La dévastatrice pandémie de Covid-19

Catastrophes naturelles récurrentes, migrations, pauvreté, insécurité alimentaire et nutritionnelle… Autant de défis auxquels le Guatemala est confronté. À cela s'est ajoutée la pandémie de Covid-19, qui a creusé les inégalités, exposant les personnes vulnérables à de multiples urgences. En 2020 déjà, combinée aux ouragans Eta et Iota, la crise sanitaire a laissé 1,8 million d'habitants dans le besoin d'aide humanitaire. Un nombre qui s'élevait à 3,8 millions en décembre 2021, représentant ainsi 25,5 % de la population.

La même année, les déplacements de population ont atteint des niveaux historiques : le Guatemala fait partie des 25 pays du monde où l'on recense le plus de mouvements liés aux conflits ou aux catastrophes naturelles. Enfin, la pandémie a eu un lourd impact sur l'économie, ne serait-ce qu'en termes de tourisme. En avril 2021, le gouvernement estimait que, depuis le début de la crise, le Guatemala avait perdu 76,7 % de ses visiteurs étrangers, générant une chute du secteur de 18,8 % et provoquant des milliers de licenciements. Avant le Covid-19, le tourisme représentait 6,2 % du PIB.

Une criminalité en baisse

Néanmoins, la pandémie aura eu un impact « positif ». En 2020, en raison des restrictions de mobilité – entre autres – le pays, célèbre pour l'insécurité qui y règne, a connu le niveau de violence le plus bas depuis 1986, avec un taux d'homicides de 15,4 pour 100 000 habitants (contre 1,3 en France). Une baisse de 67 % depuis le pic observé à la fin de 2009, qui comptait 46 homicides pour 100 000 personnes. Résultat : la zone métropolitaine de Guatemala Ciudad est sortie du classement des villes les plus dangereuses du monde, réalisé chaque année par le Conseil Citoyen pour la Sécurité Publique et la Justice Pénale A.C. Depuis, le « retour à la normale » se fait progressivement à l'échelle nationale, avec 16,6 homicides pour 100 000 personnes en 2021 et 17,3 en 2022. Des chiffres encore éloignés des 21,5 homicides pour 100 000 habitants de l'année 2019.

La mauvaise réputation du pays en matière de criminalité tient essentiellement à la présence des maras – des gangs. Si, pour la majorité, ils ne sévissent « que » dans certaines zones dans la capitale, à l'instar des quartiers nord de Marseille par exemple, ils se démarquent par leur violence. Les plus connus, La 18 et la Mara Salvatrucha, ont vu le jour dans les années 1980 et 1990, à Los Angeles. Après leur expulsion, ils ont formé des alliances avec les cartels mexicains et les ont notamment appuyés dans leurs opérations liées au trafic de cocaïne. Aujourd'hui, le Guatemala constitue un point de rencontre et de transit clé pour les narcotrafiquants. Contrebande d'armes, vols, séquestrations, homicides : tels sont les fléaux auxquels les gouvernements successifs tentent de mettre un terme. Par ailleurs, les procès pour règlements de compte font l'objet de retards importants, tandis que l'impunité perdure dans le système de justice pénale : quel que soit le délit, les victimes obtiennent très rarement gain de cause.

Mécontentement général sous le mandat de Giammattei

La criminalité était une thématique phare du programme de l'ancien président de la République Alejandro Giammattei, au pouvoir jusqu'en janvier 2024. L'un de ses objectifs principaux : s'occuper d'une « main de fer » du crime organisé, ainsi que du narcotrafic, et, pour ce faire, créer un Conseil National de Sécurité et rétablir la peine de mort. Arrivé à la tête du pays le 14 janvier 2020, Alejandro Giammattei avait également pris parti contre les précédents gouvernements, qui se sont illustrés par les importantes affaires de corruption dans lesquelles ils baignaient. Surtout, sa campagne reposait sur le « mur d'opportunités » qu'il offrirait à la population, soit le tant attendu développement économique qui donnerait aux habitants un accès égalitaire à l'éducation, au marché du travail et aux soins. Le tout favorisant la diminution de l'insécurité.

Cette fois serait-elle la bonne ? Le Guatemala serait-il enfin débarrassé de ses politiques corrompus pour se concentrer sur le vaste terrain économique et social qui l'attend ? Des questions que tout un chacun s'est posées. Malheureusement, elles ont vite obtenu une réponse – et pas celle escomptée.

Glissements de terrain, inondations, destructions d'habitations, disparitions… Au début et à la mi-novembre 2020, une partie du pays est ravagée par les ouragans Eta et Iota, affectant des milliers de personnes. C'est dans ce contexte que, le 21, des centaines de manifestants mettent le feu au Parlement, à Guatemala Ciudad, en marge des protestations visant à demander la démission du président. En cause : le budget 2021, auquel il venait de donner son aval. Fixé à 99,7 milliards de quetzales – 10,9 milliards d'euros – il s'agissait du plus important de l'histoire du pays. Une somme si conséquente que des analystes et économistes avaient averti du risque qu'un tiers du budget soit financé par la dette publique.

Autre problème : au lieu d'alimenter la lutte contre la pauvreté – qui touche 59 % de la population – et la malnutrition infantile – qui concerne près de la moitié des enfants de moins de 5 ans – la plupart des fonds sont destinés à des infrastructures gérées par des entrepreneurs, tandis que les dépenses des députés sont augmentées. En d'autres termes, le budget privilégie les propriétaires et les politiques au détriment des ressources allouées à la santé et à la protection sociale, deux domaines particulièrement ébranlés par les récentes catastrophes naturelles… Les habitudes ont la dent dure au Guatemala.

Le président a de nouveau suscité le mécontentement de son peuple en juillet 2021, lorsqu'il a démis de ses fonctions le procureur spécial contre l'impunité. Le lendemain, ce dernier quittera le territoire et déclarera à la BBC que ses investigations mettaient en lumière de possibles actes de corruption de personnes « pour le moins proches du cercle » d'Alejandro Giammattei. La semaine suivante, des milliers de manifestants défileront devant le palais présidentiel et le bureau du procureur général. Un épisode qui n'est pas sans rappeler celui où, quatre années auparavant, l'ancien président Jimmy Morales avait déclaré persona non grata le magistrat anticorruption à la tête de la Commission Internationale Contre l'Impunité au Guatemala. Motif : il enquêtait sur le financement de sa campagne.

Malheureusement, la répression contre les agents anticorruption, des juges aux avocats en passant par les procureurs, ne cesse de s'accentuer sous le régime Giammattei.Citons le mois de février 2022, particulièrement lourd en termes de mandats d'arrêt. En raison de leur « possible responsabilité dans le délit d'abus d'autorité », deux auxiliaires du Parquet spécial contre l'impunité (FECI) sont concernés, de même que l'avocate Eva Xiomara Sosa, ex-procureure de la FECI, et Leily Santizo, enquêtrice pendant onze ans au sein de la Commission internationale contre l'impunité au Guatemala (CICIG). En cause : la « possible commission du délit d'obstruction de justice ». En juin 2023, le gouvernement est allé jusqu'à arrêter José Rubén Zamora Marroquín, pionnier du journalisme d'investigation dans le pays, pour blanchiment d'argent. Un procès longuement débattu, d'autant que la mise en détention du journaliste est intervenue cinq jours après qu'il a lancé de graves accusations de corruption contre Alejandro Giammattei et son cercle proche.

L'élection d'Arévalo comme rejet de l'establishment

Face aux grands défis de la gestion de la crise sanitaire, de la lutte contre la corruption et contre les inégalités économiques et sociales, de la lutte contre la criminalité, le peuple a estimé que le compte n'y était pas en élisant largement en août 2023 avec 60,9 % des suffrages le progressiste Bernardo Arévalo, qui a pris ses fonctions en janvier 2024. C'est grâce notamment à son discours empreint de justice sociale et fermement anti-corruption qu'il se fait élire, sanctionnant ainsi l'inefficacité de la classe politique. Mais les doutes sur ses capacités à réformer un pays gangrené par la corruption sont légitimes : son parti Semilla n'obtient que 23 sièges sur 160 au Parlement, - il devra donc composer avec les partis traditionnels - et, à peine élu et avant sa prise de fonctions en janvier 2024, il est déjà victime d'un acharnement judiciaire de la part du ministère public, qui met au pas dans le même temps les responsables de la lutte anti-corruption. Sa tâche est immense.