La Majolica House dessinée par Otto Wagner, architecte de la Sécession. (c) Shutterstock - Karl Allen Lugmayer.jpg
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Le Palais du Belvédère. (c) shutterstock - emperorcosar.jpg

Peintres et architectes, même combat

Dès 1892, un groupe de peintres autrichiens, autour de Fritz von Uhde, Wilhelm Trübner, Franz von Stuck, Eugene Spiro et Arnold Böcklin, refuse le conformisme des conceptions artistiques de l'époque. A la suite, la Sécession se développe sous la forme d'un groupement d'architectes et de plasticiens créé en 1897 par Josef Olbrich, Josef Hoffmann et Gustav Klimt, en rupture avec le Künstlerhaus. Cette maison des artistes avait été édifiée, près de la Ringstraße, sur la Karlsplatz, entre 1865 et 1868, par la Société des artistes autrichiens, toujours active aujourd'hui, pour exposer les peintres contemporains. La Künstlerhaus vient d'ailleurs de bénéficier d'importants travaux de rénovation et a été inaugurée dans sa nouvelle version en 2020. Cet espace culturel majeur de la capitale s'attache aujourd'hui à rendre l'art contemporain accessible à tous.

Mais à la fin du XIXe siècle ce n'est pas encore le cas ! Les artistes de la Sécession lui tournent le dos et construisent leur propre temple, dans le même quartier, expression magistrale d'un art novateur qu'ils entendent défendre et développer. Leur Palais de la Sécession, imaginé donc pour concurrencer le Künstlerhaus, reste l'un des joyaux architecturaux de Vienne.

Mais édifier un tel monument d'avant-garde n'était pas sans poser problème. Son audace architecturale et sa vocation révolutionnaire heurtaient la bonne société. Le terrain octroyé par la mairie se trouvait, à l'origine du projet, à l'angle de la Ringstraße et de la Wollzeile. Face à une levée de boucliers de la population, une localisation un peu plus reculée dut être adoptée. C'est finalement sur la Wienzeile, près du marché Naschmarkt, que Joseph Maria Olbrich érigea, dans le style que l'on nomma ensuite Art nouveau, un bâtiment d’exposition moderne, sobre et élégant cube blanc surmonté d'une monumentale coupole de feuilles dorées, la Goldenes Krauthappel, devenue le symbole de la Sécession. La devise des artistes sécessionnistes est gravée en lettre d'or au fronton de son portail d'entrée : « À chaque âge son art, à chaque art sa liberté. »

Embellir le quotidien, marquer le paysage urbain

Les Sécessionnistes, peintres, architectes, décorateurs, graveurs, céramistes, verriers entendent développer un art total et pluriel sans distinction entre les beaux-arts et les arts décoratifs, en opposition au conservatisme néoclassique et historiciste, bien pensant et élitiste des œuvres montrées à la Künstlerhaus. De nouvelles formes courbes, décoratives, expressives, florales sont expérimentées. Dorures, ferronneries, céramiques sont invitées pour embellir l'environnement quotidien. C'est un effervescence créative formidable. En peinture comme en architecture, les artistes de la Sécession ont laissé des vestiges tout à fait remarquables dans le paysage urbain, les espaces privés et les musées. Les œuvres picturales, les arts décoratifs, l'art de la table comme le mobilier composent un nouveau style qui révolutionne l'esthétique et marque encore le paysage viennois, public et privé. C'est un nouvel art de vivre qui voit le jour dans la cité impériale.

La Sécession viennoise, officiellement fondée en avril 1897 pour réunir les forces créatrices du pays, avait relevé le défi. Au-delà, elle entendait développer les contacts avec les artistes étrangers, œuvrer à un échange international des idées, à l'encontre des élans nationalistes au sein de l'Europe que la guerre allait malheureusement bientôt exacerber. Ainsi donc avait-elle réussi à renouveler les arts appliqués, dans l'esprit d'un art total. C'est bien une nouvelle expression artistique authentique qu'elle venait d'opposer à l'art poussiéreux des salons officiels viennois. Mieux, une nouvelle philosophie de la vie et une grande liberté sont associées à la Sécession. Et l'art apparaît ici comme un moyen, selon la vocation sécessionniste, de rompre avec les stéréotypes en œuvre à l'époque, le vecteur d'une conception de la vie novatrice, libérée des opportunismes mercantiles. Dans le n° 1 de la revue Ver Sacrum, Hermann Bahr, critique littéraire, définit ainsi les objectifs de la Sécession : « Notre art n’est pas un combat des artistes modernes contre les anciens, mais la promotion des arts contre les colporteurs qui se font passer pour des artistes et qui ont un intérêt commercial à ne pas laisser l’art s’épanouir. Le commerce ou l’art, tel est l’enjeu de notre Sécession. Il ne s’agit pas d’un débat esthétique, mais d’une confrontation entre deux états d’esprit. »

La Sécession est morte, vive la Sécession !

Mais la volonté d'intégration des différents arts et le souci d'ouverture à l'international ne sont pas du goût de tous les Sécessionnistes. Une première scission a lieu en 1903, avec la création par Koloman Moser et Josef Hoffmann d’une nouvelle association, la Wiener Werkstätte - Ateliers viennois - dédiée aux seuls arts appliqués. Un succès aujourd'hui encore tangible et dont on peut voir la richesse dans plusieurs expositions. En 1905, un conflit éclate entre des artistes sécessionnistes « naturalistes » c'est-à-dire académistes, et c'est une seconde scission. Cette fois ce sont des fondateurs majeurs qui quittent le navire. Gustav Klimt, Josef Hoffmann ou Koloman Moser quittent la Sécession, tournent le dos à ces naturalistes qui rejettent le concept d’œuvre d'art totale. Anton Nowak, l'un des cofondateurs, assure toutefois la présidence de la Sécession les deux années suivantes, mais l'élan révolutionnaire et créatif n'est plus là. La Sécession s'éteint. Mais son Palais demeure et Vienne abrite des fleurons sécessionnistes qui attirent et émerveillent des visiteurs du monde entier.

La Frise Beethoven de Gustav Klimt

Cette œuvre, parmi les plus célèbres de Gustav Klimt, avait été exécutée, en 1902, dans le cadre de l'exposition du Palais de la Sécession programmée en hommage à Ludwig van Beethoven. Cette exposition débutait par la frise monumentale de Klimt, de 34 m de large et 2 m de haut, installée dans le hall d'entrée. Avec cette œuvre, dans cette symphonie picturale magistrale, Klimt offre sa partition ornementale et foisonnante de la Neuvième Symphonie de Beethoven interprétée à l'époque par Richard Wagner. La virtuosité de Klimt fait magnifiquement écho à celle du chef-d'œuvre de Beethoven.

La frise de Klimt avait pour vocation d'être détachée et remisée après l'exposition. Mais un amateur d'art décida d'en faire l'acquisition. En 1903, la frise fut détachée du mur en sept pièces pour rejoindre la collection de son propriétaire. En 1973, la République d'Autriche racheta l'œuvre et la restaura pour la rendre à nouveau accessible au public. Depuis 1986, elle est installée dans une pièce au sous-sol du Palais de la Sécession dédiée à cet effet. En 2020, à l'occasion des 250 ans de la naissance de Beethoven, la dimension musicale est venue s'ajouter à la contemplation visuelle de l'œuvre. On peut désormais entendre, avec des écouteurs, le quatrième mouvement de la Neuvième Symphonie interprétée par le Wiener Symphoniker.

Si la frise est l’œuvre la plus célèbre du Palais de la Sécession, il serait dommage de ne pas visiter les étages supérieurs réservés aux expositions temporaires d'artistes contemporains audacieux selon la vocation initiale de la Sécession. Près d'une vingtaine d'expositions sont programmées chaque année, déployées sur 1 000 m². Des visites guidées, incluant la Frise de Beethoven sont proposées. Et dans la boutique du musée, vous trouverez de belles reproductions de détails de la frise ainsi que des livres sur Gustav Klimt dont certains en français.

La Sécession dans l'architecture

Impliquant l'architecture, la Sécession a ajouté d'autres palais à la capitale impériale. Aux styles gothique, néogothique, baroque et néo-baroque s'est ajouté un nouveau style qui explose alors en Europe, sous différentes influences et dénominations, Jugenstil en Allemagne, Neuwe Kunst en Hollande, Art nouveau puis Art déco en Belgique, Art nouveau en France ou Art nouille pour ses détracteurs, Stile Liberty en Italie, Modernismo en Espagne. L'explosion de ce style offre aux villes européennes, de Berlin à Nancy, de Vienne à Barcelone, des édifices de toute beauté.

L'Art nouveau à la viennoise, le Sezessionstil, mobilise des architectes de premier plan. Si Joseph Maria Olbrich signe le Palais de la Sécession, on doit à Otto Wagner la Caisse d'épargne postale, la maison des Majoliques et la maison aux Médaillons, les anciennes stations de métro sur la Karlsplatz et le Pavillon impérial de Hietzing, la Villa Wagner, et l'église Saint-Léopold am Steinhof dit d'Otto Wagner, première église moderne de la ville, entre autres chefs-d'œuvre. Josef Hoffmann et Adolf Loos apportent également leur contribution. Le style Sécession viennoise se distingue par des lignes claires, des symétries, la sobriété et la fonctionnalité, des façades ornementées, des parements métalliques, des stucs dorés ou multicolores. Puis l'effervescence de l'Art nouveau viennois fut stoppée par la guerre. Plus tard Vienne osa d'autres innovations urbanistiques. La Vienne rouge développa un habitat social précurseur et remarquable. Et la municipalité de Vienne continue à donner la main à des architectes et des artistes originaux et inspirés comme elle le fit avec Hundertwasser dans les années 1980. Aujourd'hui ce sont des éco-quartiers pionniers qui sortent de terre, des immeubles participatifs qui voient le jour et même cet incroyable immeuble, le Hoho, plus grande tour en bois au monde avec ses 24 étages.

Les artistes majeurs

Outre les principaux représentants de la Sécession cités ci-dessous, on peut y associer de près ou de loin les artistes suivants : Oskar Kokoschka, Egon Schiele, Adolf Loos, Leo Putz, ou encore František Bílek. On ne manquera pas d'aller visiter le palais du Belvédère, qui abrite la plus grande collection d’œuvres de Klimt. N'y manquez pas : de Gustav Klimt : Le Baiser (1907) et Judith I (1901), d'Egon Schiele : Der Rainerbub (1910), d'Oskar Kokoschka : Portrait du peintre Karl Moll (1913) et de Koloman Moser : Autoportrait (1916).

Gustav Klimt (1862-1918), peintre et graveur, cofondateur en 1897 de la Sécession et de la revue Ver Sacrum (printemps sacré ou migration), organe officiel du mouvement de 1897 à 1903. Klimt préside la Sécession et dirige les expositions au palais de la Sécession jusqu’en 1905. Klimt est connu pour ses nus de femmes, allégories des mythes antiques richement ornementées et foisonnantes de symboles, inspirées du symbolisme et de la psychanalyse de Freud.

Otto Wagner (1841-1918), architecte, adhère à la Sécession viennoise en 1898, signe de nombreux édifices remarquable du style Art nouveau marquant le paysage urbain de Vienne.

Josef Hoffmann (1870-1956), architecte, cofondateur de la Sécession, son œuvre principale est le Palais Stoclet à Bruxelles.

Otto Eckmann (1865-1902), peintre et graveur, l’un des principaux représentants du Jugendstil floral, créateur d'un alphabet qui devint le caractère d’imprimerie classique du Jugendstil.

Josef Maria Olbrich (1867-1908), architecte, cofondateur de la Sécession viennoise, signe le Palais de la Sécession et des œuvres majeures à Darmstadt, en Allemagne.

Koloman Moser (1868-1918), peintre et designer, cofondateur de la Sécession viennoise, scénographe d’une grande partie des expositions sécessionnistes.