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Fiestas de la Calle San Sebastián © J Erick Brazzan - Shutterstock.com .jpg

La musique traditionnelle

Une des traditions musicales les plus solidement ancrées dans le sol portoricain (à tout point de vue) est la musique dite jíbara. Les Jíbaros sont les agriculteurs - généralement d'origine hispanique - qui formaient une large majorité de la population portoricaine jusqu'au milieu du XXe siècle. Hormis l’utilisation du cuatro - une cousine de la guitare dotée de cinq paires de cordes -, une des particularités du genre se trouve dans ses textes fondés sur la « décima », un style de poésie octosyllabique qui compte dix vers par strophe et peut aborder de nombreux sujets, y compris la religion ou la politique, parfois avec un ton satirique. La musique jíbara se divise en deux grandes familles devenues des sous-genres : les aguinaldos, des chants de Noël, et les seis. Autrefois populaires, ces derniers ne sont désormais plus visibles que dans les spectacles touristiques. Cela dit, la chorégraphie demeure généralement intacte et voit des couples danser en lignes se faisant face et se croisant à intervalles réguliers tout en claquant des pieds. L'urbanisation a considérablement réduit le nombre d’agriculteurs sur l’île au cours du siècle, effaçant avec leur déclin la musique jíbara.

L’autre pilier de la musique traditionnelle locale, c’est bien entendu la bomba. On ne peut pas envisager d’aller à Porto Rico sans chercher à goûter à la bomba. Authentiquement portoricain, le genre plonge ses racines dans un passé multiculturel très riche qui remonte à la fin du XVIIe siècle. À l’époque, les esclaves africains, interdits de vénérer leurs dieux, ont fusionné leur culte à celui de saint Jacques. La bomba était alors jouée lors des cérémonies qui lui étaient dédiées et où l'on arborait le masque traditionnel pour effrayer les mauvais esprits.

Aujourd’hui, un morceau de bomba commence généralement par un solo de voix féminine auquel le chœur répond. Un chant d'appel et de réponse qui témoigne d’ailleurs de l’origine africaine du genre. Généralement, une seule personne s’extrait du chœur de chanteurs pour danser devant les percussions, ses mouvements dialoguant avec ces derniers. Dans une bomba traditionnelle, l’improvisation joue un rôle très important, aussi bien au niveau de la danse que du chant.

Dans les années 1980, la bomba a quelque peu décliné, bien que toujours cultivée par des groupes folkloriques populaires tels que Son Del Batey ou Los Rebuleadores de San Juan.

Un des grands noms à avoir donné ses lettres de noblesse au genre est Ismael Rivera (1931-1987). Bien que souvent associé à la salsa, ce personnage emblématique de la musique nationale a joué beaucoup de bomba, surtout à ses débuts, lorsqu’il faisait partie du groupe Cortijo y su Combo. En solo, Ismael Rivera a touché à presque toutes les esthétiques portoricaines de son temps et les a interprétées avec suffisamment de talent pour laisser, après sa disparition en 1987, une trace indélébile dans la culture moderne de l’île.

Notons enfin qu’une excellente occasion de voir et entendre de la bomba sur place est la Fiesta De Santiago Apóstol se tenant à Loíza fin juillet. Parmi toutes les cérémonies colorées célébrant saint Jacques, un patron de l’île, on peut admirer des danses de bomba.

Presque aussi populaire, la plena est une autre esthétique traditionnelle importante de l’île. Apparaissant au début du XXe siècle, la plena est dans sa forme typique un genre de chanson simple, accompagnée de tambourins ronds souvent faits maison, où un rythme binaire soutient une mélodie rudimentaire. Dans les années 1920 et 1930, les plenas ont commencé à être enregistrées, notamment par Manuel « El Canario » Jimenez, devenu un des emblèmes du style, avant d’exploser entre les mains de Cesar Concepción, dans les années 1940. C’est ce musicien qui a popularisé la version big-band de la plena et c’est en grande partie grâce à sa notoriété internationale que la plena put être reconnue comme un genre de musique latine à part entière. Moins populaires qu’autrefois, les plenas sont encore couramment interprétées spontanément entre amis ou durant une fête.

Aux antipodes de l’aspect populaire incarné par la plena, la danza est elle aussi une forme traditionnelle mais plus élitiste dans sa forme et sa destination. Son histoire remonte à la fin du XVIIIe siècle, époque où la contredanse française était une des danses les plus pratiquées et populaires d’Europe. Au cours du siècle suivant, une forme créolisée du genre, appelée contradanza, fait irruption à Cuba et à Porto Rico. Communément surnommée danza, elle prospérait autant comme pièce pour piano accompagnant la danse de salon que comme genre orchestral support des danses de bal. La danza a aussi connu son heure de gloire dans les compositions pour piano pleines de grâce de Manuel Gregorio Tavárez (1843-1883), « le Chopin portoricain », ainsi que chez son disciple, Juan Morel Campos (1857-1896), chef d'orchestre et compositeur incroyablement prolifique qui en composa plus de 300.

La musique populaire

Un mot sur la salsa, d’abord. Etant donnée les origines floues du genre, le sujet est potentiellement fâcheux à Porto Rico. Et si Portoricains et Cubains se disputent la paternité, une chose est certaine : elle est au moins aussi populaire sur les deux îles. Le terme, lui, serait en tout cas né à New York à la fin des années 1960, dans les quartiers pauvres latinos désignant à l’époque ce mélange de són cubain et de jazz incluant aussi d’autres rythmes caribéens comme le merengue. Et peu importe les chamailleries entre les deux îles, elles ont vu naître toutes deux autant de stars de la salsa. Ici, elles s’appellent Willie Rosario, pro du saxophone baryton, Héctor Lavoe (1946-1993) connu comme «  El cantante de los cantantes » (le chanteur des chanteurs), Eddie Santiago, un des ambassadeurs de la salsa romantique, tout comme Jerry Rivera, parangon du genre ou encore Giberto Santa Rosa (né en 1962) considéré comme une légende vivante.

Plus récemment, la salsa a épousé l’autre esthétique portoricaine la plus importante de son histoire : le reggaeton. Les collaborations entre les deux univers sont fréquents et il est tout sauf étonnant de voir, par exemple, des stars du reggaeton comme Daddy Yankee inviter un chanteur de salsa comme Andy Montañez sur un de ses titres (dans le cas présent : Sabor A Melao). Si cette rencontre intergénérationnelle est agréable et prolifique, disons qu’elle n’est pas systématiquement heureuse et ne produit pas que des chefs-d’œuvre. Le marketing a ses raisons que le raison ne connaît pas (toujours).

Impossible également de ne pas mentionner ici le (très) grand succès portoricain de ces dernières années : Despacito. Chanté par Luis Fonsi en duo avec Daddy Yankee (toujours et encore), ce single est devenu un tube planétaire cumulant 5 milliards de vues sur YouTube quelques mois seulement après avoir été mis en ligne. C'est tout simplement la première chanson hispanophone à rencontrer un tel succès depuis La Macarena en 1996. D’ailleurs, si vous adorez le morceau et êtes aux alentours du Vieux San Juan, il vous est plus que conseillé de passer par la Factoría. Élu comme l’un des 50 meilleurs bars du monde, l’endroit a servi de décor au chanteur Luis Fonsi pour le tournage de son fameux clip.

Un peu plus sur le reggaeton…

La Jamaïque a le reggae, Porto Rico a le reggaeton. Carton international depuis le début des années 2000, le reggaeton est l’esthétique portoricaine par excellence - au carrefour du rap, du dancehall et de la musique latine - et l’emblème de l’île. Si on situe sa naissance au Panama dans les années 1990, c’est vraiment à Porto Rico que le genre prend vie (et que le nom est inventé). À l’époque, les musiques caribéennes (surtout le ragga) et afro-américaines (essentiellement le rap) prennent de l'ampleur à Porto Rico. Dans ce contexte, des artistes locaux utilisent le rythme du morceau Dem Bow de l’artiste jamaïcain Shabba Rank pour en faire l’ossature de leurs morceaux. Le reggaeton est né. Rapidement, le genre va s’affranchir de la simple hispanisation du dancehall jamaïcain, notamment entre les mains du Portoricain Daddy Yankee qui impose une saveur propre et des codes au genre. Extrêmement populaire auprès de la jeunesse, le reggaeton raconte la vie de rue, les femmes et la drogue, mais pas que. Si le style apparaît souvent peu fréquentable, quelques artistes importants - de plus en plus - sortent le genre de sa zone de confort et lui offrent une nouvelle dimension. C’est notamment le cas de la star portoricaine Bad Bunny qui donne une lecture arty, sensible et presque intello au reggaeton. Sans compter que de plus en plus de femmes connaissent un succès commercial et d’estime dans le domaine, estompant un peu le machisme ou la vulgarité inhérente au genre. Parmi elles, Karol G (qui est colombienne) ou la Portoricaine Ivy Queen sont plus que recommandables. Cette dernière est d’ailleurs souvent citée comme influence par de nombreux artistes.

Peut-être sont-ce les textes où demeurent une misogynie ambiante et une homophobie pas encore éradiquée ou l’hyper-sexualisation - remarquable dans le perreo, la danse typique du genre qui se danse fessier levé, collé à son partenaire -, mais le genre semble être ignoré voire ouvertement méprisé par les médias. Pourtant Bad Bunny a été l'artiste le plus écouté de Spotify en 2020, des grandes chanteuses comme Rosalia en gorgent leurs albums et les grands tubes du genre battent régulièrement les records de ventes ou d’écoutes. Capable de catalyser les colères et résistances de la jeunesse - derrière ses aspects de musique festive -, le reggaeton est une musique bien plus complexe qu’on ne l’autorise à être. Méjugé et décrié pour l’instant, le reggaeton parcourra sans doute le même chemin vers l’acceptation que le rock ou le hip-hop avant lui.

La musique classique

Le monde de la musique classique portoricaine est tout petit mais il y a tout de même un nom à retenir : Pablo Casals (1876-1973). Vous remarquerez peut-être qu’il est espagnol, et vous aurez raison. Mais le compositeur a passé ses vieux jours à Porto Rico et est, en conséquence, un peu considéré comme un compatriote par les Portoricains. Sa carrière brillante est le fruit d’une rencontre imprévue avec la reine d’Espagne, qui a éclairé son destin. Alors qu’il joue du violoncelle dans un café de Catalogne en Espagne pour gagner un peu d’argent, elle le repère et, séduite par son talent, le prend en charge pour lui trouver une bourse. Pablo Casals est aujourd’hui l’une des grandes références de l’histoire du violoncelle, avec Rostropovitch. Il a mis en place de nouvelles techniques, et a fait évoluer l’instrument. Également compositeur, ce musicien a laissé une formidable œuvre pour violoncelle. En Espagne, il est respecté pour son engagement contre le fascisme. Il n’a jamais accepté d’aller jouer en Allemagne sous le nazisme, et n’a tenu aucun concert pendant cinq ans en Espagne pour s’opposer à Franco. Finalement, il choisit Porto Rico, où il fonde l’orchestre symphonique et donne de nombreuses master classes. Il meurt à San Juan à l’âge de 96 ans.