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Au début du XXe siècle

Le début du XXe siècle est la période de la maturité pour la littérature albanaise. Elle est alors dominée par deux hommes d’Église et patriotes : le prêtre catholique Gjergj Fishta et l’évêque orthodoxe Fan Noli. Gjergj Fishta (1871-1940) est à la fois un homme d’Église, un homme politique et l’une des grandes figures de la littérature albanaise, souvent qualifié de « poète de la nation des Albanais ». Il est d’ailleurs le premier de son pays à avoir été proposé pour le prix Nobel de littérature. Mais l’arrivée du communisme dans le pays au milieu des années 1940 l’a fait tomber dans les précipices de l’oubli… Depuis 1989, il a heureusement retrouvé un certain prestige. Mais pourquoi est-il si connu ? Parce qu’il est l’auteur du plus célèbre poème d’Albanie, Le Luth des hautes montagnes (Lahuta e Malcis), une épopée patriotique de 17 000 vers. Il est également l’auteur des Guêpes du Parnasse (1907) ou encore de La Sieste des fées (1913).

Fan Noli (1882-1965), quant à lui, a été brièvement Premier ministre puis chassé du pays par un coup d’État en 1924. Il n’a jamais cessé, lors de son exil américain, de chanter les patriotes albanais. Il a par exemple publié en 1948 un recueil de poèmes, L’Album (Albumi).

La littérature d’après-guerre

Après la Seconde Guerre mondiale, malgré la censure, l’emprisonnement de certains auteurs et les thèmes imposés par le régime (progrès social, patriotisme), une authentique littérature parvient à émerger. En témoignent les œuvres de Dritëro Agolli, Fatos Kongoli et Neshat Tozaj, tous trois traduits en français. Dritëro Agolli (1931-2017) jouit toujours d’une immense réputation dans le pays. Malgré sa proximité avec le pouvoir communiste, il parvient à apporter de la fraîcheur à la poésie albanaise et à imposer des romans comme Le Commissaire Memo (1974) remplis d’un humour à la fois populaire et subtil. Il est également possible de découvrir en français des ouvrages comme Je marche pensif (1987), Splendeur et Décadence du camarade Zulo (1990), L’Homme au canon (1994), Un grondement de vents lointains (1998)…

Fatos Kongoli (né en 1944), lui, attend la chute de la dictature pour commencer à écrire. Son premier roman, Le Paumé (1992), dresse le portrait froid et désespérant de l’Albanie des années 1960-1970. On peut également découvrir L’Ombre de l’autre, Le Dragon d’ivoire, Le Rêve de Damoclès, La Vie dans une boîte d’allumettes

Quant à Neshat Tozaj (né en 1943), ancien expert en criminologie, il s’est rendu célèbre avec son roman policier Les Couteaux dans lequel il dénonce les exactions de la Sigurimi dès 1989.

Les auteurs contemporains

Plus récemment, il faut citer Dashnor Kokonozi (né en 1951) qui est très engagé dans la presse libre et qui, grâce à son métier de journaliste, a dénoncé les hommes politiques véreux de son pays. Il est également l’un des premiers auteurs albanais à traiter du thème de la guerre civile de 1997 dans son roman Terre brûlée paru en France en 2014. Avant cela, il a écrit des ouvrages comme Le Lit de Procuste (1989) qui est une critique cachée du régime stalinien.

Il est également important de s’arrêter quelques minutes sur Bessa Myftiu. Née en 1963 à Tirana, cette autrice, docteure et enseignante à l’université de Genève, a parallèlement évolué dans le monde des livres et du cinéma. Citons d’elle des ouvrages comme Ma légende, ouvrage préfacé par Ismaïl Kadaré, le recueil de poèmes À toi, si jamais… (2001) ou encore Vers l’impossible (2016), Dix-sept ans de mensonge (2017) et La Dame de compagnie (2018).

Mentionnons également Ylljet Aliçka, né à Tirana en 1951. Docteur en science didactique, il a été ambassadeur de l’Albanie pour différents pays : la France (2007-2013), Monaco (2011-2013), le Portugal (2008-2010) et également pour l’Unesco (2008-2011). Parallèlement, il a écrit des nouvelles et romans dont certains sont accessibles en français : le recueil Les Slogans de pierre (1999), les romans Les Étrangères (2010), Chronique des villes de provinces (2013), La Valse du bonheur (2018).

Zoom sur Ismaïl Kadaré

Ismaïl Kadaré, le plus français des Albanais, est né en 1936. Dès 1953, alors qu’il sort tout juste du secondaire, il commence à écrire même s’il ne publie pas immédiatement. Il étudie à Moscou, mais doit ensuite revenir dans son pays lorsque l’Albanie rompt en 1960 avec l’Union soviétique. Il devient alors journaliste. C’est en 1963 que son premier roman est publié : Le Général de l’armée morte. Ismaïl Kadaré connaît immédiatement le succès en Albanie, puis à l’étranger. Le roman a par ailleurs été adapté au cinéma en 1983 par Luciano Tovoli. En 1963, il sort son deuxième roman, Le Monstre, qui connaît un autre destin. En effet, le texte est vivement critiqué jusqu’à être interdit. Il ne sera ensuite publié qu’en 1990. L’auteur y raconte le Tirana de l’époque en faisant des parallèles avec le siège de Troie.

Il faut savoir que lors de sa révolution culturelle, le régime albanais oblige les auteurs à vivre près du peuple. Ainsi, Ismaïl Kadaré part vivre deux ans (1967-1969) dans les montagnes du sud du pays. Il continue à écrire. En 1967, il publie Noces qu’il considère être son seul roman correspondant aux diktats du réalisme socialiste. Trois ans plus tard, il évoque la résistance dans son roman de guerre Tambours de la pluie et en 1975, après la publication du poème Les Pachas rouges, il est censuré, accusé d’incitation à la rébellion, et puni d’une période de travaux. Il continue à écrire des romans antitotalitaires, dont Le Palais des rêves en 1981. De nouveau face à la critique et accusé d’être un ennemi du régime, il n’a plus le droit de publier dans son pays, et demande l’asile en France, qu’il obtient en 1990. À partir de là, entre 1993 et 2014, il est publié chez Fayard, en français et en albanais. Citons de lui également des ouvrages comme Avril brisé (1980), Le Dossier H (1989), La Pyramide (1992) et plus récemment L’Accident (2008), Le Dîner de trop (2009), La Discorde (2013), La Poupée (2015) et Matinée au Café Rostand (2017).

Ismaïl Kadaré est reconnu comme l’un des plus grands écrivains contemporains du monde. Il a été récompensé par de nombreux prix, dont le prix international Man-Booker (2005), le prix Princesse des Asturies de littérature (2009), le prix Jérusalem (2015), le prix Park Kyung-ni et le prix Neustadt (2019). Il a également été cité plusieurs fois au prix Nobel, même s’il ne l’a jamais reçu. Son écriture est empreinte de sa lutte contre le totalitarisme, lutte qui ne le quittera jamais. Il s’inspire de l’histoire de son pays et des Balkans, et sait, dans des histoires à double fond, critiquer le totalitarisme sur un fond d’ironie.