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Un des derniers sanctuaires des gorilles des montagnes

C’est à l’extrême nord-ouest du pays, dans le parc national des Volcans, que vivent les derniers Gorilla beringei beringei, aussi connus sous le nom de gorilles des montagnes. Plus noirs et plus puissants que leurs cousins des plaines, ces singes géants peuvent mesurer jusqu’à 2 m de haut et peser près de 250 kg. Malgré leur stature impressionnante, ce sont des animaux pacifiques et extrêmement sociables qui vivent en petits groupes d’une dizaine d’individus. Les jeunes et les femelles sont soumis à l’autorité d’un mâle dominant facilement reconnaissable grâce à la teinte argentée de son pelage. C’est à l’âge d’environ 15 ans, au moment de leur maturité sexuelle, que la fourrure des gorilles mâles se teinte de poils gris au niveau du dos. Chefs de famille bienveillants, les « dos argentés » ont pour mission d’assurer la sécurité de leur groupe et de superviser la recherche de nourriture. Les gorilles passent en effet plus de la moitié de leur journée à manger. Ils consomment principalement des feuilles mais aussi des baies, des pousses de bambous et de l’écorce d’eucalyptus. À en croire le mythe de King Kong, les gorilles seraient des animaux agressifs, capables de se livrer à de sanglants combats à mort. En réalité, les mâles dominants sont plutôt de flegmatiques patriarches qui se contentent de veiller d’un œil ensommeillé sur leur progéniture dissipée. Lorsque deux tribus se croisent, les chefs se toisent, poussent quelques cris autoritaires, se frappent la poitrine… puis s’en retournent chacun de leur côté. Les conflits les plus sérieux éclatent lorsqu’un dos argenté solitaire vient provoquer le dominant responsable d’un groupe afin de lui prendre sa place. Si ces affrontements sont rares, ils peuvent toutefois déboucher sur de violentes bagarres. Dans le parc national des Volcans, vingt familles de gorilles se partagent un territoire de 160 km2. Seuls douze groupes sont accessibles au public, les autres étant réservés aux chercheurs ou restés à l’état sauvage.

Une rencontre inoubliable

L’entrée du parc national des Volcans se trouve dans un petit village de montagne appelé Kinigi. C’est donc à plus de 2 200 m d’altitude et dans l’air glacé du petit matin que débute cette aventure hors norme. La plupart des familles de gorilles se trouvent à plusieurs kilomètres, il faut donc parfois arpenter la jungle pendant des heures. En groupe de huit au maximum et accompagné d’un ranger expérimenté, vous voilà crapahutant sur des sentiers abrupts et parfois boueux. Vous devez grimper encore et encore, jusqu’à avoir la tête dans les nuages car les gorilles des montagnes vivent à plus de 3 000 m d’altitude. L’effort physique est intense mais grâce à la vue exceptionnelle sur les volcans Virunga, la fatigue est vite oubliée. Face à la grandeur de la forêt, l’homme se sent si petit qu’il se fait silencieux. Puis tout à coup, un grésillement se fait entendre, celui d’un talkie-walkie. Ce sont les pisteurs. Partis avant le lever du soleil, ils ont repéré le groupe de gorilles et indiquent à votre guide la direction à suivre. La marche se poursuit, le cœur battant, puis d’un geste, le ranger vous impose le silence et l’immobilité. Enfin ils sont là et vous observent de leurs grands yeux noirs. Le mâle dominant (le fameux dos argenté) vous toise, méfiant, mais le ranger lui adresse un grognement rassurant, « nous sommes des amis ». Pour des raisons de sécurité, il est interdit d’approcher à moins de 7 m des animaux, mais même à cette distance le spectacle est fascinant, surtout quand les bébés gorilles s’en mêlent ! Espiègles garnements, ils se poursuivent en sautant d’une branche à l’autre avant de se laisser tomber à terre pour rouler dans les hautes herbes. Les adultes, eux, somnolent ou s’épouillent, nullement troublés par la présence de leurs visiteurs humains. Il est incroyable de constater à quel point leurs expressions et leur gestuelle est proche de la nôtre. Après une heure d’enchantement, la visite touche à sa fin. Certains sont émus aux larmes. Ils viennent d’accomplir le rêve de toute une vie. Rencontrer des gorilles des montagnes dans leur milieu naturel est une expérience rare et poignante. Un moment unique pour lequel vous devrez toutefois débourser la somme de 1 500 $.

Une espèce menacée

Le Gorilla beringei beringei est une espèce en danger de disparition. Selon le dernier recensement datant de 2019, seuls 1 063 gorilles des montagnes subsistent à l’état sauvage dans les forêts du massif des Virunga. Si ce chiffre est considéré comme préoccupant par les scientifiques, il a pourtant presque doublé en dix ans, preuve que les mesures de protection prises par les différents gouvernements portent leurs fruits. Il faut dire que depuis le début du XXe siècle, ces primates géants ont dû faire face à de nombreux malheurs. D’abord, ils ont vu les humains grignoter progressivement leur habitat, détruisant les forêts de bambous pour les transformer en terres agricoles ou en mines d’extraction. Ensuite, ils ont été victimes de la folie des hommes, dommages collatéraux des guerres de l’Afrique des grands lacs. Au cours de l’histoire, plusieurs affrontements ont poussé les populations civiles à se réfugier dans les forêts du massif des Virunga. Terrorisés, les hommes se sont enfoncés au cœur de la jungle, piétinant les pousses de bambous et répandant au passage des maladies infectieuses auxquelles nombre de grands singes ont succombé. Pendant le génocide rwandais de 1994, des Tutsis ont tenté d’échapper aux massacres en se cachant sur le territoire des gorilles. Affamés, ils se sont alors mis à chasser les primates géants, faisant chuter encore un peu plus leur population. Mais tout cela n’est rien à côté du braconnage qui a bien failli avoir raison de l’espèce toute entière. Dans les années 1970, des milliers de gorilles des montagnes ont été exterminés. Principalement massacrés pour leur viande, leurs cadavres étaient également vendus comme trophées ou objets de décoration sur les marchés pour touristes. Certains prêtaient à leurs crânes et à leurs mains de puissants pouvoirs magiques ainsi que des vertus médicinales. Les bébés, eux, étaient capturés vivants pour être revendus à des zoos européens ou servir d’animaux de compagnie. Officiellement, la chasse des gorilles des montagnes est interdite dans la région des Virunga depuis 1920, mais jusqu’à la fin des années 1990, la pratique est restée courante. Sous-payés, certains gardes du parc se laissaient volontiers corrompre par les braconniers, acceptant de détourner le regard moyennant une belle somme d’argent.

Dian Fossey, figure emblématique de la protection des gorilles

Sans elle, les gorilles des montagnes du Rwanda auraient probablement disparu, exterminés par les braconniers. La primatologue américaine Dian Fossey a consacré vingt ans de sa vie à les étudier ainsi qu’à les protéger. C’est en 1963 que cette ergothérapeute décide de quitter les États-Unis pour un voyage de six mois en Afrique. Lors d’une étape au Rwanda, elle découvre pour la première fois les grands primates. Au cœur de la jungle, elle passe des journées entières à les observer, fascinée mais aussi révoltée par le sort qui leur est réservé. Bouleversée, elle rentre en Amérique avec la ferme intention de revenir. Trois ans plus tard, elle s’installe définitivement au Rwanda et fonde le Karisoke Reasearch Center dans le parc national des Volcans. Elle se consacre alors pleinement à l’étude du comportement des gorilles des montagnes, préparant en parallèle un doctorat de zoologie. Au fil des années, elle parvient à se faire totalement accepter par plusieurs familles de gorilles. Elle se liera notamment d’amitié avec un jeune mâle nommé Digit qui verra en elle une mère de substitution. Grâce à ses découvertes majeures sur la physiologie et les modes de communication des grands singes, Dian Fossey est reconnue par la communauté scientifique internationale. Ses travaux sont relayés dans le monde entier et elle fait régulièrement la une de grands magazines. Cette popularité lui permet de lever des fonds pour la protection des gorilles. Elle s’entoure alors de rangers qu’elle paye pour traquer les braconniers et détruire leurs pièges. Pour se venger, ces derniers exécutent et démembrent Digit, le protégé de la primatologue. Folle de douleur, Dian Fossey décide d’avoir recours à des méthodes extrêmes, n’hésitant pas à faire torturer les braconniers ou même à kidnapper leurs enfants. Surnommée Nyiramachabelli, « la femme qui vit seule dans la montagne », l’ethnologue entretient des relations difficiles avec la population locale. Elle n’hésite pas à se grimer en sorcière pour effrayer les habitants et les dissuader de pénétrer sur le territoire des gorilles. Son engagement, elle le paiera de sa vie. Le 27 décembre 1985, la primatologue est assassinée dans sa hutte à coups de machette. Le coupable ne sera jamais arrêté. Le livre de ses Mémoires Gorilles dans la brume fera l’objet d’une adaptation cinématographique avec Sigourney Weaver en 1989. Le succès retentissant de ce film contribuera à rendre encore plus populaire la cause de Dian Fossey et à maintenir une pression internationale sur les gouvernements de l’Afrique des grands lacs pour qu’ils assurent la protection des primates.

Les gorilles au centre de la politique rwandaise

Aujourd’hui, le gouvernement rwandais applique une politique de tolérance zéro envers les braconniers. Depuis plus d’une dizaine d’années, tout est mis en œuvre pour protéger les gorilles des montagnes et ainsi attirer les touristes et leurs devises. De nombreuses campagnes de sensibilisation ont été menées auprès des communautés vivant à proximité du parc des Volcans. Depuis 2005, l’État leur reverse même 10 % des recettes générées par le parc. Ces populations sont aussi les premières à profiter des retombées économiques liées à l’augmentation du tourisme dans la région. Elles ont donc tout intérêt à œuvrer pour la conservation des grands primates. Pour faire chuter le nombre de braconniers, le gouvernement a trouvé la parade : leur proposer des postes de rangers, mieux rémunérés et plus sécurisants. De toute façon, les trophées sont passés de mode et la chasse aux gorilles ne rapporte plus. Les grands primates ne sont plus visés par les pièges des braconniers mais se font parfois capturer à la place d’autres animaux comme les antilopes. Pour lever des fonds pour la protection des gorilles, l’État organise chaque année une cérémonie officielle appelée Kwita Izina. Les primates nouveau-nés reçoivent alors un nom et peuvent être adoptés symboliquement par de généreux donateurs. Les gorilles sont l’attrait touristique principal du Rwanda et attirent particulièrement les Européens aisés capables de payer les 1 500 $ du permis. Un tarif exorbitant qui affiche clairement la volonté du gouvernement de faire du Rwanda une destination de luxe.