La famille, entre entraide et conflits

Par famille au Congo, on entend non pas simplement les parents, frères et enfants mais tous les relatifs au deuxième, troisième et même quatrième degré. Tous les cousins sont considérés comme des frères, et appelés comme tels, si bien que lorsqu’il s’agit des frères et sœurs dans le sens qu’on l’entend, le Congolais précisera : « même père même mère ». Le taux de natalité étant ce qu’il est, on comprend bien que la simple famille suffit à remplir trois fois le répertoire de son portable, et c’est grâce à elle et à travers elle que les Congolais se logent, trouvent leur emploi, etc. La forte solidarité qui se manifeste entre les membres de la famille bannit l’individualisme. Elle dépend d’une solide structure dont le soubassement est l’ethnie et le clan composé d’un groupe d’individus qui se réfèrent à une personnalité politique, artistique, voire religieuse. Cette cellule familiale élargie tend toutefois à perdre de son importance avec les changements économiques et l’urbanisation de l’Afrique. Cette rupture se matérialise par un déclin progressif des solidarités traditionnelles, de l’individualisation conduisant parfois à la marginalité. Aussi le Congolais, comme la plupart des Africains, se trouve-t-il aujourd’hui confronté à un dualisme culturel, entre le souci de conserver son identité culturelle et la nécessité de s’intégrer dans un monde en pleine mutation, influencé par la culture occidentale.

Une société hiérarchisée

La société africaine est fortement hiérarchisée. Cette hiérarchie marquée d’interdits confère, bien entendu, une forte cohésion du groupe et une organisation sociale figée. Le rapport à la famille, son ambivalence, vécu pour l’individu entre contrainte et nécessité est une des clés de la société congolaise. Tenir sa place dans la famille, par redistribution de ses biens est fondateur de l’identité et du prestige, et plus le succès est évident, plus la demande est pressante. Cette solidarité forcée est donc pour beaucoup une des explications principales à la corruption endémique qui frappe le pays. Le non-respect de cette exigence entraîne une aménité qui peut dégénérer en conflit ouvert, voire en guerre souterraine, avec l’intervention du ndoki, du sorcier, dans le but d’affaiblir ou d’éliminer le membre qui ne suit pas les règles. Le milieu urbain, avec ses possibilités d’enrichissement rapide, ses inégalités bien plus marquées qu’au village, voit se dérouler les affrontements les plus acharnés entre membres des familles. Tenir sa place entre réussite personnelle et respect des réseaux d’entraide qui la plombent est la gageure de tout Congolais, entre idéal de vie « à l’occidentale » et réalité africaine.

Les rites d’initiation

Certaines ethnies se réclament d’une structure sociale à classes d’âges. Dès les premiers signes de puberté, les jeunes gens nubiles sont introduits, par des rites d’initiation, aux traditions de la tribu conférant à cette dernière une grande cohésion par l’appartenance individuelle à un groupe. Après avoir subi les rites, les jeunes garçons ou les jeunes filles sont considérés comme adultes et ont dès lors les mêmes droits et obligations que ces derniers. L’initiation est généralement constituée d’épreuves symboliques qui marquent le caractère du jeune initié. Elle se déroule souvent en dehors du village, dans la brousse ou dans un lieu sacré. Le jeune apprend le langage secret qui lui permet d’acquérir les règles de la tribu et d’accéder aux mystères de l’univers et aux forces de la nature. Différentes épreuves, souvent difficiles, sont alors infligées au jeune initié. La fin du rite marque la renaissance, après la mort de l’enfance. Cette renaissance est symbolisée par des signes extérieurs (tête rasée, port de bijoux, peintures corporelles, etc.), et généralement un bain purificateur dans une mare ou une rivière sacrée confirme l’adhésion du jeune au groupe des initiés.

Le guérisseur et le sorcier

Les guérisseurs restent très nombreux dans les villes congolaises. Herboristes, ce sont les médecins traditionnels de la santé. Ils tirent leur connaissance d’une transmission directe par un aîné ou peuvent s’établir comme spécialistes des plantes sans aucune compétence particulière. Les connaissances d’un bon guérisseur ne se limitent pas à la prescription des plantes : leur mode de consommation et de cueillette, les rituels qui parfois les entourent sont partie prenante de l’efficacité du remède. Le mal ne frappe jamais par hasard au Congo, et aucune mort n’est naturelle. Toute maladie « suspecte » est perçue comme la nécessaire volonté de nuire, le traitement symptomatique sera donc vain tant que le « commanditaire » du mal et son mobile ne seront pas démasqués. Le ndoki est l’homme par qui le mal arrive, il tire sa puissance du kundu, qui lui permet de se dédoubler, de pénétrer le monde des esprits, d’agir sur les autres. Le kundu n’est pas en soi une force mauvaise, tout est dans l’usage que l’on en fait. Pour contrer les pouvoirs du ndoki, on fait appel au nganda, communément nommé « féticheur ». La fonction du nganda apparaît double : il se sert de son pouvoir pour identifier le ndoki et le commanditaire du mal. Cela fait, il devient une sorte de médiateur entre agresseur et victime, les réunissant en vue d’apaiser le conflit et de faire cesser l’agression. Mais ce mode de règlement « à l’amiable » ne vaut que pour des griefs qui peuvent être réparés. Lorsque la personne agressée meurt, après désignation du coupable, la famille, les amis proches de la victime peuvent décider d’obtenir eux-mêmes réparation à titre posthume. C’est ici que se déchaînent les nimba, les « massacreurs » en lari, l’ensemble des personnes désirant la mise à mort du coupable supposé. Cette justice populaire, hors cadre et meurtrière, se cristallise souvent autour de la mort d’un jeune homme, lorsqu’un oncle, du côté maternel la plupart du temps, se trouve accusé d’être le sorcier. La sanction tombe généralement sans appel et, s’il n’a pas le temps de prendre la fuite, l’oncle risque d’être brûlé à l’aide d’un pneu de voiture ou lapidé. La permanence des pratiques de sorcellerie, l’importance de leur rôle fédérateur sur un fond qui peut être d’une extrême violence demeurent l’une des clés de l’imaginaire congolais.