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Cimetière Staglieno©Faabi - iStockphoto.com.jpg
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Puissance médiévale

Pour partir à la découverte de la Gêne médiévale, rien de mieux que de flâner dans les dédales de caruggi (ruelles) et de places. Réunissant tous les pouvoirs, la piazza est aussi utilisée par les grandes familles aristocratiques comme lieu de mise en scène de leur pouvoir. La Piazza San Matteo est ainsi le fief des Doria, puissante famille d’armateurs et de financiers, qui s’y firent construire palais et églises aux façades faites d’une alternance de bandes de marbre noires et blanches créant d’étonnants effets chromatiques. Une polychromie que l’on retrouve également dans le chef-d’œuvre du Moyen Age génois : la cathédrale San Lorenzo. Si ses portes latérales ont la sobriété du roman, les colonnes et colonnettes de ses nefs créant une double élévation sont résolument gothiques. Les campaniles comptent aussi parmi les puissants témoins de ce Moyen Age. Ces tours-clochers, généralement isolées de l’église, sont souvent de forme octogonale, tel le campanile de l’église San Donato qui fut en partie construit avec des colonnes romaines. Tous ces trésors étaient alors protégés par une enceinte fortifiée dont la Porta Soprana est la plus belle représentante. Voyez ses deux impressionnantes tours rondes et crénelées. C’est aussi à cette période que le port de Gênes prend davantage d’envergure. L’anse sableuse se transforme en authentique port avec une digue de protection : le Molo Vecchio. La Piazza Caricamento, où étaient chargées et déchargées les marchandises, conserve d’intéressants vestiges de cette époque, à l’image des Portiques de la Ripa aux larges et basses voûtes.

La Ligurie est riche de nombreux villages ayant su conserver leur charme médiéval. Noli avec sa superbe église romane de San Paragorio ; Albenga et sa Piazza San Michele réunissant les plus beaux édifices de la ville dont la cathédrale San Michele et son très beau campanile gothique et le Palais Communal à l’impressionnante loggia ; Triora perché à 776 m de haut et dont portes et châteaux témoignent du rôle d’avant-poste protecteur de Gênes ; ou bien encore Taggia et son couvent San Domenico à l’église couverte de superbes peintures gothiques, comptent parmi ces trésors médiévaux. Sans oublier Portofino avec son château et sa chiesa di San Giorgio que l’on atteint en sillonnant ses ruelles pavées et ses jolis escaliers.

Mais les plus incroyables témoins de ce Moyen Age ligure sont sans conteste les villages des Cinque Terre. C’est ici, au cœur de ce relief accidenté, que les habitants ont imaginé des chefs-d’œuvre d’ingénierie agricole : les cian, des cultures verticales étagées en terrasses planes soutenues par des murs de pierre sèche composés de blocs de grès colmatés par des cailloux, dits muretti a secco, se déployant sur près de 7 000 km… alors que la côte n’en fait que 12 ! Ces terrasses sont également parsemées de petites huttes de pierre isolées ou regroupées servant d’habitats saisonniers pendant les récoltes. Un relief qui a aussi influé sur l’urbanisme de ces villages, dont les ruelles sinueuses sont bordées d’étonnantes maisons colorées construites à même la roche et dont l’accumulation crée une impression saisissante. Dans le dédale de ruelles et venelles de Monterosso al Mare, vous découvrirez la très belle église San Giovanni Battista avec sa façade bicolore et son puissant clocher-tour de guet ; à Vernazza, vous découvrirez la très sobre église Santa Maria di Antiocha avec son clocher octogonal de 40 m de haut, et le Castello Doria avec sa tour circulaire ; Corniglia vous impressionnera avec sa chiesa San Pietro et sa superbe rosace gothique en marbre ; Manarola vous invite à découvrir l’alignement parfait de ses maisons colorées ; tandis que Riomaggiore offre à la vue la puissante silhouette des deux tours circulaires de son château de Riomaggiore. Et ne faites surtout pas l’impasse sur le sentier baptisé via dei Santuari qui relie les sanctuaires de chacun des cinq villages érigés sur la ligne de crête comme symbole de dévotion et de protection. Vous y découvrirez notamment la sublime sobriété du Santuario di Nostra Signora della Salute à nef unique de Manarola. Une crête également jalonnée de tours de guet destinées à protéger ses joyaux des attaques des pirates !

Splendeurs génoises

C’est à Galeazzo Alessi, disciple de Michel-Ange, que la République confie la modernisation des fortifications de la ville. La Porta Siberia est l’un de ses chefs-d’œuvre. C’est également à cette grande figure de la Renaissance que l’on doit la somptueuse coupole de la cathédrale San Lorenzo et surtout l’incroyable basilique Santa Maria Assunta dont on dit que la belle coupole et l’étonnante symétrie auraient été inspirées par les dessins de Bramante pour la basilique Saint-Pierre de Rome. L’architecte est aussi à l’origine de la toute première villa suburbaine de Ligurie : la Villa Giustiniani-Cambiaso, à l’étonnante structure cubique divisée en trois parties. En périphérie, ne manquez pas non plus la Villa Saluzzo-Bombrini imaginée par Andrea Vannone, à qui l’on doit un autre chef-d’œuvre de la Renaissance, la Loggia dei Mercanti avec ses arcades aux colonnes jumelées, sa façade peuplée de mascarons et ses bas-reliefs ornementés. Galeazzo Alessi réalisa également un grand nombre des palais bordant la Via Garibaldi, anciennement baptisée Strada Nuova. Percée en 1551, cette rue témoigne de la puissance sans précédent atteinte par la République de Gênes. Financiers et armateurs y rivalisent de faste et d’audace dans des palais tout à leur gloire, tels le Palais Lercari, le Palais Nicolosio Lomellino, ou bien encore le Palais Spinola. Si chaque palais s’adapte au lieu et aux envies de ses commanditaires, tous possèdent des caractéristiques communes : 3 ou 4 étages, majestueux halls d’entrée avec d’impressionnants escaliers d’apparat, grandes cours, loggias surplombant des jardins souvent en terrasses du fait de la topographie de la ville, et grande richesse décorative tout en stucs et en peintures. Ce faste attise toutes les convoitises, dont celle du gouvernement, bien décidé à en tirer profit. Voilà comment, en 1576, un édit établit une liste (rollo) des plus beaux palais susceptibles de pouvoir accueillir les hôtes de marque de la République. Les demeures étaient divisées en 3 catégories selon leur degré de faste et de splendeur. La catégorie 1 pour les princes et cardinaux, la 2 pour les gouverneurs et grands propriétaires terriens, et la 3 pour les ambassadeurs et personnalités de second rang. Une fois la catégorie déterminée selon l’importance de l’hôte, un tirage au sort permettait d’attribuer les demeures… et tous les frais étaient à la charge des propriétaires des palais. Un gouvernement malin et économe ! Un système qui se poursuit au XVIIe siècle, les riches familles continuant à se faire ériger les plus somptueux palais, comme en témoignent ceux de la nouvelle Via Balbi, à l’effervescence baroque où les fresques et trompe-l’œil des grands maîtres génois font merveille. Le Palais Royal avec sa galerie des glaces tout en miroirs et dorures en est un bel exemple. Ne manquez pas ses jardins et bassins ornés de superbes mosaïques de galets. Baptisée risseu, nom dérivé du mot français ruisseau, cette technique consiste à créer d’étonnantes mosaïques à motifs à partir de galets noirs, blancs et plus rarement rouges ramassés dans les cours d’eau voisins… Des millions de galets et plusieurs années de travail étaient nécessaires pour réaliser un seul de ces chefs-d’œuvre ! On retrouve ces mosaïques dans le Palazzo Bianco aux somptueux jardins suspendus, qui forme avec le Palazzo Rosso, aux incroyables collections de peintures, le plus célèbre des duos palatins de la ville. Parmi les autres chefs-d’œuvre baroques à ne pas manquer : la chiesa del Gesu de Gênes avec son sol en marqueterie de marbre et sa coupole d’où semblent littéralement émerger les bras et jambes des personnages peints par Giovanni Battista Carlone ; ou bien encore l’église dei Santi Giacomo e Filippo de Taggia dont on dit que les plans auraient été dessinés par Le Bernin, grand maître du baroque surnommé le « second Michel-Ange ».

Ce foisonnement décoratif se retrouve également dans les villages de la côte ligure avec leurs hautes maisons à plusieurs étages couvertes d’enduits de couleurs, eux-mêmes agrémentés d’étonnants trompe-l’œil donnant à ces modestes habitations des allures de palais (faux balcons, niches pour statues…). Camogli en est le plus bel exemple. Autant de trésors qu’il convient de continuer à protéger en renforçant encore davantage les fortifications. A Gênes, le Parco Urbano delle Muro vous permet de découvrir sur près de 12 km les forts et fortifications qui furent érigés sur la ligne de crête pour défendre la ville. Ces Mura Nuove protègent une cité dont le port est devenu une véritable ville dans la ville avec ses entrepôts, chantiers navals et arsenaux désormais sécurisés par une nouvelle digue : le Molo Nuovo.

Effervescent XIXe siècle

Le XIXe est le siècle d’une grande bourgeoisie qui ne rêve que d’une chose : avoir une ville plus moderne, plus aérée et plus rationnelle, en d’autres termes une ville qui rompt avec les codes du passé. La Via Roma, pavée de marbre, et la Via XX Settembre, longue de 850 m et bordée d’arcades, sont les grandes représentantes de cet urbanisme rectiligne et aéré, mais il aura fallu tout de même raser de nombreux quartiers, exproprier un certain nombre d’habitants et même déplacer une église pour réaliser ce projet ! Ces nouvelles artères desservant de grandes places centrales voient apparaître de nouveaux édifices mêlant historicisme et modernité. Ainsi, leurs façades empruntant au gothique, à la Renaissance ou au baroque couvrent des structures pour la première fois entièrement réalisées en béton armé, où se déploie tout le confort moderne, l’électricité en tête. Certains portent également la marque de l’Art nouveau italien baptisé Liberty, aux formes ondulantes inspirées de la nature. Gino Coppede, grand architecte de la période, mêle avec malice emprunts au passé et formes novatrices, comme dans la Villa Canali Gaslini. Un style que l’on retrouve dans les étonnants ascenseurs et funiculaires que la municipalité met en place. L’Ascensore Portello-Castelletto Levante en est le plus beau représentant… à l’origine, ce dernier était même tapissé de céramiques Liberty. Cet ascenseur mène à un quartier unique à Gênes, celui du Castelletto, entièrement repensé pour devenir une zone résidentielle et offrir de somptueuses vues sur la ville. Gino Coppede y a réalisé le Castello Bruzzo, comme un clin d’œil à l’histoire de cette ancienne citadelle. Un éclectisme que l’on retrouve dans le lieu le plus fascinant de Gênes : le cimetière de Staglieno, superbe parc abritant des trésors d’architecture et de sculpture funéraires. Cette période est également celle du développement du tourisme balnéaire. Le Corso Italia, qui n’est pas sans rappeler la Promenade des Anglais de Nice, voit naître villas éclectiques et Liberty et somptueux établissements de bain. D’autres stations balnéaires se développent également à l’image d’Alassio, San Remo ou bien encore Nervi avec ses beaux hôtels Liberty, ses somptueux parcs nés de la fusion des jardins des villas Serra, Grapallo et Grimaldi et son insolite Passeggiata Anita Garibaldi, jolie promenade imaginée le long de la voie ferrée.

Architecture moderne et contemporaine

Dans les années 1920-1930, Gênes est marquée par les interventions de Marcello Piacentini, grand représentant du rationalisme fasciste, mêlant rigueur, monumentalisme et emprunt aux codes antiques. En 1923, il réalise ainsi la grande Piazza della Vittoria d’où émerge l’impressionnant Arc de la Victoire, sorte d’arc de triomphe aux piliers ornementés et sculptés d’allégories. Construite entre 1937 et 1941, sa Torre Piacentini, avec ses 108 m de haut, est alors le premier gratte-ciel de la ville. Dans les années 1960, portée par la prospérité de ses industries, Gênes se lance dans de grands travaux d’urbanisme, à l’impact pour le moins… malheureux. C’est de cette époque que date la Sopraelevata, gigantesque autoroute sur pilotis de béton. Une bétonisation qui touche également certaines zones touristiques comme Rapallo, la plus grande station du Promontoire de Portofino. Mais déjà, certains projets font entendre une autre voix dialoguant harmonieusement avec l’héritage du passé. Dans les années 1960, Riomaggiore devient ainsi le nouveau fief du peintre, muraliste et sculpteur argentin Silvio Benedetto, qui appose sa marque partout dans la ville, comme le montrent les façades de la mairie et de la gare ferroviaire. Dans les années 1970, à Gênes, les architectes et designers Franca Helg et Franco Albini transforment les cloîtres de l’église Sant’Agostino en Musée de l’Architecture et de la Sculpture Liguriennes.

Alors qu’elle s’apprête à fêter en grande pompe les 500 ans de la découverte de l’Amérique par le Génois Christophe Colomb, Gênes confie à Renzo Piano la transformation du Porto Antico. Sous les coups de crayons de celui qui défend une architecture fondée sur le génie du lieu et l’expérimentation, l’ancien port et ses arsenaux se transforment en lieu de vie et de promenade. En choisissant de supprimer la clôture d’enceinte du port, Renzo Piano rend à la ville un accès direct à la mer et redonne vie à ce lieu qui avait quelque peu perdu de sa superbe depuis le déplacement des nouvelles infrastructures portuaires à l’ouest d’où émerge Il Matitone, « le crayon », qui du haut de ses 108,5 m est le plus haut édifice de la ville. Imaginé par l’agence américaine SOM et les Italiens Mario Lanata et Andrea Messina, l’édifice veut, par sa forme octogonale, rappeler les clochers de la ville… Mais revenons au Porto Antico et à l’œuvre de Renzo Piano. L’architecte y a imaginé le Bigo, étonnant ascenseur qui vous propulse à 40 m de haut à la manière des grues de chargement des navires, et, surtout, il y a conçu certaines des plus belles structures de l’Aquarium de la ville. C’est à lui que l’on doit la Biosphère, étonnante bulle de verre et d’acier, et le Pavillon des Cétacés, parallélépipède en béton armé long de 94 m, large de 28 m et haut de 23 m (dont 10 sous la mer !). S’il vit et travaille à Paris, Renzo Piano, lauréat du prestigieux Prix Pritzker (le Nobel d’architecture), reste profondément attaché à sa ville natale. C’est pour cela qu’il a offert à Gênes la conception du Viaduc Gênes-Saint Georges, « un pont simple et direct, mais pas ordinaire, qui ressemble à un navire amarré dans la vallée, un pont en acier clair et brillant, un pont sobre respectant le caractère des Génois ». Long de 1 067 m, ce pont en acier porté par 43 piliers lumineux est l’hommage rendu par l’architecte aux 43 victimes de l’effondrement du Pont Morandi, survenu le 14 août 2018, et que son Viaduc, inauguré en 2020, vient désormais remplacer. En parallèle, la ville continue ses grandes campagnes de restauration impulsées dès le début des années 2000 alors que Gênes s’apprêtait à devenir Capitale européenne de la Culture.