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L’art flamand à Madère

Ancienne colonie portugaise, Madère possède désormais son identité propre. Pour s’imprégner pleinement de l’histoire et de l’art de l’île, un premier arrêt au Musée d’art sacré de Funchal est fortement recommandé. Dans cet ancien palais épiscopal, bâti en 1594, se côtoient des tableaux de maîtres ainsi que des sculptures allant du XVe au XIXe siècle. Ces œuvres d’art venues de Bruges ou d’Anvers sont arrivées à Madère durant l’âge d’or de la production sucrière. Il est bon de savoir que l’Infante Dom Henrique décida en 1433 de développer la culture de la canne à sucre sur l’île. Bien vite, sa production se vend à l’exportation. La Flandre est alors le premier centre de redistribution du sucre. Le port de Bruges devient à la même époque un important centre diplomatique. Certains contrôleurs commerciaux servaient en prime d’intermédiaires dans l’achat d’œuvres d’art entre la Flandre et le Portugal. Dans son journal, le maître allemand Albrecht Dürer écrivit : « Le facteur Brandão m’a offert deux gros et beaux pains de sucre raffiné, deux pots de confiture de sucre ». Au XVIe siècle, les navires portugais étaient chargés de livrer des pains de sucre cristallisé, les balas, dans les ports flamands. Ils rapportaient par la même occasion des peintures, des triptyques et des sculptures religieuses alors en vogue dans toute l’Europe. La puissance économique des clients les conduisit à opter pour des œuvres aux proportions gigantesques, toutes d’une magnifique qualité. Sur cette île particulièrement croyante, aucune œuvre n’était trop somptueuse pour honorer les lieux de culte, que ce soient les chapelles privées, les églises ou les cathédrales. La collection du Musée d’art sacré se divise en deux parties : l’art flamand et l’art portugais du XVe au XVIIIe siècle. 

Il faut également souligner la collection de sculptures flamandes provenant de Malines et d’Anvers. De la peinture portugaise, qui se concentre sur les XVIe, XVIIe et XVIIIe siècles, l’Ecce Homo et l’Ascension du Christ attribués à Fernão Gomes se distinguent au XVIe siècle. Le Musée da Quinta das Cruces, établi dans un manoir, renferme parmi ses nombreux joyaux des ensembles sculpturaux du XVe siècle dont le Retable de la Nativité d’origine flamande et la Sainte Isabelle de Hongrie en argile vitrifiée produite en Italie.

Musée-maison

Le Musée Freitas, parfois connu sous le nom de Casa da Calçada, nous livre un précieux témoignage de cette période. Frederico de Freitas (1894-1978), avocat, notaire et collectionneur, consacra quatre décennies à réunir une stupéfiante collection de gravures, mobilier, céramiques et cristaux datés du XVIIe au XIXe siècle. La thématique religieuse domine la sculpture et la peinture et, excepté une série d’images luso-orientales, les pièces sont principalement européennes. Les gravures relatives à Madère procurent d’importantes sources iconographiques sur la vie locale de cette époque. Le musée-maison est installé dans l’ancienne demeure du collectionneur, une bâtisse rouge totalement inratable. Il a été complété par la Casa dos Azulejos, construite spécialement pour abriter la vaste collection éclectique de carreaux de faïence : pièces orientales, islamiques, médiévales, échantillons de carreaux hollandais. La partie portugaise, qui comprend un important ensemble de modèles du XVIIe siècle, évoque la production nationale jusqu’à nos jours.

Familles d’artistes

La lignée des Vicente symbolise le passage de la gravure à la photographie. Le père, Vicente Gomes da Silva (1827-1906), débuta comme graveur en 1848 et reçut le titre de « Graveur de Sa Majesté l’impératrice du Brésil ». En 1856, il se lança dans l’art photographique. Lorsque l’impératrice Sissi visita Madère en 1860, c’est Vicente qui eut l’honneur de faire son portrait, ce qui lui valut le titre de « Photographe de Sa Majesté l’impératrice d’Autriche ». En parallèle, ce touche-à-tout poursuivit ses activités de graveur, relieur, sculpteur et typographe. Avec l’aide de son fils Vicente, il agrandit en 1887 son atelier doublé d’un jardin, lieu qui a été préservé jusqu’à nos jours. Vicente (le fils) prit la relève et photographia en 1901 le couple royal portugais. Il devint à son tour photographe officiel. Au fil des décennies, l’atelier fut transmis à quatre générations de photographes jusqu’à Jorge Bettencourt Gomes da Silva (1913-2008).

Depuis son ouverture au public en 1982, le musée Photographia-Museu Vicentes, demeuré dans l’ancien studio familial, s’est enrichi de généreuses donations : appareils photographiques, albums de clichés anciens, ainsi que 800 négatifs légués par des photographes amateurs et professionnels.

Pour sa part, le Musée Henrique et Francisco Franco présente le parcours pictural de deux frères nés à Madère. Chacun dans leur domaine de prédilection, ils sont considérés comme les représentants de la modernité portugaise. Henrique (1883-1961) était essentiellement peintre. La collection présente aussi ses dessins, ses gravures et ses fresques de modestes dimensions. Son frère sculpteur, Francisco (1885-1955), a également légué des dessins et des gravures.

Nature et culture

Au terme de longs travaux de restauration, le Musée Monte Palace, doté d’un jardin tropical, est devenu un lieu d’exposition idéal. À noter qu’il possède également une superbe collection d’azulejos anciens et récents. Tout cela grâce à quelques passionnés fortunés que l’on peut assimiler à des mécènes modernes.

Le jardin oriental ouvert au public abrite une surprenante variété de trésors : fenêtres, pagodes, bouddhas, lanternes et sculptures de différentes cultures et époques. Il est également possible d’admirer le panneau composé de 166 azulejos vitrés en terra cotta, titré L’Aventure portugaise au Japon. Un second assemblage de 40 panneaux illustre l’histoire du Portugal. Ne partez pas sans avoir admiré le retable en pierre de la Renaissance sculpté à Coimbra au XVIe siècle, la statue de marbre du XVIIIe siècle, la statue de bronze de James Butler ou encore le célèbre buste en marbre de l’empereur Hadrien daté du IIe siècle. Entre les feuillages, quatre anges de granite représentent quatre des cinq sens : odorat, vue, ouïe et goût. Des arches en pierre, des portes et des fenêtres finement travaillées jalonnent les allées de ce somptueux havre de verdure. Une aile construite par l’homme d’affaires José Berardo, qui commanda la dernière restructuration de la propriété, abrite une vaste collection d’art africain contemporain de la région du Zimbabwe. En prime, des œuvres originaires du Brésil, du Portugal, d’Afrique du Sud, de Zambie, du Pérou, d’Argentine et d’Amérique du Nord. Sur les trois étages, deux sont réservés au millier de sculptures de la collection, sans oublier l’annexe qui présente une collection de minéraux issus des quatre coins du monde.

Pour l’anecdote, José Berardo acquit en avril 1994 deux pièces anciennes de style manuélin (du nom de Manuel qui régna entre 1495 et 1521), une fenêtre et une alcôve, d’une valeur inestimable. Auparavant, ces vestiges gisaient dans un jardin des Açores sans que personne ne les remarque jusqu’à ce qu’une annonce de vente paraisse dans le journal local. Une belle affaire !

Art contemporain

Désormais, Madère mise sur l’éducation par l’art. Dans la partie ouest de Madère, à Calheta, le Musée d’Art contemporain se focalise depuis son ouverture en 2015 sur l’art de 1960 à nos jours. Sa collection inclut 400 pièces qui ont été transférées de la Forteresse de são Tiago. À savoir, le Mudas a été récompensé pour son architecture sobre et élégante, parfaitement intégrée au paysage. Le bâtiment signé Paulo David a été construit dans le prolongement de la Maison de la culture de Calheta qui tient désormais lieu d’espace galerie. Le Mudas comprend, en plus de sa zone d’exposition, un auditorium, une bibliothèque, une cafétéria, un restaurant et un espace dédié aux ateliers et aux animations artistiques. L’établissement entretient une politique d’acquisition afin d’enrichir le fonds initial qui réunit des artistes tels Joaquim Rodrigo, António Areal, José Escada, Helena Almeida, Jorge Martins, Artur Rosa, Manuel Baptista ou encore Nuno de Siqueira. Les œuvres sont pour la plupart achetées auprès des galeries locales ou directement aux artistes.

Art public

En 2010, le quartier délaissé de Santa Maria Maior fit l’objet d’un programme de réhabilitation qui mériterait de faire école. Il est vrai que cette partie de la vieille ville ne manque pas d’atouts. Pour preuve, ses charmantes ruelles pavées de galets typiquement madériens. Sous l’impulsion du programme artE pOrtas abErtas (Portes ouvertes sur l’art), habitants et commerçants ont confié leurs portes et leurs vitrines à l’imagination d’artistes de rue de tous horizons. De grands noms de l’art urbain ont rejoint le projet : Victor Melhorado, Sergio Nobrega Artesão, la décoratrice Nini Andrade Silva, Paulo David ou encore André Gonçalves. De l’union des forces, il a découlé une exposition permanente et atypique, accessible à tous, composée de fresques, de collages et même de sculptures. Tous les styles se rencontrent dans ce déferlement de couleurs et d’inventivité. Le Petit Prince côtoie une sirène sur une balançoire. Plus loin, une baleine géante entre et sort par deux baies vitrées perpendiculaires. Naïves, sombres ou poétiques, c’est au total une centaine d’œuvres qui revitalisent les abords de la rue Santa Maria.

Tous les ans, le Festival de l’Atlantique célèbre l’ouverture de la saison estivale à Madère. De nombreuses initiatives se répartissent tout au long du mois de juin. Les spectacles pyromusicaux illuminent le ciel tandis que la Semaine régionale des arts s’invite dans les lieux publics. Organisée par l’association AREAtistica, la Semaine des arts est destinée à valoriser le talent des étudiants en art madériens. De multiples rencontres, manifestations et spectacles accompagnent l’Exposition Régionale d’Expression Artistique. Sur l’île aux mille couleurs, la relève est assurée !