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Les origines

La littérature en langue allemande prend sa source dans l’Autriche médiévale quand Walther von der Vogelweide (début du XIIIe siècle) écrit des chansons et poèmes chevaleresques dont la plus célèbre reste La Chanson des Nibelungen, épopée qui comprend des éléments de mythes germaniques antérieurs. À l’époque moderne, l’humaniste Conrad Celtis fonde la Société littéraire du Danube dont les poèmes lyriques écrits en latin résonnent dans toute l’Europe. Le théâtre religieux, depuis l’aube de la littérature autrichienne, occupe une place de choix dans les productions écrites : tout d’abord dans le Tyrol médiéval, puis au moment du renouveau catholique, l’ordre des jésuites popularise le genre théâtral peu à peu vulgarisé du latin à l’allemand. L’engouement pour le théâtre s’accentue au XVIIIe siècle avec la construction de grandes salles de représentation dont le Burgtheater et, à la toute fin du siècle, celle du Theater an der Wien.

Le XIXe siècle

Au XIXe siècle, les spectacles viennent à se démocratiser. Devenant accessibles, ils se diversifient : ainsi fleurissent farces populaires et autres pièces comiques, parfois même satiriques, contrastant avec les œuvres historiques commandées par les Habsbourg. En 1815, Metternich prend le contrôle de la création artistique et met en place une censure, transformant les créateurs en fonctionnaires. En réaction, la génération de la fin du XIXe siècle se révèle exceptionnellement féconde tant sur le plan de la diversité des talents que de l’intensité individuelle. De cette effervescence naissent, à Prague, Franz Kafka (1883-1924) ou Rainer Maria Rilke (1875-1926). Franz Kafka est particulièrement connu pour des œuvres comme Le Procès et La Métamorphose. Son œuvre est très vaste, mais la majorité de ses romans sont publiés à titre posthume. Kafka a eu une influence décisive sur l’évolution du roman moderne. Il est l’écrivain de l’absurde et peint avec brio la solitude et l’angoisse du monde. Rainer Maria Rilke, quant à lui, est créateur d’une poésie formelle nouvelle. Sa poésie est comprise dans son effusion sentimentale et l’authenticité de son approche, ses essais et ses audaces sont oubliés ou passés sous silence. Très jeune, il écrit de la poésie et entre en 1895 à l’université Carl-Ferdinand de Prague pour y étudier l’histoire de l’art, la littérature et la philosophie. En 1901, il se marie avec une élève de Rodin, Clara Westhoff, dont il eut une fille. Il publie d'ailleurs un essai sur l’artiste (Sur Rodin) dont il deviendra le secrétaire. En 1905 paraît Le Livre d'heures, écrit à la suite d’un voyage en Russie en 1899-1900 au cours duquel il rencontre le géant de la littérature russe Léon Tolstoï. En 1910, Les Carnets de Malte Laurids Brigge, écrit en prose, constitue l'un de ses textes clés. En 1916, il est réquisitionné pour le service militaire. En 1922, il écrit les Sonnets à Orphée. Cette œuvre fit de lui l’une des figures les plus importantes de la littérature européenne contemporaine. Il meurt d’une leucémie en décembre 1926 à Val Mont (Suisse).

Mais le XIXe siècle est aussi le temps du romantisme qui balaye alors toute l’Europe. La réalité sociale de l’Autriche est décrite avec finesse et parfois ironie, dans les romans des représentants de ce courant que sont Rudolf K. Bartsch, Marie von Ebne-Eschenbach ou encore Ludwig Anzengruber. Ce regard annonce déjà l’arrivée d’Arthur Schnitzler (1862-1931) qui révolutionne le roman autrichien en y introduisant une vision sociologique et psychologique de ses personnages, au moment de l’avènement de la psychanalyse à Vienne. Devenu médecin, psychologue et écrivain, il est rapidement le chef de file du courant « Jeune Vienne » que rejoindront Zweig et Hofmannsthal. Affectionnant les pièces en un acte, reflets de l’esprit viennois fin de siècle, Schnitzler fait vivre ses personnages sur un ton d’ironie, de grâce mondaine et d’insouciance fataliste. Il est le premier à utiliser le monologue intérieur dans ses nouvelles. Freud, qui avait beaucoup d’admiration pour lui, écrit : « Quand je lis Schnitzler, j’ai peur de rencontrer mon double. » Le suicide de sa fille et le décès de son ami Hofmannsthal le font sombrer dans l’amertume et l’obsession de la mort. À découvrir : Romans et nouvelles (Le Livre de poche, collection « La Pochothèque »).

Le XXe siècle

Les premières décennies du XXe siècle dans la capitale marquent une époque de grande ébullition artistique et intellectuelle, sur fond d’antisémitisme croissant. Hugo von Hofmannsthal pour l’opéra, Karl Kraus pour la satire et la politique, Felix Salten au théâtre, Rainer Maria Rilke en poésie, Stefan Zweig et Robert Musil pour leurs œuvres atypiques… : la littérature viennoise connaît un âge d’or.

Commençons par Hugo von Hofmannsthal (1874-1929). Né à Vienne, il fait des études de droit et passe un doctorat de philosophie. Précoce, il compose son œuvre en vers entre 16 et 25 ans. En 1892, il fonde une revue littéraire avec l’Allemand Stephan George. Il collabore aux succès de Richard Strauss dont il écrit la plupart des livrets, et parmi eux, en 1911, Le Chevalier à la rose. La capitale encense ce jeune prodige, très proche d’Arthur Schnitzler. Il commence une série de tragédies inspirées du théâtre élisabéthain et antique. Ses pièces les plus achevées, Le Grand Théâtre de Salzbourg et La Tour, sont jouées devant des églises baroques de Salzbourg. Le festival de Salzbourg, dont il est l’un des fondateurs en 1920, représente tous les ans son Jedermann ou le jeu de la mort de l’homme riche. Il ne survit pas au suicide de son fils et est terrassé par une crise cardiaque. À lire de lui en priorité : Andreas et autres récits chez Gallimard.

Attardons-nous à présent un instant sur Karl Kraus (1874-1936). En 1899, il fonde la revue Le Flambeau (Die Fackel), qu’il dirigera jusqu’à sa mort, soit pendant près de quarante ans. Conçue pour attaquer la presse et les idées de l’époque, il en devient le rédacteur principal et l’éditeur. Des auteurs tels qu’Heinrich Mann, August Strindberg ou Adolf Loos y collaborent. Paraissant irrégulièrement, la revue peut contenir trois ou quatre cents pages ! Les Derniers Jours de l’humanité (1919) est son œuvre majeure. C’est une pièce d’une durée de vingt heures soutenue par soixante acteurs, avec deux cents scènes différentes, et une multitude de chansons populaires et de morceaux classiques. Kraus y dénonce l’incurie des gouvernants, ainsi que la haute finance.

Robert Musil (1880-1942), quant à lui, est originaire de Klagenfurt. Il se destine à une carrière militaire, qu’il abandonne rapidement pour devenir ingénieur. Il part pour Berlin étudier la philosophie et la psychologie. À 26 ans, en 1906, il se fait connaître par la publication du roman Les Désarrois de l’élève Törless, qui dénonce le sadisme exercé au sein de l’institution militaire. Dans Le Merle, il évoque la guerre au Tyrol. En 1933, résidant en Allemagne, le nazisme – qui interdit ses livres – le contraint au retour à Vienne, d’où il est chassé en 1938. Il finira sa vie, exilé et oublié, en Suisse. Il travaillera à son œuvre majeure, L’Homme sans qualités, pendant vingt ans. À sa mort, en 1942, le livre reste inachevé. Les personnages de Musil paraissent à la limite de la maladie mentale. Obsessionnels, maniaques, ils tentent de remédier à leur propre néant par des rêves de grandeur ou des lubies idéologiques. Musil démystifie l’Europe des années trente, conscient de son irrémédiable délabrement.

Il y a également Stefan Zweig (1881-1942), l’écrivain autrichien le plus lu en France, toutes générations confondues. Issu d’une famille juive aisée, il est né à Vienne. À 20 ans, il publie son premier recueil de poèmes, Les Cordes d'argent (1901). Parallèlement à la poursuite de ses études de lettres, il traduit Baudelaire et Verlaine. À 23 ans, il défend sa thèse sur la philosophie de Hippolyte Taine. Cette même année, son premier recueil de nouvelles est édité. Zweig va s’essayer à tous les genres : traductions, romans, théâtre, études littéraires et critiques, biographies historiques. Comme la plupart des intellectuels viennois, il se laisse bercer par la douceur de la capitale cosmopolite, par « l’apocalypse joyeuse », sans prendre la mesure exacte des signes avant-coureurs de la montée de la barbarie. Profondément marqué par la guerre de 1914, il écrit un article fort remarqué, intitulé À mes amis de l'étranger. À la fin de la guerre, il traduit un autre grand pacifiste, Romain Rolland, avec qui il liera une grande amitié toute sa vie. En 1919, il s'installe à Salzbourg, et écrit en 1920 les biographies de Balzac, Dickens et Dostoïevski, biographies romancées où il s’attache à dépeindre le parcours psychologique des individus face à leur destin. Dans sa maison de Kapuzinerberg (mont des capucins), appelée « la villa de l’Europe », il reçoit l’élite intellectuelle européenne : Mann, Valéry, Joyce, Paganini, Freud, Gorki… Son ami Richard Strauss, qui triomphe alors, lui demande d’écrire le livret de La Femme silencieuse. Mais en 1933, les livres du « juif » Zweig sont brûlés. Désespéré par le retour des forces brutales, persécuté par la police, il décide de s’exiler définitivement. Il ne reverra jamais l’Autriche. Après une longue période d’errance, le Brésil lui accorde un visa permanent en 1936. Il découvre ce pays où ses livres ont un énorme succès. L’attirance est réciproque, il écrit Brésil, terre d’avenir. Il continue à écrire comme un forcené, comme pour se perdre, malgré l’emprise grandissante d’une dépression. Il souffre de voir l’Autriche asservie par le fascisme. En 1942, il se suicide avec son épouse, Lotte. Dans son dernier message, Zweig écrit : « Je salue tous mes amis, puissent-ils voir l’aube après cette longue nuit. Moi, qui suis trop impatient, je prends les devants. » Les autorités brésiliennes lui organisent des obsèques nationales et transforment sa maison en musée.

Au lendemain de la Seconde Guerre mondiale, la culture est dévastée. Après la reconstruction des théâtres viennois, de nouveaux talents émergent du chaos, marqués par un fatalisme et un pessimisme de l’individu et de la société. Le suicide, la souffrance et la mort hantent les productions du moment avec Paul Celan, Fritz Hochwälde, Franz Theodor Csokor ou le grand Thomas Bernhard au théâtre, Friedrich Heer, etc., pour le roman. Arrêtons-nous un instant sur Thomas Bernhard (1931-1989), cet Autrichien né aux Pays-Bas, égocentrique et obsédé par la mort, qui est reconnu dès les années 1960 comme l’écrivain autrichien le plus important de sa génération et l’un des écrivains de langue allemande les plus originaux. Bernhard déteste l’Autriche et les Autrichiens (ses compatriotes le lui rendent bien), et ses livres sont provocants. Sa pièce Helderplatz suscite un retentissant scandale, la police doit intervenir pour protéger le théâtre lors de la première. L’essentiel de son œuvre est publié chez Gallimard : Le Gel, La Plâtrière, L’Extinction, La Perturbation.

Parmi nos contemporains, il faut citer Elfriede Jelinek, romancière, poétesse et dramaturge, connue pour son style incisif et très critique envers l'Autriche. Elle a été récompensée par le prix Nobel de littérature en 2004.