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Église Sainte-Marie-de-Sion à Axoum© Dmitry Chulov - Shutterstock.com.jpg

Des chrétiens orthodoxes majoritaires

L’origine du christianisme en Éthiopie est datée du début du IVe siècle, par la conversion du roi Ezena sous l’influence de son précepteur syrien Frumentius qui deviendra le premier archevêque de l’Église éthiopienne. Il est néanmoins certain que le christianisme avait été depuis longtemps introduit dans la région par des marchands romains chrétiens, très présents en mer Rouge.
Le christianisme une fois devenu religion d’État, son extension va aller de pair avec les conquêtes territoriales du royaume et surtout avec l’arrivée de missionnaires du Proche-Orient, parmi lesquels les « neuf saints syriens » si chers à la tradition éthiopienne (Za-Mikael, Pantaleouom, Isaac, Afsé, Gouba, Alef, Mata, Liqanos et Sehma). Tout au long des siècles, le monachisme sera la pierre angulaire de l’implantation de la foi orthodoxe au cœur de la société. Répartis en petites communautés aux confins du territoire, sous l’autorité de grands centres religieux (lac Tana, Dabra Damo, Dabra Libanos, Estifanos), les moines traduisent les textes sacrés en guèze et assurent l’éducation du peuple. Placée dès l’origine sous l’autorité du patriarcat d’Alexandrie, l’Église éthiopienne deviendra autocéphale en 1959, avant de perdre son statut de religion officielle à la chute de l’empereur. La doctrine de « l’Église orthodoxe unifiée d’Éthiopie » est le monophysisme, qui entraîna la scission des Églises coptes égyptienne, arménienne, syrienne et éthiopienne au concile de Chalcédoine en 451, en raison de leur adhésion à la nature unique du Christ contre les tenants de deux natures distinctes (humaine et divine).Théologiquement basée sur la Bible et de nombreux textes apocryphes, l’orthodoxie éthiopienne a conservé de nombreuses pratiques vétérotestamentaires comme la circoncision, un certain respect du sabbat, des pratiques d’abattage d’animaux et l’architecture même des églises.

L’Église éthiopienne, un cas particulier

Elle revendique 45 millions de fidèles (incluant la diaspora) et un clergé de quelque 400 000 membres, soit le double d’il y a trente ans, servant dans 30 000 paroisses à travers le pays. Au-delà des neuf fêtes majeures et neuf mineures, toutes liées à des événements de la vie du Christ, les apôtres, les martyrs et les saints (spécialement saint Georges, saint Jean-Baptiste et saint Michel) sont célébrés au cours de commémorations mensuelles. Pour la Vierge Marie, qui fait l’objet d’une vénération spéciale, on ne compte pas moins de trente-trois jours qui lui sont spécialement dévolus. Toutes les grandes fêtes sont précédées de jeûnes spécifiques de trois à cinquante-cinq jours. Ainsi, un fidèle observe-t-il en moyenne cent quatre-vingts jours de jeûne et le clergé quelque deux cent cinquante jours par an. De plus, durant les jours saints, le croyant est censé cesser ses activités manuelles. Cultiver, forger ou tisser sont par exemple des activités déconseillées… Depuis toujours impliquée dans l’éducation, l’Église supervise directement des écoles traditionnelles dans lesquelles l’enseignement religieux occupe une place spéciale. Parmi les enfants qui fréquentent les écoles élémentaires neba bet (maison de lecture), certains poursuivent l’enseignement ecclésiastique à la qeddase bet (maison de messe). Nombre d’entre eux rejoindront les rangs du clergé en tant que prêtres, diacres ou debtera (maître de chants), ou l’une des huit cents communautés monastiques. Les régions du Godjam, du Tigré et de Gondar sont les bastions traditionnels d’une Église qui continue d’animer la société comme elle l’a fait depuis dix-sept siècles.

La légende d’Ezana, le mythe fondateur

Elle nous est rapportée par le moine et historien byzantin Rufinus : alors qu’ils accompagnaient leur maître Metropius, philosophe syrien venu visiter le royaume africain, Frumentius et Edesius, ses deux élèves chrétiens, furent les seuls rescapés d’un naufrage qui décima l’expédition. Amenés à la cour comme esclaves, les Syriens acquirent rapidement le respect des souverains par leur érudition. Et c’est Frumentius, devenu le précepteur d’Ezana, qui obtint du roi la liberté de culte pour les petites communautés chrétiennes, avant de l’amener à se convertir lui-même. Frumentius plaça la nouvelle Église sous l’autorité du patriarche d’Alexandrie, qui le nomma en retour premier évêque éthiopien. Circonscrite tout d’abord à une élite, la nouvelle religion va véritablement se répandre après le concile de Chalcédoine de 451, qui voit la séparation des Églises monophysites syrienne, égyptienne et arménienne de Rome et de Constantinople.

Des musulmans de plus en plus nombreux

L’arrivée des musulmans en Éthiopie remonte à la naissance de l’islam, à l’époque où les premiers disciples de Mahomet, alors persécutés dans la péninsule arabique, trouvèrent un asile bienveillant à Axoum. En témoigne la mosquée de Negash dans le Tigré qu’ils ont édifiée, considérée comme la « deuxième Mecque », mais qui a été malheureusement bombardée pendant la guerre au Tigré. Aujourd’hui, la construction se trouve isolée au cœur du Tigré, bastion de l’orthodoxie, mais symbolise l’un des plus importants lieux saints de l’islam éthiopien.  Aux VIIIe et IXe siècles, la nouvelle religion s’étend rapidement au Proche-Orient. Les incursions arabes sur les rives ouest de la mer Rouge et des marchands plus à l’intérieur des terres vont sérieusement affaiblir les royaumes chrétiens, alors isolés des routes commerciales maritimes. Les relations entre le pouvoir central et les émirats musulmans éthiopiens d’Ifat et d’Adal se détériorent rapidement, conduisant au djihad (guerre sainte) déclaré par Mahfouz dès 1490, puis relancé en 1527 par le tristement célèbre Gragn (le Gaucher), qui mènera durant seize ans une guerre sanglante dont le souvenir hante encore l’inconscient éthiopien. Aujourd’hui, la relation entre les deux religions majeures de l’Éthiopie semble apaisée et, malgré la présence d’un islam strict à ses frontières (Soudan, Somalie), le fondamentalisme est pratiquement inexistant dans le pays. La cité d’Harar, qui héberge les tombeaux de plusieurs des premiers prédicateurs de l’islam et jouit encore aujourd’hui de la réputation de centre d’enseignement coranique, suscite une grande admiration chez les musulmans, qui la considèrent comme une ville sainte. Enfin, le tombeau du sheikh Hussein est le lieu de pèlerinage majeur du pays, attirant des milliers de fidèles lors des grandes fêtes. La sépulture du saint, acteur de la conversion au XIIIe siècle des populations du Balé et de l’Arsi, se confond avec des lieux de culte oromo ancestraux, donnant ainsi naissance à une forme de syncrétisme entre islam et anciennes croyances, pratiques que l’on observe également à la grotte de Sof Omar, refuge d’un autre prédicateur musulman dans la région.

Des protestants et catholiques minoritaires

Malgré la présence des Portugais au XVIe siècle et des missionnaires qui les suivirent, malgré également les relations développées par Ménélik avec l’Italie, puis l’occupation du pays par les troupes mussoliniennes, le catholicisme n’a jamais réussi à percer en Éthiopie et demeure encore aujourd’hui une religion confidentielle. Seuls les rois Za Dengel et Susenyos osèrent, au début du XVIIe siècle, déclarer leur adhésion au catholicisme sous l’influence des Jésuites. Le premier sera assassiné, tandis que le second abdiquera à la suite de graves troubles sociaux et de la ferme opposition du clergé orthodoxe. L’expérience sera sans lendemain et entraînera une grande défiance du pouvoir à l’égard des étrangers et des missionnaires en particulier. Quand ces derniers seront de nouveau acceptés, ils se verront imposer la stricte condition de restreindre leur évangélisation aux populations non orthodoxes. Le protestantisme en revanche se développe. Dans cette course aux conversions, les missionnaires, en partie venus du Soudan voisin et très implantés chez les peuples du Sud, connaissent un véritable succès. Parmi les nombreuses Églises présentes, celle de Mekane Yesus semble la plus puissante et la mieux armée pour cette « pêche aux âmes ». Cette expansion n’ira pas sans créer de vives tensions avec l’Église orthodoxe.

Les Juifs d’Éthiopie ou Falasha

Les controverses qui entourent la destinée des seuls juifs noirs connus n’ont pas fini d’agiter la communauté des spécialistes qui se penchent sur la question. Que cache réellement le terme de Falasha qui, en guèze, signifie « émigrés », alors que les racines éthiopiennes, et plus précisément agaw, de ces communautés qui se nomment elles-mêmes « Beta Israël » sont établies ? Pour certains, il s’expliquerait par l’installation en Éthiopie d’une partie du peuple juif chassé d’Égypte ; pour d’autres, par le rayonnement culturel et commercial du royaume d’Israël. Selon d’autres hypothèses, des juifs auraient fait partie de la suite de Ménélik où ils escortaient l’Arche d’alliance, ou bien auraient été amenés comme esclaves au VIe siècle par le roi Kaleb, après son invasion du Yémen… Plus vraisemblablement, les juifs éthiopiens se sont installés vers le XIVe siècle. Les Falasha, à qui la possession des terres était interdite, seront en majorité potiers ou forgerons, professions qui leur vaudront une réputation de sorciers. Après des premiers contacts établis avec d’autres communautés juives au XIXe siècle, leur judaïsme, bien que jugé archaïque, sera confirmé par le rabbinat israélien en 1973, ce qui va leur conférer le droit à la loi du retour. Après les ponts aériens (opération « Moïse », entre novembre 1984 et janvier 1985, et opération « Salomon » en 1991) qui organisent le rapatriement vers la Terre promise, il ne subsiste que très peu de juifs en Éthiopie, principalement concentrés dans la région de Gondar.

Les animistes, concentrés dans la vallée de l’Omo

Une multitude de cultes animistes sont encore pratiqués en Éthiopie, principalement parmi les peuples couchitiques et au sein des ethnies nomades ou semi-nomades de l’est, du sud et du sud-ouest du pays. On pense aux fameux Hamer, Kara, Mursi, Nyangatom… Même les populations largement christianisées ou islamisées (Oromo, Sidama, Guragé) conservent des pratiques cultuelles ancestrales, créant ainsi une sorte de syncrétisme religieux très particulier.

Les cultes préchrétiens sabéens et axoumites

Selon les sources traditionnelles, paganisme et judaïsme étaient pratiqués côte à côte en Éthiopie bien avant l’apparition du christianisme. Parmi ces cultes, l’adoration du serpent, honoré au cours de rituels sacrificiels, semble avoir été largement répandue. La description de ce culte retranscrite dans l’Avesta, livre sacré des Perses, recoupe la tradition établie en Éthiopie, ce qui tend à prouver que sa diffusion résulterait de contacts commerciaux développés avec les pays du Moyen-Orient. Au Ier siècle av. J.-C., les Sabéens qui s’établissent en Éthiopie apportent leur religion propre, de type polythéiste, caractérisée par la vénération des dieux du Ciel, de la Terre et de la Mer, au panthéon desquels Almouquah est une divinité centrale – Yéha, le plus vieux temple identifié en Éthiopie, daté du Ve siècle av. J.-C., lui était certainement dédié. D’autres divinités telles qu’Astar, équivalent de l’Aphrodite grecque et de la Vénus romaine, Sin, dieu de la Lune, et Shams, dieu du Soleil, sont largement honorées dans des temples édifiés pour leur culte. Plus tard, l’influence hellénistique imposera les dieux du panthéon grec, que les Éthiopiens rebaptiseront peu à peu : ainsi Marhem remplacera Arès, Baher remplacera Poséidon et Semay détrônera le dieu sabéen Almouquah.

Mythes et histoire dans les croyances éthiopiennes

L’histoire éthiopienne est riche de légendes, miracles et prophéties, ainsi que de mythes fondateurs venant expliquer la naissance et la raison d’être des structures religieuses et politiques. Ce foisonnement s’explique du fait de la profondeur temporelle de l’histoire éthiopienne : les vestiges monumentaux d’Axoum, par exemple, ont été à plusieurs reprises réutilisés et réexpliqués par les rois éthiopiens comme par l’Église et certains blocs monumentaux, disposés dans l’enceinte de la cathédrale Maryam Syon, servirent de sièges lors du sacre des souverains. Le fait que de très nombreuses cultures aient coexisté a aussi contribué aux échanges de rites et de légendes. Ce sont les cultures chrétiennes et musulmanes qui imposèrent à terme leurs modèles, mais celles-ci ont intégré nombre des traditions des peuples qu’elles ont soumis puis assimilés. Ainsi, les très nombreuses histoires dans lesquelles des vaches ou des taureaux jouent des rôles spirituels et symboliques trouvent leurs origines probablement dans des cultures pastorales plus que dans un fond commun chrétien. Enfin, le fait que l’histoire se soit transmise d’une part par les textes, en langue guèze – une langue qui demeure impénétrable au commun des mortels –, et d’autre part, qu’elle se soit transmise oralement, en amharique, la langue partagée par tous, a certainement créé différents niveaux de compréhension du passé. Les échanges entre histoire écrite et histoire orale sont d’ailleurs nombreux, mais ce qui semble certain, c’est que seule la tradition orale pouvait se permettre de transmettre les éléments les plus noirs de l’histoire officielle. Ainsi, il faudra plusieurs siècles avant que ne soit écrite la part cachée de l’histoire du roi Fasiladas. Ce souverain connu pour avoir restauré la foi orthodoxe et fondé la ville de Gondar est aussi associé à quelques légendes sanglantes et scabreuses, dont l’une est digne des Mille et Une Nuits : ayant le corps couvert d’une épaisse toison, Fasiladas satisfaisait chaque nuit ses désirs charnels avec une femme qu’il tuait au matin, jusqu’à ce qu’un jour, ému par la prière de la plus pauvre des esclaves de son château, il commença à chercher sa repentance, faisant construire des ponts sur les principales rivières alentour de Gondar pour que son peuple le loue et le sauve par ses prières.
Ainsi, comprendre et écrire l’histoire à partir de ces différentes strates se révèle parfois délicat. Lors des visites dans les églises et les lieux historiques, les membres du clergé, les guides locaux et les habitants partagent plus facilement les aspects légendaires et miraculeux de leur histoire que des données factuelles complexes, nécessitant une réelle connaissance de l’histoire et de la culture pour être comprises.