Découvrez TOKYO : Qui sont les geishas ?

Au crépuscule dans les rues de Gion, à Kyoto, on peut les apercevoir, visage poudré et kimono coloré, se faufiler à pas feutrés jusqu’au lieu d’une soirée. Auréolées de mystère, les geishas ont alimenté tous les fantasmes exotiques des Occidentaux, de Madame Butterfly à Mémoires d’une geisha. Loin de leur image de marchandes de plaisir, ce sont des femmes qui cultivent la culture et les arts traditionnels pour animer soirées et événements avec élégance. Elles sont les héritières d’une histoire longue des quartiers de plaisir au Japon, et tentent tant bien que mal de préserver leur métier dans le monde contemporain où elles sont parfois vues comme des vestiges du passé ou des objets folkloriques. Autrefois présentes dans tout le Japon, on les retrouve aujourd’hui principalement dans les vieux quartiers de Kyoto et lors d’événements où elles dansent ou jouent d’un instrument de musique.

Devenir geisha

Dans la culture japonaise, le terme geisha signifie « personne qui pratique les arts » et remonte à la période Edo. Les geishas sont aujourd’hui plus présentes à Kyoto, où elles sont couramment appelées geiko. Quelques geishas, les gyoku, exercent aussi à Tokyo, mais leur formation est différente.

Les geiko ont acquis leur expérience après cinq années de formation exigeante dans des okiya, entre l’âge de 15 et 20 ou 21 ans. Ces maisons en bois à un étage sont repérables dans les hanamachi de Gion ou Ponto-cho à Kyoto. Certains hanamachi existent encore à Tokyo, comme à Kagurazaka où les ruelles anciennes du quartier des plaisirs ont gardé tout leur cachet.

L’organisation d’un okiya suit un schéma familial. Une patronne appelée mère (okâsan) y supervise la formation d’une à cinq geishas à la fois. Entre elles, les geishas s’appellent « sœurs ». Leurs noms figurent sur des plaquettes en bois affichées sur la façade des maisons. Tant qu’elles sont en formation, les geishas sont appelées des maïko. Tout l’argent qu’elles gagnent est reversé à la mère, qui paie les frais élevés de la formation, de la vie quotidienne et de l’habillement. Les geishas apprennent la maîtrise de cinq arts traditionnels : la cérémonie du thé, la conversation, la composition florale, les instruments de musique et la danse. La danse est sans doute l’art le plus complexe, et c’est un grand honneur pour les geishas de montrer leur savoir-faire lors d’événements comme le Miyako Odori et le Kamogawa Odori.

Quand elles sont maïko, les jeunes filles portent des vêtements distincts de ceux des geishas. Les femmes que l’on voit souvent en photo dans des habits aux couleurs vives sont précisément des maïko. Les geishas portent plutôt une perruque noir de jais et des kimonos aux couleurs sobres qui reflètent leur expérience et leur âge. Les maïko font de leurs propres cheveux des coiffures élaborées, qu’elles décorent avec des kanzashi, de somptueux accessoires. Des fleurs en soie, symboles de leur jeunesse et de la saison en cours, couronnent le tout. Le maquillage des maïko se distingue lui aussi de celui des geishas par le croissant de lune non poudré à la racine des cheveux. Leurs magnifiques kimonos sont la propriété de l’okiya à laquelle elles sont rattachées. Faits en soie et à la main par des artisans locaux, les kimonos coûtent parfois plusieurs dizaines de milliers d’euros. Au dos du large obi, qui fait quelque 7 à 10 mètres de long, figure toujours l’écusson de l’okiya. Une fois leur formation terminée, certaines geishas choisissent d’exercer en indépendantes. Elles quittent l’okiya qui devient en quelque sorte leur agence.

Les services offerts par les geishas s’adressent habituellement à des hommes fortunés, et il est difficile de participer à une soirée sans être introduit par quelqu’un. Néanmoins, des cérémonies du thé de 90 minutes à 2 heures en présence de geishas sont accessibles aux touristes prêts à débourser une somme coquette (autour de 400 euros) pour vivre une expérience authentique. Aux moins fortunés, le Gion corner donnera un aperçu express de leurs talents.

Entre histoire et fantasmes

Malgré une plus grande exposition médiatique, le malentendu persiste sur ce que sont et font les geishas, en raison de faits historiques autant que d’incompréhensions culturelles. Le XIXe siècle voit l’apogée de la figure de la courtisane en Europe, et en pleine période de japonisme, la geisha plaît. Elle est perçue comme le pendant exotique de la grande courtisane. Cette image d’exotisme est aussi exploitée par des prostituées après la Seconde Guerre mondiale, qui travaillent autour des baraquements des GI américains. Elles se font appeler geisha girls, brouillant encore les frontières avec les véritables geishas.

Au Japon, pourtant, le monde de la nuit comprenait et comprend toujours une catégorie de femmes hôtesses dont le rôle est d’égayer des soirées où se trouvent une majorité d’hommes. Les hôtesses d’aujourd’hui se trouvent plutôt dans les kyabakura, mais à l’époque d’Edo, c’est à la maison de thé, l’ochaya, qu’on les rencontrait. Avant d’asseoir leur statut de dames de compagnie raffinées, les geishas étaient souvent des hommes. Les quartiers de plaisirs s’étaient développés à partir du XVIIe siècle comme des champignons, particulièrement dans la ville d’Edo où la population atteignit le million de personnes au XVIIIe siècle. Le gouvernement désigna des quartiers de plaisirs officiels, le plus connu étant Yoshiwara à Edo (actuel Shinbashi). Y cohabitaient d’un côté des courtisanes de haut rang qui y pratiquaient les arts traditionnels et offraient leurs services sexuels, et de l’autre, des musiciens et danseurs qui animaient les salons de thé. Au fil du temps, l’activité des courtisanes se concentra sur les services sexuels, et elles abandonnèrent leur art. Les geishas, qui coûtaient moins cher, connurent alors de beaux jours et la profession se féminisa. Elles vivaient aussi dans les quartiers des plaisirs et pouvaient être rattachées à la même maison de thé que des prostituées, mais leur métier, officialisé en 1779, était clair : il s’agissait de divertir des clients riches sans avoir de relations sexuelles.

Hors des quartiers officiels, les distinctions entre prostituées et geishas étaient plus floues. Dans les villes thermales, les onsen geisha étaient considérées plus légères que dans les grandes villes et avaient moins bonne réputation. Certains clients riches pouvaient négocier des faveurs sexuelles comme le mizuage (l’achat de la défloration de la jeune femme), mais cela restait mal vu. Si l’ouverture du pays à la Restauration de Meiji conduisit certaines geishas à adopter des pratiques nouvelles, la majorité d’entre elles se positionnèrent très vite comme gardiennes de la tradition japonaise et fustigèrent celles qui cédaient à une occidentalisation de leur art. Elles conservent encore ce rôle aujourd’hui, bien que leur situation ait complètement changé. Jusqu’à récemment, les femmes qui devenaient geishas n’étaient pas libres de leur choix. Elles étaient vendues jeunes par leurs familles, endettées envers leur okiya, et souvent prisonnières du quartier des plaisirs. Aujourd’hui, la profession connaît un regain d’intérêt et des jeunes filles choisissent volontairement d’être apprenties, souvent par passion pour les arts traditionnels. La beauté et le raffinement que les geishas incarnent n’ont décidément pas fini de fasciner.

Organisez votre voyage avec nos partenaires à TOKYO
Transports
Hébergements & séjours
Services / Sur place
Envoyer une réponse