L’Eglise et l’Etat

L’Église n’est pas séparée de l’État : le clergé a un statut de fonctionnaire et l’influence politique et économique de l’Église orthodoxe est indéniable. Il est d’usage de consulter le patriarche pour les grandes décisions politiques et de nombreux représentants de l’Église siègent aux conseils d’administration des grandes entreprises grecques. La religion orthodoxe est enseignée dans les écoles publiques, même si, depuis 2015, les élèves peuvent en être dispensés avec l’accord de leurs parents.

L’Église demeure également le premier propriétaire foncier du pays, elle est encore largement exemptée des taxes foncières, à la fureur de nombreux citoyens qui ont payé le prix fort des politiques d’austérité pendant la crise. Face à ce mécontentement, une révision constitutionnelle avait été lancée par le gouvernement d’A. Tsipras, proposant enfin une vraie révolution politique et économique des liens entre Église orthodoxe et État. Mais l’une des premières mesures prises par le gouvernement conservateur de K. Mitsotakis a été un rétropédalage total sur ces sujets. L’Église a encore de beaux jours devant elle dans la Grèce conservatrice actuelle.

Un syncrétisme typiquement grec

Dès le Ier siècle apr. J.-C., la Grèce devient un centre actif du christianisme et ce sont les îles du Dodécanèse qui, les premières, sont évangélisées. Saint Paul débarqua à Lindos, et saint Jean eut la révélation de l'Apocalypse à Patmos. Aujourd’hui, l’île demeure un haut lieu de pèlerinage chrétien : on y vient pour se recueillir au monastère Saint-Jean-le-Théologien (XIe siècle) et visiter la Grotte de l’Apocalypse où les visions de saint Jean se manifestèrent en 95 apr. J.-C.

Les autres îles du Dodécanèse ne sont pas en reste en ce qui concerne la pratique religieuse et les lieux de culte, qui varient en taille et en importance. Ainsi, vous pourrez visiter d’imposants monastères comme le monastère Panaghia Spiliani sur l’île de Nissiros, ou le monastère de l’Archange-Michel à Symi mais également de minuscules chapelles semées à tout vent, aux quatre coins de l’archipel. Ces églises sont souvent dédiées aux saints patrons et grandes familles locaux : on s’y rend pour allumer un cierge ou déposer un ex-voto dans l’espoir de régler des problèmes de la vie courante et éloigner le mauvais sort. Vous apercevrez notamment des mini-chapelles, comme des autels, sur le bord des routes. Appelées proskinitaria, elles signalent l’emplacement d’un accident mortel ou d’un accident évité. À l’intérieur se trouvent une lampe à huile et une icône du saint patron de la personne décédée ou « miraculée ».

Car les superstitions ont la vie dure sur les îles. Déjà très forte il y a plus de 2 000 ans, la notion de « mauvais œil » (kako mati) est profondément ancrée dans les croyances païennes qui se maintiennent. On le craint et on s’en protège de mille manières pour ne pas attirer le regard maléfique de personnes jalouses. Ainsi, chaque compliment susceptible d’engendrer la jalousie doit s’accompagner d'un petit son de bouche, comme lorsqu'on crache un pépin, répété trois fois avec l’onomatopée « ftoussou ».  Autre stratagème : les nombreuses amulettes anti-mati. La plus courante est justement en forme d’œil : l’œil bleu des insulaires orne quantité de maisons, bateaux et voitures, souvent accompagné d'une petite icône d'un saint protecteur.

Célébrations religieuses

Croyants sans être très pratiquants, les Grecs respectent les fêtes religieuses traditionnelles qui rythment le calendrier orthodoxe. Pâques est la plus importante célébration, à peine concurrencée par le 15 août (Dormition de la Vierge). A ces occasions, les îles se remplissent de tous les natifs partis dans les grandes villes de Grèce ou à l’étranger : c’est le grand retour et un rituel de retrouvailles très suivi. Il vous faudra prévoir bien à l’avance votre séjour pour espérer avoir une place de ferry et un logement. Pendant quelques jours, les prix flambent mais c’est une plongée dans le monde grec à ne pas rater.

Pour la Pâque orthodoxe, et pendant près d’une semaine, les îles du Dodécanèse reprennent vie après l’hiver, avec des banquets ritualisés et des processions où tous sont conviés. La plus importante procession est celle de l’epitafios, dédiée à la Descente de la Croix, le Vendredi saint. Patmos, l’île la plus fervente de l’archipel, offre également les plus solennelles célébrations pascales, avec notamment le rite du lavement des pieds le Jeudi saint.

Au-delà de ces grandes dates, les îles du Dodécanèse célèbrent toute une série de saints et de coutumes religieuses locales au cours de panigyria, qui se tiennent surtout l’été. Ces fêtes rassemblent l’île autour d’un grand repas pris en commun et de chants et danses traditionnels qui se poursuivent parfois jusqu’au matin. Vous ne pourrez pas y couper, où que vous soyez dans le Dodécanèse : que ce soit pour célébrer saint Panteleimon au monastère du même nom à Tilos (25 juillet), l’icône miraculeuse de Panagia tou Harou à Lipsi (23 août), la décapitation de saint Jean-Baptiste au monastère Agios Ioannis à Halki (29 août) ou dans l’église troglodyte du site antique de Vrokounda à Karpathos… Les occasions de bien boire, bien manger et bien se réjouir égrèneront votre été !

Judaïsme et islam

Dans ce panorama très chrétien à l’apparente homogénéité, Rhodes fait figure d’exception : île-capitale historique, cosmopolite, elle abrite une communauté musulmane, les Turcs du Dodécanèse, et quelques rares descendants de Juifs Romaniotes. Kos offre une histoire religieuse semblable : elle abrite encore quelque 2 000 Turcs du Dodécanèse mais la quasi-totalité de la communauté juive a été assassinée dans les camps nazis.

La riche histoire des juifs de Rhodes et Kos est racontée au Rhodes Jewish Museum, dans la synagogue Kahal Shalom, la plus ancienne de Grèce encore en activité. Vous y découvrirez les traditions et le mode de vie d’une communauté séfarade pluriséculaire, parlant le ladino (langue judéo-espagnole) et intégrée à la vie locale, jusqu’à la déportation massive du 23 juillet 1944 : 90 % des femmes, hommes et enfants furent exterminés à Auschwitz. Une célébration commémorative est tenue tous les ans à cette date tragique sur les deux îles.

Les Turcs du Dodécanèse, installés dès 1522, constituent aujourd’hui une communauté d’environ 5 000 musulmans, entre Rhodes et Kos. Malgré des départs forcés vers la Turquie dans les années 1970, la communauté musulmane tente de maintenir un petit réseau de mosquées historiques. C’est le cas de la mosquée Soliman, dans le Bourgos de la ville de Rhodes, et de la mosquée Defterdar, à Kos, très endommagée. Dans le quartier ottoman de Rhodes, ne manquez pas la bibliothèque Hafiz Ahmed Agha pour admirer des trésors de connaissance et de théologie musulmanes, tandis qu’à Kos, vous pourrez rencontrer la communauté contemporaine dans le village de Platani-Kermetes.