Orthodoxie orientale

Elle est introduite en Russie au Xe siècle. À l’époque, elle n’existe pas en tant que telle ; Église d’Orient (siège à Byzance/Constantinople) et Église d’Occident (siège à Rome) ne forment qu’une seule et même Église chrétienne. Avant et après le schisme, l’Église orientale développe en Russie de profondes racines, qui en hérite toute une tradition spirituelle, liturgique et architecturale. L’orthodoxie devient au fil du temps indissociable de l’identité culturelle russe au sens large. De nos jours, l’Église orthodoxe de Russie, réformée en 1666-1667, est de type national et autocéphale, c’est-à-dire qu’elle est placée sous l’autorité exclusive de Sa Sainteté le patriarche de Moscou (Cyrille depuis le 1er février 2009).

Patriotisme. C’est l’une de ses valeurs fortes. Aussi le pouvoir, quelle qu’ait été sa nature (impérial, soviétique, fédéral), s’en est-il systématiquement servi de levier d’influence. Le régime stalinien, par exemple, qui pourtant mène une politique antireligieuse à 360° extrêmement répressive, lui confère une place subtilement à part. En 1943, le patriarcat de Moscou, disparu depuis 1925, est rétabli, de même qu’un conseil pour les affaires de l’Église orthodoxe est créé (tandis qu’une seconde entité prend en charge les relations avec tous les autres cultes confondus) ; ce ciment du peuple soviétique, essence de l’âme russe, est instrumentalisé pour mobiliser les foules (Seconde Guerre mondiale, dite « Grande Guerre patriotique », propagande anti-occidentale, etc.). À la chute de l’URSS, avec la levée des interdictions (notez que les persécutions religieuses s’étaient relâchées à partir de 1957), la population de confession orthodoxe opère un retour frénétique vers les lieux saints et la liturgie : sacrements, bénédictions et autres rituels s’effectuent à tour de bras ! Le moyen d’affirmer son identité russe ? Dans les années 2000, diverses études montrent que sur les 70-80 % d’individus affirmant être orthodoxes, seulement 6-8 % sont pratiquants.

Architecture sacrée et liturgie. Ce sont deux autres piliers de la doctrine. Il s’agit de permettre aux fidèles de s’élever vers leur Dieu, dans un environnement représentant le ciel sur la terre. En Sibérie, vous ne manquerez pas d’être transcendés par la diversité architecturale des lieux saints, anciens ou récents, de la simple chapelle de bois, posée là, en lisière de forêt, aux fabuleuses cathédrales des grandes villes. À l’intérieur, les décors y sont tout aussi somptueux que variés : fresques déconcertantes, icônes omniprésentes, objets liturgiques étincelant à la lumière des innombrables bougies allumées en offrandes par des fidèles fervents. Les églises orthodoxes de Sibérie sont en effet assez fréquentées, à toute heure de la journée ; elles sont par ailleurs entretenues par une multitude de petites mains précautionneuses (vous observez ces allées venues à chaque visite, dans n’importe quel édifice), de même que les jardins, luxuriants. À Irkoutsk, visitez l’église de l’Exaltation-de-la-Sainte-Croix entre 9 et 10h : une messe y a lieu chaque matin et la liturgie y est accompagnée par une chorale à la musicalité sibylline. Vous remarquerez combien le corps est impliqué dans la prière : les fidèles, debout (il n’y a que très peu de sièges dans une église orthodoxe), se signent et s’inclinent fréquemment. Mesdames, lors de vos visites, sachez qu’il est très recommandé de couvrir vos cheveux d’un foulard (en libre-service si vous n’avez pas de couvre-chef. Revêtir le tablier, qui simule le port d’une jupe, n’est pas toujours nécessaire). Vous optez pour un voyage hivernal ? Sous la neige, la cathédrale Notre-Dame-du-Signe de Tioumen, aux murs d’un blanc immaculé et aux toitures bleues, est éblouissante. À la recherche d’une ambiance autrement féerique, voire romantique ? Rendez-vous en Altaï, dans le village de Tchemal : nichée dans les montagnes, se trouve la petite île de Patmos et son charmant ermitage de bois. Au musée d’architecture et d’ethnographie en plein air Taltsi (au km 47 de la route Baïkalski, en direction de Lisvianka), vous visitez la fabuleuse petite église de Kazan, en rondins de mélèze, déplacée ici et consacrée à l’icône de la mère de Dieu (XVIIe siècle). Des messes y sont données, de même que le sacrement du mariage…

Si vous voyagez en Sibérie autour du 18 janvier, vous assisterez sans doute (ou y participerez, si vous avez le cran) au rituel de la Théophanie, L’Épiphanie orthodoxe, qui commémore le baptême du Christ. Les croyants (et autant voire plus de profanes désireux de relever le défi) se baignent dans l’eau glacée (c’est généralement en cette période qu’ont lieu les grands froids). Au vu de la popularité croissante de « l’expérience » (par ailleurs très critiquée par les ecclésiastiques rigoristes), des bains publics sécurisés sont aménagés un peu partout en Sibérie en bord des cours d’eau et des lacs.

Islam et judaïsme

L’islam s’impose comme la deuxième religion de Russie, avec 10 à 15 millions de fidèles (il n’existe pas de statistiques précises). En Sibérie, beaucoup de villes disposent d’une à deux mosquées, relativement fréquentées, et de tous les styles, souvent futuristes : Oufa (mosquée Lala Tulpa, ultra moderne, bâtie en 1998) ; Perm (édifice vert pâle d’époque 1900, financé par les marchands tatars) ; Barnaoul (construite en 2004 ; kraï de l’Altaï, qui compte près de 30 000 musulmans), Irkoutsk (édifice de pierre et minaret de bois. Le muezzin chante autour de 17h. L’imam est très accueillant).

La Sibérie abrite un étonnant reliquat de la politique stalinienne, situé en Extrême-Orient, au bord de l’Amour : l’oblast autonome juif et sa capitale Birobidjan (km 8351 du Transsibérien, où les touristes étrangers se font rares). Vous y découvrez les vestiges de l’intelligentsia juive qui vivait ici : signalétique en yiddish ; siège du journal Birobidshaner Stern, également galerie d’art, où sont organisés des événements culturels. De nombreux prisonniers polonais juifs ont par ailleurs été incarcérés dans la région d’Oulan-Oude à la fin du XIXe siècle, donnant naissance à une diaspora éparpillée autour de la rive sud du lac Baïkal, notamment à Ust-Bargouzin et à Bargouzin (ne soyez pas surpris si vous y apercevez d’anciens cimetières juifs, reconnaissables par leurs tombes en argile de forme pyramidale). Une précision : la communauté juive a massivement quitté la Russie à la chute de l’URSS. Le recensement de 2002 (le dernier) fait état de 230 000 individus, contre 570 000 en 1989, dont environ 140 000 établis en Sibérie. Vous n’y admirerez que quelques synagogues : à Tomsk (la première, datée de 1902, fut transformée en cinéma puis en école militaire à l’époque soviétique ; la seconde, dite cantoniste, est un peu inattendue, puisque située dans une vieille bâtisse en bois. Elle a été rendue à ses fidèles en 2019), à Birobijan, à Irkoutsk (à quelque 900 m de la mosquée, rue Karla-Libknekhta 23) et à Vladivostok (classée monument d’architecture de valeur régionale).

Bouddhisme

C’est avec l’installation de communautés mongoles au sud de la Sibérie orientale aux XVIe et XVIIe siècles que l’histoire du bouddhisme commence en Sibérie. En 1741, un décret impérial reconnaît l’existence d’une foi lamaïste. La construction de datsans se développe ; des campagnes de conversions massives sont alors menées par des missionnaires mongols et tibétains, supplantant au passage le rayonnement du chamanisme et des croyances traditionnelles qui lui sont liées. Le bouddhisme connaît un revers de médaille à l’époque stalinienne : destruction des temples ; persécution du clergé ; fermeture des universités, les centres d’enseignement des lamas. Dans les années 1940, un relâchement des autorités mène à la réouverture de centres religieux : c’est en cette période, en 1945, que le datsan d’Ivolginski est construit (à quelque 35 km d’Oulan-Oude. Il abrite le corps impérissable du moine Itigilov). Aujourd’hui, le bouddhisme de tradition Gelugpa est la religion officielle des républiques de Touva et de Bouriatie (aussi de Kalmoukie, située en Russie européenne). Très implanté en Khakassie et Transbaïkalie, il y est revendiqué comme partie prenante des identités locales. Fait intéressant, le président Poutine a annoncé officiellement son soutien à la communauté bouddhique russe en 2013, mais refuse l’entrée dans le pays au Dalaï-Lama depuis 2004.

Le plus ancien monastère de Sibérie est celui d’Aginskoïe, vraisemblablement bâti à la fin du XVIIIe siècle (Transbaïkalie, à proximité de la ville du même nom, à l’étonnante architecture multi-ethnique. Les références à la Mongolie y sont nombreuses. À 265 km au sud de Chita). En République de Touva se trouve le monastère du Haut Tchadan, très importante centralité spirituelle et culturelle qui attire les foules. On y admire les colossales fondations du temple originel, bâti au début du XXe, le seul à avoir été conçu selon les canons de l’architecture religieuse tibétaine. Chaque année en juillet s’y tient un festival de musique sacrée (Ustuu-Khuree, à 230 km à l’ouest de Kyzyl, très accessible). Enfin, à Irkoutsk, hors des sentiers battus, rendez-vous à la stolovaya du datsan du quartier populaire Barrikad (zéro touriste, spécialités tibétaines et bouriates, budget mini).

Bouddhisme ou chamanisme ? L’origine de différentes fêtes et croyances fait encore débat : c’est le cas de Sagaalgan, l’équivalent du Nouvel An lunaire. Cette célébration annuelle, qui marquait autrefois la fin de l’été, aurait été déplacée par les autorités bouddhistes pour signifier l’arrivée du printemps (autour de février, selon le calendrier). On visite la famille, les amis, on échange des cadeaux (friandises, thé). On se déplace au temple pour y pratiquer le rituel Dugjuba : on s’enduit le corps de farine blanche, que l’on récupère dans un sachet de papier. Ces paquets sont ensuite brûlés : de là, les corps et les esprits sont délestés de leurs impuretés, la nouvelle année peut s’annoncer !

Chamanisme

Imaginez cet homme d’apparence banale, frappant à la porte d’un appartement, dans l’un des immeubles soviétiques de Kyzyl (république de Touva). L’homme s’enquiert de la santé de son hôte, qui lui fait part de ses problèmes professionnels et financiers. Il extrait de son sac un tambour, une coiffe de plumes et un rameau d’artish (genévrier endémique de la taïga), qu’il va allumer et laisser se consumer pour purifier la pièce. Le rituel commence ; il chante, il joue de son instrument sans se préoccuper des voisins (eux aussi feront appel à lui un jour ou l’autre). Cet homme est un chaman, il consulte à domicile, il écoute, il guide, il soigne. Comme d’autres, il a sa page sur VK® et un compte Instagram® ; il vit de ce que lui donnent ses « patients ».

Le chamanisme s’inscrit dans un ensemble de croyances cimentées par une certitude : il existe une alliance entre l’être humain, son environnement naturel (faune, flore, et autres éléments : eau, feu, etc.) et les esprits qui y résident (les divinités, les défunts, les âmes des animaux, les enfants à naître, les démons, etc.). Charge aux hommes de l’entretenir en suivant des règles précises ! Le chamane répond au rôle de médiateur entre les deux partis : lui seul, grâce au don, que certains, en Bouriatie, appellent la « maladie », à l’héritage de connaissances transmises par ses aînés et bien souvent en ayant recours à la ruse, peut entrer en contact avec ce monde réel, mais invisible. Ce sont ses talents de négociateur qui aideront une personne souffrante à guérir, un étudiant à passer ses examens avec brio, un couple à avoir un bébé, ce monsieur à trouver une meilleure proposition d’emploi. Car dans ces cultures sibériennes, les esprits (vengeurs, mauvais, ou simplement irrités par un hommage bâclé) sont à l’origine des maux et des tourments ! Le décryptage des rêves, des signes, la musique, la danse, la phytothérapie, l’ingestion de plantes et champignons dits « hallucinogènes » et des objets participent au rituel chamanique, variable d’une société à l’autre.

Le chamanisme a lui aussi beaucoup souffert à l’époque soviétique, puisque la collectivisation des terres, la sédentarisation forcée et la scolarisation des enfants ont détruit les systèmes de transmission des savoirs traditionnels. Bien des rituels ont survécu, comme l’acte de bénir une sortie en nature avec quelques gouttes de vodka, mais dont l’origine s’est perdue… Toutefois, loin d’appartenir au passé et au folklore, les pratiques chamaniques se sont institutionnalisées dès l’effondrement de l’URSS. De très nombreuses organisations officielles (et sérieuses) existent, se réunissent et pratiquent : Tengeri à Oulan-Oude ; Düngur à Kyzyl, créée en 1992 par un historien éclairé qui, discrètement, a pu retranscrire les connaissances des chamanes rescapés du Goulag. D’autres associations, plus récentes, reçoivent en consultation dans leurs cliniques ultra modernes avec pignon sur rue. C’est le cas d’Adyg-Eeren, qui dispose même d’une yourte-hôtel pour accueillir des touristes. En Khakassie, Touva, Bouriatie, Transbaïkalie, une partie de cette culture paganiste est bien visible : l’entrée dans chaque région est signalée par son animal totem (renne, aigle, ours, etc.) ; le long des routes, vous observez quantité de mystérieux poteaux de bois. Ce sont des serge : autrefois plantés en terre pour signifier l’établissement d’un campement (les nomades mongols et bouriates y attachaient leurs chevaux), on les dispose aujourd’hui autour de la maison à l’occasion du mariage d’un fils (ce sont les pères qui les sculptent, à base de bois de bouleau ou de résineux, selon les groupes culturels). Les serge, sortes d’autels, sont encore très fréquentés : on y prie (sur la route, pour éloigner un mauvais esprit et sécuriser le trajet), on y dépose des offrandes (rubans, pièces de monnaie, cigarettes). Sachez enfin que le mont Juma, dans l’île d’Olkhon, abrite l’esprit du lac Baïkal : aussi les serge y sont-ils innombrables, visibles de tous (au cap Burkhan ou dans la ville de Khoujir), mais également secrets et protégés en forêt (notamment autour de l’ancien lac salé Shara-Nur, dont la boue a des vertus médicinales. Le lac est asséché depuis quelques années).