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L’histoire du carnaval au Brésil

Les premières manifestations carnavalesques au Brésil remontent à la période impériale. Les esclaves déguisés, pendant une fête d’origine africaine nommée entrudo, jetaient liquides et aliments sur les passants. Les dérapages fréquents lors de cette fête poussèrent les autorités impériales à l’interdire, mais les enfants des « bonnes familles » avaient pris goût à ces épisodes festifs et dès le XIXe siècle, la bonne société commença à organiser des « bals de carnaval » dans les clubs et les théâtres. Les classes aisées de Rio de Janeiro allaient également créer des sociétés qui défilaient dans les rues de la ville. Les classes les plus populaires n'avaient pas abandonné leurs pratiques carnavalesques malgré la répression policière. A la fin du XIXe siècle, ils créèrent des carnavals déguisés en processions religieuses. Les ranchos étaient des manifestations carnavalesques pratiquées principalement par des personnes d'origine rurale. Progressivement, le carnaval allait évoluer vers ses formes modernes. Les marchinhas de carnaval, et leur rythme de samba apparurent respectivement à la fin de XIXe siècle et en 1910. Les origines africaines des carnavaleux s’affirmèrent à Salvador, avec la création des afoxés, avec le frevo à Recife et le Maracatu à Olinda dès le début du XXe siècle. Deux tendances allaient coexister sans se mélanger. Les riches Cariocas défilaient avec leurs voitures à chevaux jusqu’en 1930 tandis que les classes populaires se regroupaient dans les écoles de samba. Le premier concours d’écoles de samba date de 1929. Sous l’ère Vargas, les écoles de samba durent se déclarer auprès des autorités et étaient soumises à un contrôle strict de l’administration qui avait peur de potentiels débordements populaires. Les célèbres « Trio Eletrico » firent leur apparition dès 1950 et le succès de ces semi-remorques à haut-parleurs fut tel que l’idée se dissémina dans de nombreuses villes du pays. A partir des années 1960, le carnaval de Rio et les écoles de samba se transformèrent en activités très touristiques qui drainent des millions de personnes en provenance des villes brésiliennes et du monde entier. Les milieux d’affaires brésiliens et les dirigeants de la très lucrative et « clandestine » loterie du jogo do bicho virent en ces manifestations culturelles des opportunités d’investissements. La municipalité de Rio commença à installer des gradins et à faire payer les spectateurs. En 1984, le grand Oscar Niemeyer dessina le Sambόdromo Marquês de Sapucaí, épicentre des défilés carnavalesques. De nombreuses villes, moins connues, ont également adopté depuis les années 1960 la folie du carnaval.

Le carnaval de Rio aujourd’hui

Rio est le plus organisé des carnavals au monde et le plus grand événement festif de la planète. Celui-ci dure officiellement 5 jours, du vendredi soir jusqu’au Mardi gras, mais les réjouissances commencent en réalité bien avant dans les écoles de Samba ou à travers des animations populaires. L’apothéose de ces 5 jours de fête est bien entendu le défilé des écoles de samba : les 12 meilleures écoles de la ville défilent deux soirs de suite devant les 70 000 spectateurs installés sur les gradins de l’avenue Marquês de Sapucai, l’adresse officielle du Sambodrome. L’organisation impose un protocole strict et immuable. Chaque école compose sa prestation autour d’un thème, appelé l’enredo. Ce thème peut être d’inspiration politique, ou s’intéresser à la nature, le sport, l’art, la musique, etc. L’école Unidos da Tijuca a par exemple triomphé en 2012 en réalisant un défilé autour du musicien Luis Gonzaga, le maître du forro, qui aurait eu 100 ans cette année-là. En 2018, les favoris étaient les fameuses Mangueira et Salgueiro, et pourtant, au détriment des pronostics, c’est Beija-Flor qui remporta l’édition avec un défilé sur le thème de la corruption, la violence et tous les maux dont souffre le pays ces dernières années. C’est l’école de Viradouro qui a gagné en 2020, et l’année 2021 fut une année sans carnaval, à cause du Covid-19. C'est au mois d'avril qu'il fit son retour en 2022. En 2023, c'est l'école Imperatriz Leopoldinense qui est montée sur la plus haute marche du podium.

Chaque école invente sa chanson (la samba de enredo), dont certaines deviendront des tubes. Elle crée des costumes, des chorégraphies et des chars multicolores, et répète plusieurs mois durant. Il est d’ailleurs possible et recommandé d’assister à ces répétitions dans ces écoles, âmes des quartiers populaires où elles sont implantées. Le dimanche et le lundi soir de carnaval sont les jours clés où défilent les meilleures écoles. Chacune d’entre elles dispose de 80 minutes et de 3 500 à 4 000 participants déguisés et déchaînés pour convaincre la foule et les jurés de l’originalité de son thème, de sa cohésion et de la qualité de la chorégraphie, des chars et des costumes. A l’issue des deux jours de défilé, un jury d’experts distribue des notes se référant à chaque dimension du défilé (on est proche de la méthode employée au patinage artistique), évaluée par les vingt-deux jurés du carnaval. Le dimanche à 21h, une école de première catégorie (le Grupo Especial) ouvre le défilé. Ce sont les Abre-Alas qui présentent le nom de l’école, suivis de la Commissão da Frente, une douzaine de personnalités, dont quelques-unes de l’école, ainsi que des célébrités alliées, déjà costumées et dansant sur leur chorégraphie. Puis viennent les milliers de danseurs et les centaines de percussionnistes, la bateria, aux mouvements uniformes, accompagnés du chant des Puxadores, retransmis par les haut-parleurs et suivis d’une centaine de Bahianaises en habit traditionnel, quelle que soit l’école. Sur des chars, dans une profusion de plumes et de strass, avancent les Destaques et au moins huit Alegorias, figures humaines ou marionnettes géantes. Leur hauteur est limitée à 10 m. A côté d’eux virevoltent les Passistas, danseuses d’élite, et des percussionnistes solistes. Le cortège, impressionnant, s’étire sur plus de 500 m. Six écoles se succèdent par soirée, de 21h aux premières lueurs de l’aube. Le vainqueur est désigné le mardi dans la journée, et consacré lors du défilé des champions (les 6 meilleures écoles de l’année) qui a lieu le samedi suivant, dans une atmosphère de liesse généralisée. La lanterne rouge (l’école arrivée en 12e position) est rétrogradée en division inférieure et le vainqueur du groupe A à l’honneur de se joindre au défilé du Grupo Especial de l’année suivante ! Malgré les inévitables dérives mercantiles des grands événements festifs de la planète auxquelles le carnaval de Rio ne saurait échapper, l’ambiance de folie, forcément irraisonnée qui baigne la ville merveilleuse est assurément une expérience festive, mais surtout humaine où on peut mieux saisir l’âme d’un peuple qui en chaque instant de sa vie danse et chante pour oublier quelquefois la difficulté du quotidien.

Assister au carnaval, un séjour qui s’anticipe

Assister au carnaval de Rio nécessite de préparer en amont son voyage, car les logements sont réservés très tôt… et à des prix souvent très élevés, voire exorbitants, sous forme le plus souvent de pacote, c’est-à-dire d’un nombre minimum de nuitées. Il n’est pas incongru de réserver un an à l’avance. Pour pouvoir avoir accès au Sambόdromo lors des jours de défilés, il faut acheter des billets et cela peut se faire à partir d’agences de voyages en France ou au Brésil. Pour l’instant, il existe un organisateur et revendeur officiel, la Ligue indépendante des écoles de samba du Grupo Especial de Rio (Liesa). Malheureusement, il n’y a pas de vente en ligne avec la Liesa, mais de la réservation par téléphone au +55 21 2233 8151. Les prix peuvent devenir excessifs si on passe par des revendeurs peu scrupuleux. Le prix des billets à la Liesa varie entre 20 réais pour les moins onéreux à plusieurs milliers de réais. Pour obtenir vos places, vous pouvez aussi contacter une agence ou vous connecter sur les sites www.rio-carnival.net/carnaval ou www.camarotecarnaval.com. Les prix peuvent varier de 230 R$ à presque 1 000 R$ selon l'emplacement et le jour.

Shows de ensaios. A partir de novembre, si vous vous trouvez à Rio, vous pouvez assister aux shows de ensaios. C'est l'une des dernières phases de préparation des écoles de samba pour le défilé. Elles sont toutes accessibles au public. Les shows de ensaios présentent les différentes composantes des groupes des écoles de Samba : tambours, solistes et porte-drapeau, danseurs de samba, musiciens. Elles ont lieu dans les cours des écoles les vendredis et les samedis. C'est la répétition la plus recherchée par les touristes, car la plus festive. C’est un avant-goût de la folie du carnaval. Certaines écoles font les shows le vendredi, d’autres le samedi. Les écoles de la zone Sud sont plus faciles d’accès et plus sûres pour les touristes. Voici une sélection des meilleures écoles de samba : Ecole de Mangueira (Estação Primeira de Mangueira, rua Visconde de Niterói, 1072, Mangueira), Ecole Unidos de Tijucá (Avenida Francisco Bicalho, 47, Leopoldina), Ecole de Vila Isabel (Unidos de Vila Isabel, boulevard 28 de Setembro, 382, Vila Isabel).

Les carnavals de rue. Plus accessibles, ce sont peut-être les meilleurs. Les bandas, ou blocos, rassemblent des milliers de personnes, par quartier, par thème, derrière une bateria ou un trio elétrico (camion avec des baffles et une scène). Les thèmes politiques ou même philosophiques du moment réapparaissent de manière improbable, dans les paroles de samba d’un bloco. Voici quelques-uns des meilleurs blocos, à Ipanema et Copacabana : la « Banda do Ipanema » (la première banda, créée en 1965) part de la praça General Osório le samedi du carnaval. Il y a également la « Banda Simpatia é quase amor », qui part de la même place Osório, le dimanche.

A Copacabana, sur l’avenida Atlãntica passent quatre ou cinq défilés : la « Banda do Arroxo » quitte Belford Roxo,« Sá Ferreira » part  de la rue Sá Ferreira, « Vergonha do Posto 6 »  démarre de la rua Francisco Sà… Face au Bip-Bip (rua Almirante Gonçalves, Copacabana), le « Bloco de Bip Bip », le samedi soir, est réputé pour sa musique.

On peut être partagé entre le désir d’assister à cet événement où tout prend des proportions hors-norme (comme tout au Brésil d’ailleurs), mais dont on ne peut nier une dérive commerciale… et la volonté d’être dans l’esprit du carnaval des origines, celui de la rue, des laissés pour compte. Disons pour faire simple que le visiteur curieux peut s’imprégner de ces deux formes de carnaval, mutuellement exhaustives, l’une se nourrissant respectivement de l’autre. La frénésie quasi mystique que tous accordent à la préparation des costumes, des défilés est un élément explicatif de la brésilianité.