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Du mythe à la réalité

Vinland, Norembergue, Kanata, Acadie, Nouveau-Monde, Nouvelle-France… : à combien de noms répond le Canada avant de devenir celui que nous connaissons aujourd’hui, à combien de mythes fait-il écho, à combien de rêves correspond-il ? Il apparaît tout d’abord dans les Sagas Islandaises, ce corpus qui mêle légendes et faits réels, et rappelle que le premier Européen (connu, d’autres l’ont sans doute précédé) à avoir dépassé le Groenland pour poser pied aux abords du Golfe du Saint-Laurent est un Viking, Leif Erikson. Si cette première expédition, vers l’an 1000, fut racontée dans La Saga d’Erik le Rouge et dans La Saga des Groenlandais, rédigées deux siècles plus tard, et que des fouilles archéologiques ont confirmé une présence viking (qui ne semble pas avoir été pérennisée, peut-être à cause de conflits avec les autochtones), il reste difficile de préciser à quel territoire correspondait exactement le Vinland évoqué. Il est tout aussi complexe d’évaluer si Norembergue, apparaissant sur les premières cartes d’Amérique du Nord, tient plutôt du mythe ou de la réalité. Ce pays fantôme fait en tout cas écho à la tradition irlandaise qui voudrait que Brendan, saint du VIe siècle, ait traversé l’océan Atlantique sur un « currach », bateau léger qui se manœuvre avec des avirons, ce que s’attellera à démontrer l’explorateur Tim Severin qui parvient à reproduire le voyage et à débarquer à Terre-Neuve en 1976. La frontière poreuse qui sépare la fiction de la vérité historique ne fera que se renforcer, de nouveaux mythes venant s’ajouter aux anciens pour tenter de prouver que Christophe Colomb n’était pas à l’origine de la découverte de ce Nouveau Monde qui déjà alimentait tous les fantasmes. Nous pourrions ainsi penser au Canton de Madoc, en Ontario, qui tire son nom d’un prince gallois – dont l’existence même n’est pas avérée – qui en aurait fait la conquête dès 1170 et pris le temps d’initier les membres de la Première Nation Tuscarora aux mystères de sa langue. Enfin, comment ne pas évoquer la culture des peuples autochtones qui, s’ils ne possédaient pas de système d’écriture (mais de nombreux idiomes), étaient néanmoins riches de leurs croyances (proches de l’animisme) et de leurs légendes qui ont été sauvegardées grâce à la tradition orale.
On imagine aisément que les premiers navigateurs à avoir exploré les côtes canadiennes avaient à l’esprit toutes ces images d’un pays de cocagne, mais la colonisation s’avéra pourtant périlleuse. Si la littérature n’était certainement pas la préoccupation majeure à l’époque, cela ne fera pas, a posteriori, négliger l’intérêt des écrits d’alors, des Relations de Jacques Cartier (qui, dit-on, donna son nom au pays en s’inspirant du mot iroquois « kanata » signifiant « village ») à Des Sauvages (éditions Typo) de Samuel de Champlain qui fonda la ville de Québec en 1608. Le siècle suivant ne sera pas non plus sinécure : la Guerre des Sept ans opposera, entre autres, les Français aux Anglais et aura pour conséquence, de ce côté-ci de l’Atlantique, la signature en 1763 du Traité de Paris par lequel les premiers cèderont aux seconds le Canada. De cette longue période troublée, il est tout de même intéressant de retenir l’ample correspondance de Marie de l’Incarnation, une Ursuline qui en 1639 quitta Tours pour Québec. De vocation d’abord contrariée, la missionnaire est en effet mère, et c’est à son fils Claude, resté sur le Vieux continent, qu’elle raconte ce qu’elle vit, jusqu’à son décès en 1672. La rencontre avec les peuples autochtones inspire aussi les chroniques, l’œuvre de l’anthropologue Louis-Armand de Lom d’Arce (1666-1716) fait sensation au XVIIIe siècle et rivalise d’intérêt avec celle de l’historien Pierre-François-Xavier de Charlevoix (1682-1761). Enfin, le célèbre Louis-Antoine de Bougainville a participé à la Guerre de Conquête contre la Nouvelle-Angleterre et même si, en sa qualité de bilingue, il eût à malheureusement négocier la capitulation de son pays, ces épisodes figurent en bonne place dans ses Mémoires.

Tandis que la littérature française résiste…

Le régime britannique tente alors, sans succès, une assimilation des colons franco-catholiques, ce n’est que la première étape de la mise en place d’un fragile équilibre qui, au cours des ans, devra faire cohabiter deux langues, deux cultures et deux religions. Au-delà de l’aspect politique et de ses nombreux rebondissements, c’est bien de la langue française québécoise dont il est question, tout autant par les menaces dont elle sera l’objet, que dans sa spécificité, elle qui désormais évoluera loin de l’influence parisienne. Une lutte qui prit des accents patriotiques au cours de ce XIXe siècle qui débuta par une publication qu’il est d’usage de retenir comme le premier roman canadien français : L’Influence d’un livre, de Philippe Aubert de Gaspé fils (1814-1841), paru en 1837 puis réédité en 1864, après quelques coupes, par Henri-Raymond Casgrain sous le titre Le Chercheur de trésors. Notre bon censeur, qui était également homme d’Église, a beaucoup œuvré pour la sauvegarde de la littérature canadienne dont il fut précurseur dans l’approche critique. Sa rencontre avec Octave Crémazie (1827-1879), le « premier poète national québécois », par ailleurs libraire, fut décisive et entraîna la création de L’École littéraire (ou patriotique) de Québec. Ce mouvement, plutôt romantique et d’influence catholique, se réunissait autour de deux publications : Les Soirées canadiennes, créée en 1861, puis Le Foyer canadien, en 1863. Des membres éminents de ce cénacle, nous retiendrons plus particulièrement Antoine Gérin-Lajoie (1824-1882), qui a signé le roman Jean Rivard et la chanson Un Canadien errant, et Hubert LaRue (1833-1881), médecin qui écrivait aussi pour d’autres revues, même si l’Abbé Casgrain ne minimisa jamais l’influence de leur aîné François-Xavier Garneau (1809-1866), célèbre pour L’Histoire du Canada qui est demeuré un classique, et dont il écrira la biographie. Henri-Raymond Casgrain se consacra ensuite aux voyages, certaines de ses œuvres furent couronnées par l’Académie française, et il perdit la vie en même temps que le nouveau siècle naissait, en 1904, à Québec, laissant de lui l’image d’un activiste littéraire d’importance.
La flamme n’eut heureusement pas le temps de s’éteindre que déjà elle était alimentée par L’École littéraire de Montréal. Sur l’initiative du poète Jean Charbonneau et de son acolyte écrivain Paul de Martigny, la première séance se tint le 7 novembre 1895. Germain Beaulieu était alors président et Louvigny de Montigny apporta son aide. Les « exotistes » puisèrent leur inspiration dans l’ailleurs, bénéficiant d’influences aussi diverses que le symbolisme ou les Parnassiens français. En 1897, le cercle accueillit un tout jeune homme, Émile Nelligan, comète fulgurante qui illumina la poésie québécoise. Cet ardent admirateur de Baudelaire, romantique absolu dans tous les thèmes qu’il aborda, de la nostalgie de l’enfance à la beauté féminine, suscita l’admiration de tous en déclamant La Romance du vin le 26 mai 1899. Il s’agissait là pourtant de son chant du cygne puisque, peu de temps après, et alors qu’il n’avait pas 20 ans, il sera interné pour troubles mentaux et restera enfermé jusqu’à son dernier souffle, en 1941. Son ami Louis Dantin (1865-1945) rassemblera ses écrits et les fera publier en 1903, commençant sa préface par ces terribles mots : « Émile Nelligan est mort », présageant ainsi que l’inspiration divine s’était définitivement tarie.
L’École littéraire de Montréal, quant à elle, fait paraître en 1900 Les Soirées du château de Ramezay, œuvre collective qui donna à lire les conférences tenues jusqu’alors, puis sembla tomber dans une certaine léthargie dont elle ne sortit vraiment qu’en 1909, avec le lancement d’une nouvelle revue, Terroir. Le succès relatif de celle-ci s’explique peut-être par une ligne éditoriale qui s’éloignait trop des buts premiers de l’association, mais qui dans le même temps ne convainquit pas les férus d’un courant qui était alors en passe de devenir prédominant, celui des « terroiristes ». En effet, la littérature régionaliste existait depuis le milieu du XIXe siècle, mais le mouvement s’était intensifié au début du XXe avec la création de la Société du parler français au Canada, sur l’impulsion de deux professeurs de l’Université de Laval, Adjutor Rivard et Stanislas-Alfred Lortie. Dans le même temps, l’ecclésiastique et futur recteur Camille Roy avait débuté la rédaction d’un manuel de littérature canadienne-française, dont la première mouture, en 1907, rencontra un succès immédiat. L’enjeu était double : affirmer le québécois dans son originalité, en détachement voire en opposition au français de France, et vanter des valeurs traditionnelles telles que la terre, la famille et la religion. L’exemple le plus parlant est certainement Maria Chapdelaine qui, pourtant, fut écrit en 1913 par un Brestois exilé, Louis Hémon.

… la littérature anglaise tente d’exister

Jusqu’au XIXe siècle, du côté de la langue anglaise, la littérature a suivi peu ou prou le même cheminement que celle des Français : récits d’explorateurs, chroniques de colons, poésies, romans. Ainsi, l’Anglaise Frances Brooke s’arrogea le titre de première romancière canadienne avec The History of Emily Montague, roman que lui avait inspiré son séjour de cinq ans au Québec, tandis que Samuel Hearne passionna les foules avec Le Piéton du Grand Nord : première traversée de la toundra canadienne 1769-1772 (éditions Payot). David Thompson (1770-1857) les subjugua avec son travail d’arpenteur et ses travaux topographiques. Nous pourrions aussi citer Susanna Moodie (1803-1885) restée célèbre pour le récit qu’elle livra de son installation dans une colonie ontarienne, où elle ne dissimula ni sa difficulté à s’acclimater ni sa fascination pour les traditions autochtones qu’elle documenta. Ses deux titres à succès – Roughing in the Bush (1852) et Life in the Clearings Versus the Bush (1853) – n’ont pas été traduits dans notre langue, mais son existence a inspiré à Margaret Atwood une évocation poétique qu’il est au moins possible de se procurer en version bilingue chez Doucey éditeur. Le milieu du siècle est également marqué par un long poème épique que l’Américain Henry Longfellow (1807-1882) dédia à la mémoire des Acadiens et à la déportation dont ils furent victimes durant le Grand Dérangement. Symbole de cet épisode historique tragique, Evangeline (aux éditions Guérin) est aussi une magnifique histoire d’amour, de celles qui ne s’oublient pas. Acadie rima encore avec poésie dans l’œuvre de William Bliss Carman qui louait les grands espaces et la magnificence de la province du Nouveau-Brunswick qui l’avait vu naître en 1861. Avec trois autres de ses pairs – Charles GD Roberts (1860-1943), Archibald Lampman (1861-1899) et Duncan Campbell Scott (1862-1947) –, il forma le quatuor dit des Poètes de la Confédération dont le double point commun était d’user des codes stylistiques de la tradition victorienne tout en s’inspirant de la nature qui les environnait. Cousin de Carman, Charles GD Roberts, surnommé « le père de la poésie canadienne » malgré la qualité variable de ses vers, publia ainsi plusieurs recueils (Songs of the Common Day, The Vagrant of Time…) mais aussi des histoires racontées du point de vue d’animaux. Lampman, dont la réputation est restée intacte, s’absorba dans de mélancoliques méditations, confrontant le calme de la vie à la campagne avec l’agitation des grandes villes (The City of the End of Things, Lyrics of Earth, A Gift of the Sun). Enfin, Scott publia huit livres de poésie (The Magic House and Other Poems, Beauty and Life, The Green Cloister…) mais aussi des recueils de courts portraits (In the Village of Viger, The Witching of Elspie, The Circle of Affection). Bien qu’ils constituèrent la première incarnation d’un cercle littéraire purement canadien, ces poètes se revendiquaient plutôt cosmopolites. Certains – et d’autres qui leur sont affiliés – firent d’ailleurs le choix de quitter leur terre natale pour s’installer aux États-Unis. A contrario, des Anglais continuèrent de traverser l’océan, à l’instar de Stephen Leacock (1869-1944), célèbre humoriste dont les romans se dégustent toujours chez Wombat (Au pays des riches oisifs : aventures en Arcadie, L’Île de la tentation et autres naufrages amoureux, Bienvenue à Mariposa). Ces échanges et migrations furent peut-être le signe de la difficulté que rencontra la littérature canadienne de langue anglaise à trouver sa place, entre le poids de tradition britannique et celui de l’influence américaine.
Et pourtant, les auteurs canadiens finirent par provoquer un certain retentissement international tout en continuant à écrire sur leur terre nourricière. Ainsi, Lucy Maud Montgomery (1874-1942) s’inspira en 1905 d’un fait divers pour son histoire d’un couple qui, voulant adopter un garçon pour aider à la ferme, vit débarquer une fillette à la flamboyante chevelure rousse. Trois ans plus tard, le manuscrit enfin accepté, l’héroïne, Anne Shirley, séduisit à tel point les foules que 60 millions d’exemplaires de la série de romans qui lui fut consacrée ont depuis été vendus à travers le monde. Les éditions françaises Monsieur Toussaint Louverture les ont d’ailleurs retraduits et republiés dans un magnifique coffret en 2020, toujours avec le même succès. Dans la même veine, Mazo de la Roche, née à Newmarket en 1879, se consacra à une saga prenant comme décor Jalna, manoir qui lui donne son nom. En seize romans (réédités en 2023 par J’ai Lu), et autant de best-sellers, elle imagina les péripéties d’une famille, les Whiteoak, sur plusieurs générations. Décédée en 1961 à Toronto, son corps repose désormais non loin de celui de Stephen Leacock à Sibbald Point (Ontario). Frederick Philip Grove (1879-1948) se lança quant à lui dans l’écriture de livres mettant en scène les pionniers de l’Ouest canadien. Grâce à son œuvre – dont Fruits of the Earth, son roman le plus célèbre –, il initia le courant réaliste, dans lequel s’engouffra Martin Allerdale Grainger (1874-1941) avec Woodsmen of the West, et auquel Hugh MacLennan (1907-1990) ajouta une touche contemporaine en mettant en exergue dans Deux solitudes (1945) les relations conflictuelles entre francophones et anglophones.

Une double littérature affranchie

Paradoxalement, cet ouvrage – et peut-être encore plus le précédent de Hugh MacLennan, Barometer Rising (Le Temps tournera au beau, 1941) – parut à une époque charnière pour la littérature canadienne (dans ses deux langues) car celle-ci réussit à s’affranchir, enfin, d’un trop lourd formalisme. Elle revendiqua sa spécificité, la question des « québécismes » (qui se pose également en anglais) n’étant que la partie la plus visible de cette petite révolution. Stylistiquement, cela se concrétisa notamment dans le théâtre du côté anglophone avec, par exemple, les pièces radiophoniques de Merrill Denison (1893-1975) ou les travaux du théoricien Robertson Davies qui sut prendre du recul sur ses expériences londoniennes (Shakespeare for Young Players) pour produire une œuvre originale (Eros at Breakfast, Fortune, My Foe, At My Heart’s Core). Côté francophone, outre l’exubérant Abraham Moses Klein (1909-1972) qui aurait pu se targuer de son habilité à faire sonner les mots et à tournebouler la syntaxe, le tout avec un humour féroce (La Chaise berçante aux éditions du Noroît, Le Second rouleau chez Boréal), le groupe des « automatistes » mené par Paul-Émile Borduas agita les années 1940. Les artistes qu’il fédéra autour de lui – issus de milieux aussi divers que la photographie, la danse, le design, et bien sûr la littérature – publièrent leur manifeste Refus Global le 9 août 1948. Dans celui-ci, ils revendiquaient le rejet de l’immobilisme et une ouverture radicale, artistique et sociale. L’accueil fut glacial, certains signataires n’eurent pas d’autres choix que de se plier à l’exil, mais le ver était dans le fruit et, au tout début des années 1960, se dessina la Révolution tranquille, véritable période de rupture qui se montra favorable à l’apparition d’une écriture plus réaliste, d’autant plus affirmée. Un parcours qui sera aussi celui de Gaston Miron (1928-1996) qui renoncera à sa vocation religieuse pour se consacrer à la poésie, cofondant en 1953 la première maison d’édition consacrée à cet art, L’Hexagone, puis n’hésitant pas ensuite à s’engager politiquement. Son remarquable investissement en tant que passeur et en tant qu’écrivain lui vaudront des obsèques nationales. Il faut de lui retenir le recueil L’Homme repaillé (éditions Typo) paru en 1970, œuvre majeure de la littérature québécoise.
De nouvelles plumes fleurirent, des noms s’imposèrent. Le fort discret Réjean Ducharme publia en 1966 L’Avalée des avalés chez Gallimard, son manuscrit n’ayant pas trouvé preneur au Québec. Il sera nommé pour le Goncourt et recevra le Prix du Gouverneur général pour ce livre si sombre et si original qu’il conquit derechef le statut de roman culte. La même année, une Québécoise remporta le prestigieux Prix Médicis : Marie-Claire Blais, née en 1939 à Québec, avec Une saison dans la vie d’Emmanuel, grande fresque qui campait une famille de 16 enfants ! Si les comportements déviants de certains de ces personnages purent heurter lors de la publication, cet ouvrage reste important car il restitue avec justesse la transition entre valeurs conservatrices et idées progressistes. En 1967, Gabrielle Roy reçut pour sa part le titre de Compagnon de l’Ordre du Canada, une nouvelle reconnaissance pour celle qui avait déjà honorée par bien des distinctions. Figure importante de la littérature franco-manitobaine, l’auteure perdit la vie en 1983 à Québec, laissant à son public nouvelles, poésies et récits à découvrir, ou à redécouvrir, tels que Bonheur d’occasion, La Montagne secrète ou La Rivière sans repos. Enfin, impossible d’évoquer la littérature québécoise sans citer « l’écrivain national » Michel Tremblay. C’est par le théâtre que l’homme entra en littérature, avec un certain fracas quand on songe au scandale causé par Les Belles-Sœurs, pièce jouée pour la première fois en 1968. En 1978 il entama avec La Grosse femme d’à côté est enceinte le cycle des Chroniques du Plateau Mont-Royal, et ne cessera plus de publier des romans qui allient tendresse, humour, vision critique et mise en valeur du « joual », ce fameux français populaire canadien.
Les anglophones n’ont pas à rougir de la comparaison grâce à Margaret Laurence (1926-1987) – abondamment traduite par Alto au Québec (Une Maison dans les nuages, L’Ange de pierre, Ta Maison est en feu…), Joëlle Losfeld en France (Un Oiseau dans la maison, Les Devins, Les Habitants du feu…). C’est une femme, encore, qui consolida l’édifice en s’aventurant dans une dystopie qui sut si bien questionner la société. Avec La Servante écarlate – Prix du Gouverneur général en 1985 –, Margaret Atwood (née en 1939 à Ottawa) gagna sa réputation de représentante émérite de la littérature contemporaine canadienne, un statut qu’elle partagea avec Michael Ondaatje (né au Sri Lanka en 1943, citoyen canadien depuis 1965) dont le roman Le Patient anglais (Points) fut adapté au cinéma, et désormais avec une nouvelle génération prolixe à laquelle appartiennent Jane Urquhat (Niagara, Ciel Changeant…) et Rohinton Mistry, (Un si long voyage, L’Équilibre du monde, Une simple affaire de famille…), natif de Bombay.
La littérature québécoise ne cesse, elle aussi, de prendre de l’envergure et de s’ouvrir aux autres cultures avec l’apparition des « écritures migrantes », notamment grâce aux voix de Kim Thuy, Dany Laferrière et Wadji Mouawad qui s’élèvent avec brio. Aujourd’hui, son écho est international, les succès se multiplient, du Jour des Corneilles de Jean-François Beauchemin, Prix France-Québec 2004, à Taqawan d’Éric Plamondon (Quidam) qui reçut la même récompense en 2018. Les maisons d’éditions québécoises (La Peuplade, Mémoire d’encrier, Les 400 coups, Le Quartanier, Alire, etc.) trouvent place sur les tables des librairies françaises, proposent à la découverte des textes forts et novateurs, et devant une telle richesse de la langue, rares sont les éditeurs français qui s’interrogent encore sur le lieu de naissance des auteurs qui leur soumettent des manuscrits. Notre langue commune, belle dans ses différences, a su faire fi des frontières.