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Un racisme hérité de la colonisation

Historique et structurel, le racisme est utilisé pour justifier les inégalités économiques, politiques et sociales prégnantes au Guatemala, dont souffrent particulièrement les indigènes. Pour comprendre pourquoi il perdure, il faut remonter à la Conquista, en 1524. Car, même si l'idée de race est apparue entre les XVIIIe et XIXe siècle, les systèmes de pouvoir et d'oppression se sont développés avec la colonisation. Lorsque les Espagnols – uniquement des hommes – ont émigré sur le nouveau continent « américain », ils se sont dirigés vers l'exploitation de ressources et l'occupation de terres. L'absence d'Européennes les a menés à cohabiter avec les femmes indigènes, souvent par la force. C'est ainsi que le métissage a commencé, le « blanchiment » de la population devenant une démonstration de la domination des conquistadors. Si le viol était utilisé comme un élément du processus d'invasion et de servitude, le métissage est aussi né des unions permises par la couronne. Elles avaient lieu entre les indigènes et les encomenderos, les hommes en charge des encomiendas, c'est-à-dire des organisations mises en place par l'Espagne pour mener à bien la colonisation. Résultat : la première génération de criollos – leurs descendants – a vu le jour. Plus tard, ce sont eux qui obtiendront le statut d'encomendero.

Pendant les XVIIe et XVIIIe siècle, et jusqu'à l'Indépendance de 1821, la couronne a établi un système de castes qui reposait sur la proportion de sang espagnol et sa pureté. En résultait une organisation hiérarchique et aristocratique des groupes sociaux. Duale, la société était régie par la classification officielle et la normalisation du racisme, qui se manifestaient par des préjudices ethnico-raciaux, des injustices et des inégalités. Par exemple, les privilèges des Espagnols et de leurs descendants leur donnaient accès à des droits, à des postes de pouvoir, à l'éducation et à diverses activités économiques.

L'Histoire a laissé des traces. Aujourd'hui, bien qu'il n'existe plus de castes à proprement parler, les Blancs, les Ladinos et les Mayas forment trois groupes aux réalités bien distinctes, les premiers étant les plus avantagés et les derniers les plus défavorisés. Les Blancs, souvent propriétaires de vastes exploitations agricoles, concentrent une part importante du pouvoir économique et politique du Guatemala. Les Ladinos, eux, sont essentiellement commerçants, artisans ou fonctionnaires, quand les Mayas sont encore presque exclusivement paysans et « petits » commerçants, cantonnés à des tâches nécessitant peu de qualifications, souvent rurales, et – évidemment – mal rémunérées. En marge de la société, victimes d'exclusion sociale, ils sont touchés à 75 % par la pauvreté, alors qu'elle concerne deux fois moins les autres habitants du pays.

Le difficile accès à l'éducation

Cercle vicieux, non seulement la fracture sociale génère le manque d'accès à l'éducation, mais ce dernier l'aggrave également. Ainsi, 20,47 % des Guatémaltèques n'ont jamais été scolarisés. Loin d'être une coïncidence, le département le plus touché – à 32,83 % – est le Quiché, constitué à 89,17 % de Mayas. Vient ensuite l'Alta Verapaz – 31,12 % – dont les indigènes représentent 92,95 % de la population. Préoccupante, la situation s'aggrave d'année en année : si, en 2009, 96 % des enfants allaient à l'école, ils n'étaient plus que 78 % en 2019. Plus largement, près de 40 % des jeunes âgés de 4 à 29 ans ont dû arrêter les études par manque d'argent et parce qu'ils devaient travailler. En cause : la nécessité de payer, 80 % des lycées étant privés. Résultat : seuls 13,26 % des Guatémaltèques ont atteint le niveau lycée, 4,56 % sont allés jusqu'à la licence et 0,48 % sont titulaires d'un master ou d'un doctorat.

Retenons deux derniers pourcentages sur le sujet : 14,96 % et 21,73 %. Ce sont les parts respectives d'hommes et de femmes analphabètes, qui illustrent une autre problématique : la discrimination dont les femmes indigènes sont particulièrement victimes. Tandis que les hommes qui naissent dans les communautés rurales peuvent espérer obtenir des meilleures conditions de vie en allant au moins à l'école primaire, puis en travaillant, elles n'ont souvent pas la chance d'être scolarisées et sont cantonnées à un rôle de fille, puis d'épouse. Néanmoins, un vent de liberté souffle dans certains villages, dans le domaine de l'artisanat notamment : les quelques coopératives de femmes qui y voient le jour permettent à leurs membres de gagner en autonomie financière. Des acteurs du secteur touristique participent également à leur émancipation, en développant des projets d'éducation – à l'instar de l'agence CA Travelers, dans les environs d'Antigua.

L'égalité femmes-hommes mise à mal

Les femmes indigènes ne sont pas les seules à souffrir du système : le Guatemala est un pays sexiste. Si vous voyagez seule, préparez-vous à subir du harcèlement de rue – finalement assez comparable à celui que l'on peut connaître en France dans les grandes villes. Par ailleurs, il n'est pas rare de constater l'absence des femmes dans l'espace public, souvent contraintes de rester au domicile familial pour s'occuper des enfants et du foyer. De la même manière, elles sont très peu présentes dans les sphères politiques.

Inégale répartition des tâches ménagères, discriminations à l'embauche, plafond de verre… Outre les inégalités de genre « classiques », les violences contre les femmes sont préoccupantes au Guatemala : il s'agit du délit le plus commis ces dernières années. En 2020, avec les restrictions de circulation inhérentes à la crise sanitaire de Covid-19, les féminicides ont atteint le nombre de 358 – contre 102 en France. En d'autres termes, une femme est morte des mains d'un homme presque chaque jour pendant un an.

En 2008, le Guatemala a adopté une loi contre les féminicides, les pénalisant de 25 à 50 ans de prison. Depuis cette date et jusqu'en 2022, on a comptabilisé 2 168 féminicides commis dans le pays. Par ailleurs, s'adonner à d'autres formes de violences contre les femmes, notamment physiques et sexuelles, est désormais passible de 5 à 12 années de prison. Des mesures notables, non seulement parce qu'elles ont établi des peines plus importantes, mais aussi pour les obligations qu'elles ont imposées à l'État, telles qu'emmener les survivantes de violence domestique dans des refuges dédiés et collecter les chiffres sur les violences faites aux femmes. Cependant, plus de dix ans après l'entrée en vigueur de la loi, les institutions s'y conforment rarement et son application ne débouche quasiment jamais sur des condamnations.

La famille traditionnelle comme seul modèle

Autre élément préoccupant : la politique publique entrée en vigueur en juillet 2021 – et ce, sans le soutien des organisations de la société civile qui avaient participé aux discussions. La « protection de la vie et de l’institutionnalisation de la famille », dont est chargé le ministère de l'Éducation, viserait à favoriser les conditions d'équité et d'inclusion pour construire des projets de vie individuels et collectifs pour la famille, et à lui garantir un accès à des services durant l'étape prénatale et la petite enfance. En réalité, les stratégies et implications de cette politique suscitent l'inquiétude croissante des journalistes et des défenseurs des droits humains.

En cause : des lois de plus en plus dangereuses pour les femmes. Citons d'abord l'approbation du projet de loi n° 5272 en deuxième lecture par le Congrès en 2018. Présenté par plusieurs leaders évangéliques – appartenant donc à une mouvance conservatrice où la famille traditionnelle est centrale, et qui gagne du terrain au Guatemala – comme une initiative populaire, le texte criminalise les fausses couches, imposant des peines d'emprisonnement aux femmes qui en subiraient une. De la même manière, il rend passible de prison chaque personne qui ferait « la promotion de l'avortement ou faciliterait son accès ». Le décret émis par le Congrès de la République en mars 2022 passe à l'étape supérieure en augmentant les peines de prison pour les femmes pratiquant ou demandant une IVG… Un paradoxe puisqu'il interdit également aux écoles de mettre en œuvre des programmes d'éducation sexuelle.

Une communauté LGBTQI+ opprimée

Cette même politique publique définit le mariage comme l'union entre un homme et une femme et décrit la « diversité sexuelle » comme « incompatible avec les aspects biologiques et génétiques de l'être humain ». Le décret mentionné ci-dessus déclare également les personnes homosexuelles comme « des groupes minoritaires de la société, qui véhiculent des courants de pensée et des pratiques incongrues avec la morale chrétienne ». En d'autres termes, puisqu'elle tourne autour du modèle familial traditionnel, la « protection de la vie et de l’institutionnalisation de la famille » pourrait non seulement impacter les droits des mères célibataires, mais aussi ceux des personnes LGBTQI+, déjà inexistants au Guatemala.

Si l'homosexualité n'est pas pénalisée, l'homophobie y est particulièrement répandue et les couples homosexuels ne sont pas reconnus, à l'instar des familles homoparentales. Condamné par la Procureure des Droits Humains du Guatemala, le pays s'illustre par l'absence de politiques publiques contre la discrimination envers les personnes LGBTQI+. Leur invisibilisation est telle que les statistiques officielles ne rapportent aucun cas de violences pour l'orientation sexuelle ou l'identité de genre. Pourtant, selon l'Observatoire des Droits Humains et des Violences pour l'Orientation Sexuelle et l'Identité de Genre, 29 membres de la communauté ont été assassinés entre janvier et octobre 2021. Des chiffres sûrement loin de la réalité.