La Piazza Silvestri à Bevagna, l'un des décors du film Benedetta de Paul Verhoeven © lauravr - Shutterstock.com  .jpg

Les maestri en Ombrie-Marches

Parmi les grands cinéastes italiens que sont Fellini, De Sica, Visconti et Pasolini, tous ou presque ont foulé l’Ombrie et les Marches. Les villes d'Assise, de Pérouse ou d'Ancône ont servi de décors à certaines de leurs œuvres, mais aussi à de nombreuses pépites du cinéma italien. Parmi ces maîtres, Luchino Visconti, l'un des fondateurs du néoréalisme italien, tourne une partie des Amants diaboliques (1943) à Ancône. Cette adaptation de la nouvelle Le Facteur sonne toujours deux fois de James M. Cain prend ici des accents sociaux alors que Visconti dépeint la rencontre entre Gino et Giovanna, et leur adultère naissant. Marchez dans leurs pas en parcourant le Molo Santa Maria et la place du Duomo, avec la cathédrale San Ciriaco en arrière-plan. Vous ne pourrez en revanche pas monter l’escalier Nappi, ou découvrir le Palazzo Davalos ainsi que l’église Santa Maria in Curtea, ces monuments ont été détruits quelques mois après le tournage par les bombardements alliés, donnant à ce film un statut d’archive indéniable. Du côté de l’Ombrie, c’est la région de Pérouse qui reste la principale muse des cinéastes, à commencer par Fellini. En 1952, il intègre l’opéra de Spolète à son film Le Cheik blanc, récit idyllique d’une lune de miel troublée par la rencontre d’un mystérieux et séduisant acteur de romans-photos. En 1966, Pier Paolo Pasolini et Vittorio De Sica tournent aussi tous deux non loin de Pérouse. Le premier réalise Les Oiseaux, petits et grands (1966), avec Totò dans le rôle principal, tandis que le second met en scène Le Renard s'évade à trois heures (1966), avec le grand Peter Sellers (Docteur Folamour, La Panthère rose, entre autres). Dans cette comédie dramatique, l’acteur incarne Aldo Vanucci, escroc professionnel s’évadant d’une prison qui n’est autre que la Rocca Albornoziana, forteresse construite au XIVe siècle qui domine la ville de Spolète. Deux ans plus tard, le réalisateur Franco Zeffirelli filme plusieurs scènes de son célèbre Roméo et Juliette (1968) dans la ville fortifiée de Gubbio. Vous y reconnaîtrez aisément le Palazzo Bargello, mais aussi la Via Ducale, lieux des scènes d’introduction du film, et de la bataille entre les factions rivales. Dans les années 1970, c’est le giallo qui investit la région, porté par Dario Argento et ses films Quatre mouches de velours gris (1971) ou Les Frissons de l’angoisse (1975). Vous tremblerez en revivant les scènes du cimitero monumentale, via Enrico dal Pozzo à Pérouse, dans cet univers d’horreur si particulier à l’Italie, avant de découvrir un autre bel exemple du genre avec Torso (1971) de Sergio Martino, relatant une série de meurtres sordides autour de l’université de Pérouse.

Productions européennes et internationales

Catherine Deneuve, Jodie Foster, Brigitte Bardot, Helena Bonham Carter ou encore Virginie Efira : autant de grands noms internationaux qui ont fait escale dans la région, au gré des tournages. En 1962, c’est au festival de théâtre de Spolète que Louis Malle réunit Brigitte Bardot et Marcello Mastroianni dans Vie privée, alors que Fabio (Mastroianni) y monte une pièce. Carol Reed, grand cinéaste britannique des années cinquante, utilise quant à lui la ville de Todi et sa Piazza del Popolo en substitut de la place Saint-Pierre dans L'Extase et l’agonie, récit de la peinture de la chapelle Sixtine par Michel-Ange, incarné par Charlton Heston. Du côté d’Assise, c’est évidemment l’histoire de saint François qui a captivé les imaginaires du cinéma, avec deux films : François d’Assise par l’immense Michael Curtiz (Casablanca, Mildred Pierce) en 1961, et Francesco en 1989 avec Mickey Rourke et Helena Bonham Carter, tourné en partie à la Rocca Paolina à Pérouse. Citons également la présence envoûtante de Jodie Foster et de Catherine Deneuve dans le film La Cabine des amoureux de Sergio Citti (1977), où cette dernière apparaît près d’une source à Campello sul Clitunno, puis devant la façade de la Chiesa San Donato à Campello Alto, non loin de là. Un petit pèlerinage sur les traces de la grande actrice est à portée de pas, avant de vous rendre à Bevagna, sur la Piazza Filippo Silvestri notamment, pour vous replonger dans l’ambiance du tout récent Benedetta (2021) de Paul Verhoeven, avec Virginie Efira dans le rôle principal.

Deux régions redynamisées par le cinéma

Alors que le cinéma italien décline et que la grande époque de Cinecittà semble révolue, certains cinéastes permettent néanmoins à ces régions de continuer à apparaître à l’écran. Roberto Benigni, réalisateur et acteur principal du déchirant La Vita è bella (1997), utilise les studios de Papigno en Ombrie pour reproduire les tristes décors du camp de concentration où Guido et sa famille seront enfermés. Un film qui connaîtra une renommée bien au-delà des frontières italiennes, remportant le Grand Prix du Festival de Cannes l’année suivante, avant de rafler trois Oscars dont celui du meilleur film étranger. Dans les Marches, c’est Nanni Moretti qui tourne à Ancône la quasi-entièreté de son long-métrage La Chambre du fils (2001). Vous y verrez dès lors de nombreuses parties de la cité comme le stadio Dorico, la spiaggia del Passetto ou encore le corso Garibaldi, où l’un des personnages assiste à une étrange manifestation d’Hare Krishna. Citons enfin le film Nos meilleures années ou La Meglio Giioventù (2003) de Marco Tullio Giordana, un monument de 366 minutes tourné en partie à Pérouse et considéré par bon nombre de critiques comme l’un des meilleurs films italiens du siècle.

Depuis quelques années, les deux régions ont chacune mis en place des structures de soutien à la production cinématographique. Les Marches permettent ainsi à de nombreux cinéastes italiens de réaliser courts et longs-métrages, à la fois en fiction et en documentaire, tandis que l’Ombrie a lancé en septembre dernier son premier festival de cinéma, l’Umbria Film Festival, basé à Todi. Ces deux régions ont également accueilli plusieurs séries italiennes, dont la plus mémorable est sans doute la feuilletonnante Don Matteo, où Terence Hill incarne un prêtre aussi finaud que perspicace, avec une capacité étonnante à résoudre les crimes. Brigands et malfrats s’abstenir. Voyageurs, laissez-vous cependant emporter dans ces univers de cinema italiano.