ne reste que l’œuvre d’Alberto Burri qui a transformé les vestiges de la Gibellina originelle en « un labyrinthe de mémoire, les drapant d’un suaire de chaux qui en reprend le tracé ». Autre création contemporaine presque anachronique dans la baroque Syracuse : la Basilique-Sanctuaire Madonna della Lacrime, étrange structure de forme conique en béton armé haute de 103 m. Aujourd’hui, la Sicile fait le pari de la réhabilitation, transformant ses fermes traditionnelles en ambassadrices de l’agrotourisme et ses somptueux palais en hôtels design. Les reliefs de l’île servent également d’écrin à de très belles villas aux lignes épurées. Allier tradition et modernité, tel est le défi qui s’offre à la Sicile et que les jeunes architectes et designers de la Vuedu Factory de Palerme semblent prêts à relever !