National Art Gallery à Nassau © Robert Szymanski - Shutterstock.Com.jpg

Panorama d’un art émergent

Dans les îles, l’art et un vif sens esthétique font partie intégrante du quotidien. La frontière entre les différents domaines de la création semble volontairement floue : la nature inspire les aquarelles, le bois engendre sculptures et gravures. Le festival Bahamas National Trust Wine and Art Festival allie depuis une trentaine d’années le plaisir des papilles et des yeux, les bénéfices servant à la protection de l’environnement. Plus spécialisé, Transforming Spaces invite les acteurs culturels des îles, galeries, artisans et artistes novateurs, à prendre part à la vitalité artistique locale. L’événement se présente sous la forme d’un circuit entre galeries et ateliers. Depuis une centaine d’années, des artistes d’horizons variés façonnent l’art bahaméen. Nombre d’entre eux partent temporairement en Europe ou aux États-Unis, pour étudier ou s’inscrire dans la continuité des courants picturaux internationaux.

Il va sans dire que le cadre exceptionnel inspire la démarche de nombreux artistes, notamment des aquarellistes présents sur toutes les îles. Comment ne pas s’imprégner des couleurs vives des flots et de la végétation, de la luminosité exceptionnelle et surtout de la joie de vivre ambiante ? D’autres artistes mêlent à leurs origines des touches d’ailleurs, que ce soit par les thèmes ou par la technique, se forgeant ainsi un style personnel, à la fois local et à même de se faire une place sur la scène extérieure. Quelle que soit leur démarche, ils contribuent chacun à leur façon à définir l’art bahaméen telle que l’incontournable National Art Gallery of The Bahamas entend le présenter. Sa collection de peintures, sculptures, céramiques, techniques mixtes et photographies fait remonter ses origines au tournant du XXe siècle.

Amos Ferguson, l’emblématique

Autodidacte prolifique, Amos Ferguson, né à Exuda en 1920 et décédé en 2009, reste à ce jour l’artiste le plus connu des îles. Surnommé « le grand-père de l’art bahaméen », Ferguson était profondément croyant. Dans ses œuvres figuratives qui illustrent des scènes religieuses et populaires, il réunit animaux anthropomorphes, anges, musique et paysages de composition libre. Très jeune, Ferguson décide de devenir peintre, et il n’hésite pas à gagner sa vie en peignant maisons et pancartes. Il commence à imaginer des tableaux suite à un rêve dans lequel son neveu voit Ferguson recevoir un don de Dieu. Dans un premier temps, il vend au marché ses œuvres peintes de préférence sur du carton ou des plaques de bois. Petite particularité, il a recours à des clous pour tracer points et cercles. C’est à la table de sa cuisine que Ferguson réalise ses tableaux jusqu’à l’âge de la retraite. Chacun raconte une histoire et lui est inspiré « par Dieu plutôt que par ce qu’il voit  ». Sa première exposition individuelle a lieu en 1972, puis en 1985, 50 de ses œuvres sont montrées dans le Connecticut. L’exposition devenue itinérante parcourt le monde pendant deux longues années. Sa réputation se répand comme une traînée de poudre.

Art abstrait de Kendal Hanna

Né à Nassau en 1936, Kendal Hanna compte parmi les précurseurs de la peinture abstraite aux Bahamas. Ses premières œuvres sont essentiellement figuratives et peintes en noir et blanc. De nature curieuse, il s’initie très jeune à la poterie. Il part à la découverte du monde, vit temporairement à New York, explore les musées américains et se lie d’amitié avec des artistes de tous bords. De retour aux Bahamas, à l’approche de la trentaine, il s’intéresse aux couleurs, après une thérapie traitant la schizophrénie qu’on lui diagnostique alors. Ce faisant, il affirme que son subconscient s’exprime directement sur ses toiles. Kendal Hanna expérimente également l’expressionnisme. Suite à l’incendie de sa maison, il connaît une période de creux, bientôt comblée par PopopStudios. Ce centre, qui abrite des ateliers et une galerie, lui offre une résidence permanente où il poursuit sa carrière sous le signe du renouveau. Ses peintures qui lui valent d’être comparé à William de Kooning, Jackson Pollock ou Joan Miró sont entrées dans plusieurs collections locales et internationales.

Rose, doyen des photographes

Né en Italie de parents britanniques, en 1937, Roland Rose est surnommé « Dean of Photography » (Doyen de la photographie). Il n’a que treize ans quand il troque son harmonica contre son premier appareil photo. Peu après, il fait l’acquisition d’un Kodak Retinette, dès l’apparition de la fameuse pellicule. La famille s’exile aux Bahamas en 1946 et dès 1951, Rose s’installe en tant que photographe professionnel. Il documente la vie des Bahamas et immortalise des scènes qui reflètent l’esprit des îles. Nommé ministre du Tourisme, ses images vibrantes sont connues pour avoir attiré les visiteurs sur les îles. Il continue de capturer sur le vif des scènes évoquant les manifestations pour l’Indépendance, les catastrophes naturelles mais aussi les peoples en vacances. Son travail de précieux chroniqueur fait l’objet de rétrospectives acclamées.

A sa suite, Paulette Mortimer, née en 1975, combine à la photographie l’art multimédia. L’artiste est célèbre pour ses paysages en noir et blanc, ses images au filtre et ses effets infrarouges. Elle travaille en parallèle l’argile, le transfert d’images et la peinture.  Alexandra Conway Timchula a débuté par la gravure et la lithographie avant d’étudier la photographie à New York. Sa démarche pluridisciplinaire est largement nourrie par ses photographies d’architecture de très grands formats.

Ana-Lisa Wells a quant à elle appris la photographie dans le Michigan avant de retourner dans ses îles natales. En plus de la photographie artistique, elle mélange également les disciplines, peinture et dessin. Ses portraits photographiques mettent en scène des personnages au cœur d’une nature recréée, émergeant d’une végétation colorée.

L’art naïf de Wellington Bridgewater

Autre artiste autodidacte, Wellington Bridgewater naît à Nassau en 1948. Tour à tour fermier, pêcheur, maître-nageur et ouvrier dans le bâtiment, il se lance dans la peinture en 1991, à l’âge de 43 ans. Profondément religieux, il puise son art dans sa foi. Ses peintures et ses sculptures sont à ses yeux le fruit de visions prophétiques qu’il reçoit en rêve. Les Bahamas lui passent plusieurs commandes officielles, la première étant une sculpture de saint Joseph pour l’église catholique éponyme. La National Art Gallery acquiert pour sa collection permanente plusieurs de ses représentations dont Angel Blowing His Trumpet (Ange jouant de la trompette) et The Serpent Lady (la femme-serpent). Il peut se targuer d’être le premier artiste bahaméen à exposer à l’American Folk Art Museum de New York grâce à sa toile Saddam Hussein as the Nine Headed Serpent in Revelations (Révélations de Saddam Hussein en serpent à neuf têtes).  

Antonius Roberts, sculpteur

Sculpteur inspiré par la matière, Antonius Roberts naît en 1958 à Nassau. Attaché à préserver et à documenter le patrimoine bahaméen, il commence très tôt à créer à partir de matériaux organiques recyclés. Ses idées proviennent selon lui du bois ou du marbre qu’il entreprend de tailler. Il possède un don particulier pour implanter des œuvres dans de vastes espaces extérieurs, qu’il sélectionne pour leur valeur historique. Sa démarche est motivée par la volonté de connecter la nature spirituelle et émotionnelle de l’Homme à la nature. Ses « femmes sacrées » voyagent jusqu’en Allemagne puis en 2006, Rebirth, une installation de douze figures en bronze sont exposées en Chine. Considéré comme l’artiste bahaméen le plus représentatif de l’époque actuelle, il intervient également comme consultant. Il participe à la restauration de la Villa Doyle ainsi qu’à la fondation de la Central Bank Art Gallery et est nommé conservateur de la Hillside House, devenue Antonius Roberts Studio and Gallery, lieu d’exposition et de vente dédié à l’art contemporain.

Antonius Roberts organise en 1992 la première exposition de son ami dont il est un fervent admirateur, le peintre Livingstone Pratt. Né en 1959 à Nassau, Pratt compose des peintures colorées guidées par sa foi. Ses œuvres spirituelles sont autant d’évocations de la nostalgie et de l’espoir.

Mélange des genres

Personnalité engagée à dynamiser la scène artistique bahaméenne, John Cox cumule les casquettes. Né à Nassau en 1973, il se forme à Rhode Island aux métiers d’illustrateur et d’enseignant en arts plastiques, qu’il exerce avec passion. Sa démarche artistique allie les techniques, peintures, collages, objets trouvés et matériaux familiers, pour proposer sa vision du quotidien. Ses grands formats sont exposés aux quatre coins du monde. Cox dirige par ailleurs la Current Gallery & Art Centre, qui se consacre aux artistes locaux contemporains. La galerie propose également une résidence d’artiste, des ateliers créatifs et des visites guidées.

Les peintures et les installations de Michael Edwards, né en 1975 aux Bahamas, se situent au croisement de l’art et de la science. Il combine les disciplines pour inviter le public à dialoguer avec ces deux mondes qu’il estime plus semblables qu’on ne l’imagine. Il étudie le français à Bordeaux puis le dessin à Paris, avant de s’initier à la peinture aux Etats-Unis. De retour dans l’archipel, il expose au centre d’arts visuels Popopstudios puis débute une carrière d’enseignant au College of The Bahamas.

Tessa Whitehead, née en 1985 à Nassau, se forme au célèbre Saint Martins College of Art and Design de Londres. Son art d’une puissance déroutante s’exprime aussi bien en peinture qu’en sculpture, dans un genre conceptuel qui a recours aux installations. Repoussant les limites, elle aime sortir du cadre strict de la toile, jouer avec la perspective pour créer le vertige, moduler les textures pour créer l’illusion. Whitehead est aussi conservatrice de D’Aguilar Art Foundation à Nassau. Depuis 2008, la fondation soutient l’art de l’archipel par le biais d’acquisitions et d’expositions. Les choix de la collection ont pour but de refléter l’identité unique des Bahamas.