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Danseurs Intore à Muzanze © Ryan M. Bolton - shutterstock.com.jpg

Un art très codifié

D’abord, le rythme est lent et saccadé, il faut jauger l’adversaire. Puis le combat s’emballe, les danseurs-guerriers bondissent avec agilité, faisant tournoyer leurs lances dans une énergie virile. Ruant farouchement pour échapper aux griffes de leurs assaillants, ils semblent parfois suspendus dans les airs. Ils esquivent et ripostent jusqu’à terrasser leur ennemi dans une dernière charge héroïque. C’est le souffle court et le torse luisant que les danseurs triomphants s’inclinent pour saluer leur public. S’il se dégage de ces danses primitives une impression de spontanéité liée à l’explosivité des mouvements et à leur intensité bestiale, n’allez pas croire que les chorégraphies intore relèvent du hasard. Tout est au contraire extrêmement codifié. Chaque mouvement est exécuté avec une précision magistrale en synchronisation parfaite avec les autres danseurs. Les corps se tordent et ondulent au rythme exact de la musique. La danse intore est un art noble qui ne tolère pas l’improvisation. Au Rwanda elle revêt un caractère sacré tant elle est liée à l’histoire nationale.

Un héritage ancestral

Dans le Rwanda précolonial, les Intore désignaient de jeunes combattants d’élite issus de la noblesse tutsie et sélectionnés par le mwami, le roi, pour leurs aptitudes physiques et leurs qualités martiales. En kinyarwanda, intore signifie d’ailleurs « les élus ». À l’époque, obtenir un tel statut est considéré comme un immense honneur. Les jeunes nobles n’aspirent qu’à une seule chose, attirer l’attention du roi ou des chefs de guerre pour faire partie de ces privilégiés. Une fois recrutés, les apprentis guerriers étaient envoyés pendant plusieurs années dans une institution militaire appelée itorero. Destinés à occuper de hautes fonctions martiales, ils étaient formés au maniement des armes, au combat rapproché mais aussi à la stratégie militaire. Véritables athlètes, ils étaient notamment des virtuoses du saut en hauteur. Considérés comme une élite et devant rendre fier leur roi, leur éducation était aussi prise très au sérieux. En plus de l’apprentissage des techniques de la guerre, ils étaient initiés à la poésie, à l’art et aux danses intore. En 1958, ils sont même invités à se produire lors de l’Exposition universelle de Belgique. Devant des milliers de spectateurs, ils assurent des représentations de danses traditionnelles, faisant rayonner la culture rwandaise dans le monde entier.

Une tradition menacée

Après la Première Guerre mondiale, alors que le pays tout entier est placé sous tutelle belge, la tradition des Intore disparaît progressivement et les danses guerrières tombent en désuétude. Il faudra attendre 1974 et la création de l’Urukerereza, le ballet national du Rwanda, pour que les danses intore retrouvent leurs lettres de noblesse. Créée à Nyanza, la capitale royale, cette institution à pour vocation de sélectionner les meilleurs musiciens et danseurs du pays afin de préserver la culture et les traditions rwandaises.

Malheureusement en 1994, l’intérieur de l’édifice a été dévasté par les pillards et une grande partie des artistes de la troupe ont été victimes du génocide. Ce n’est qu’au début des années 2000 que la culture revient à l’ordre du jour au Rwanda. Le ballet national lance alors une vaste campagne afin de recruter de nouveaux danseurs Intore, mais la nouvelle troupe peine à trouver son public. Le génocide est encore trop présent, le cœur des Rwandais n’est pas encore à la fête.

Un regain de popularité

Il faudra attendre le milieu des années 2000 pour que les danses Intore retrouvent leur popularité d’antan. Porté par un nouvel élan, celui de la reconstruction, le Rwanda se transforme tant sur le plan économique que social. Cette volonté de changement et de dynamisme s’accompagne par un besoin impérieux d’afficher une identité culturelle forte. Les troupes de jeunes danseurs Intore se font de plus en plus nombreuses à travers le pays. Elles sont invitées à se produire lors des mariages, des fêtes de village ou des manifestations officielles. Le président Paul Kagame lui-même clôture régulièrement ses allocutions par des spectacles intore. En 2007, il avait déjà remis au goût du jour le concept d’itorero, en transformant ces camps d’entraînement pour guerriers en académie militaire gouvernementale où la jeunesse du pays vient accomplir son service civique. Les danses intore font partie des enseignements, au même titre que les travaux manuels ou que le football. Ce renouveau des itorero est fortement critiqué par les opposants du président Kagame qui y voient une dangereuse instrumentalisation de la jeunesse par le pouvoir.

Un symbole culturel

Véritables vitrines de la culture rwandaise, les danses intore apparaissent comme un bon moyen de faire connaître le pays à l’international et d’attirer les touristes sur le territoire. Il est vrai qu’il serait terriblement dommage de venir au Rwanda et de passer à côté d’une expérience aussi unique. Outre une plongée épique dans l’histoire et le folklore national, de bons danseurs vous offriront une prestation à couper le souffle. Leur virtuosité associée aux costumes tribaux et à la puissance d’une musique presque primitive vous laisseront un souvenir indélébile. Si les représentations du ballet national sont une valeur sûre, il existe quantité d’autres troupes de renom dans tout le pays. Pour n’en citer que deux, celle de Kigali (les Intayoberana) et celle de Butare (les Urugangazi) font assurément partie des plus prestigieuses. Si vous avez la chance d’être au Rwanda au début du mois d’août, vous pourrez sûrement assister à l’Umuganura, la fête des moissons. À l’occasion de ce grand événement populaire, des troupes de danseurs Intore se produisent à travers tout le pays. Si la célébration nationale se déroule en grande pompe dans la ville de Ndama, les villages plus modestes ont aussi leur lot de festivités. Un bon moyen de découvrir la culture intore tout en partageant un moment de convivialité inoubliable avec les habitants.

Enfin, dernier conseil, et non des moindres, faites très attention à votre prononciation du mot intore lorsque vous vous adressez à un Rwandais. Il est en effet indispensable d’appuyer sur le o et de le faire traîner dans la longueur. Sinon votre interlocuteur risque de croire que vous l’interpellez à propos d’une aubergine !