Le temps de l’innocence
Nul chef-d’œuvre n’a vu le jour dans le Dodécanèse, plus propice, semble-t-il, aux vacances et à l’oisiveté qu’à de laborieux tournages. Mais des films plaisants, comme le premier film hollywoodien tourné en Grèce sur l’île d’Hydra mais aussi à Rhodes, Ombres sous la mer (1957), où Sophia Loren, qui faisait ses débuts à Hollywood, s’improvise pilleuse d’épaves. Le film, aux couleurs éclatantes, s’inscrit dans cette veine joyeusement touristique dont Jean Negulesco s’était fait le spécialiste (comptant entre autres Rome, Lisbonne et Madrid à son tableau de chasse). Ce cadre enchanteur se retrouve peu de temps après dans un classique du cinéma d’action hollywoodien de l’époque, Les Canons de Navarone (J. Lee Thompson, 1961). Le Colosse de Rhodes (Sergio Leone), un flamboyant péplum, rend un hommage mérité à la beauté de la région même s’il est tourné entre l’Espagne et l’Italie. Au même moment, le cinéma grec connaît une sorte de premier âge d’or. Rhodes prête alors ses panoramas immaculés à une fable sur la fin de l’innocence se déroulant dans une Antiquité lointaine, un thème cher au réalisateur Nikos Koundouros, dans Les Petites Aphrodites (1963). Elle s’inscrit dans la filiation d’un chef-d’œuvre du muet grec, Daphnis et Chloé (Orestis Laskos, 1931), avec qui elle partage une inspiration commune et un érotisme qui est un trait typique du cinéma hellène. Erotisme que l’on retrouve dans les films qui le rendent célèbre aux yeux du monde, Stella (1955) puis Zorba le Grec (Michael Cacoyannis, 1964) ou bien Jamais le dimanche (Jules Dassin, 1960). La Sueur sur la peau (Dinos Dimopoulos, 1963) possède un peu de cette force tellurique. Nikos Koundouros avait signé quelques années auparavant un des classiques du cinéma grec de l’époque, L’Ogre d’Athènes. Autre film digne de mention, Ce chaud mois d’août (Sokrates Kapsaskis, 1966), distrayant film noir que distinguent ses visions d’une Méditerranée enchanteresse des pittoresques fortifications de la ville de Rhodes et autres moulins de Mandraki. Le premier film de Werner Herzog, Signes de vie (1968), tourné sur l’île de Kos, en magnifie les paysages primitifs au milieu desquels le personnage principal croise une nuée de moulins à vent, comme point de départ approprié à une carrière peuplée de personnages donquichottesques qui mènera le réalisateur allemand aux quatre coins du monde. Vient la dictature des colonels et une production cinématographique qui s’en accommode tant bien que mal. L’archipel du Dodécanèse, qu’on appelle parfois les Sporades méridionales, est pris de torpeur, attendant que quelque baiser vienne l'en réveiller.
Escapades égéennes
Bons baisers d'Athènes (George P. Cosmatos, 1979) dont le titre français joue sans vergogne sur sa star Roger Moore, qui endossait alors le rôle de James Bond, est un passable film d’action qui ne vaut le détour que pour les vues qu’il offre de la Grèce, une course-poursuite à travers le village de Lindos ou celles d’un spa au bord de la plage Kallithea qui continue d’exister aujourd’hui. Par un curieux jeu de coïncidences dont le septième art a le secret, 1987 voit la sortie de deux films qui en célèbrent les attraits : la mer azurée, l’architecture pittoresque et les glorieux couchers de soleil. L’Ile de Pascali (James Dearden) offre un portrait de Rhodes et de Symi, le joyau du Dodécanèse, en 1908, aux derniers jours de l’Empire ottoman. Situé à Lindos, Soleil grec (Clare Peploe) est une délicieuse comédie moins légère qu’elle n’en a l’air et reléguée dans un oubli immérité. Elle évoque les désagréments liés à l’invasion touristique, qui est aussi le principal gagne-pain de la région. La star grecque Irene Papas fait partie de la distribution avant qu’on ne la retrouve un an plus tard dans Island (Paul Cox, 1989), tourné sur l’île d’Astypalée. Mediterraneo (Gabriele Salvatores, 1991) raconte comment des soldats envoyés à Kastellorizo pendant la Seconde Guerre mondiale (officiellement Megísti et accessoirement l’île dont est originaire la famille de l’actrice française Anna Mouglalis) décident de prendre congé de la guerre. Le film remporte l’Oscar du meilleur film étranger. Non loin de là, l’archipel de Santorin a accueilli nombre de films plutôt médiocres. Depuis, rares sont les films tournés à Rhodes qui valent la peine qu’on les cite : L’Eté d’Anna (Jeanine Meerapfel, 2001) qui se passe dans la communauté juive implantée de longue date à Rhodes qui lui a valu jadis le surnom de petite Jérusalem, ou une biographie du peintre El Greco dans un film éponyme en 2007 de Yannis Smaragdis. Le titre français, El Greco, les ténèbres contre la lumière qui y fait un tour, en dit suffisamment long sur son caractère grandiloquent.