L’héritage homérique
Impossible de parler de la Grèce sans évoquer Homère, auteur de l’Iliade et de l’Odyssée, qui marque le passage d’une littérature orale à une littérature écrite. Ces deux œuvres évoquent principalement les thèmes de l’épopée, du voyage et de l’altérité. Elles rappellent les rapports entre les Anciens et les morts, basés essentiellement sur le souvenir du défunt et les offrandes. On sait très peu de choses sur la vie de cet aède, si ce n’est qu’il vécut dans la première moitié du VIIIe siècle av. J.-C., à Smyrne notamment. Certains ont d’ailleurs émis l’hypothèse que la figure d’Homère aurait été inventée de toutes pièces et que l’Iliade et l’Odyssée seraient le fruit de plusieurs auteurs anonymes. Une chose est sûre : le succès de ces deux épopées ne s’est jamais démenti. L’Iliade, qui trouva chez les Anciens la plus grande faveur, retrace la guerre de Troie et célèbre la prouesse individuelle, dans un style fougueux et abondamment fleuri. L’inspiration héroïque éclate aussi dans l’Odyssée, parcours initiatique d’un homme qui, en vingt ans de guerres et d’aventures, ne désespéra jamais : Ulysse absent ou présent, rusé et invincible, reste, même misérable, le héros humain par excellence.
Littérature antique
Regardons de plus près qui sont ces auteurs qui ont marqué toute la littérature de leur génie et qui continuent encore à influencer les artistes et à imprégner les penseurs contemporains. Commençons par le philosophe Héraclite (vers 540-480 av. J.-C.) : il nous reste des fragments de son ouvrage De l’Univers qui aborde autant la physique ou la politique que la théologie. Il y définit le feu comme l'élément primitif de la matière. Le monde, perpétuellement en mouvement et en devenir, trouve son origine et son harmonie dans le conflit des contraires. De son côté, Eschyle (vers 525-456 av. J.-C.) est considéré comme le fondateur de la tragédie grecque. De ses 90 œuvres nous n'en connaissons que sept, dont Les Perses et Prométhée enchaîné. Il a donné au drame ses lois rigoureuses en faisant une plus grande place aux dialogues et à l'action aux dépens du coryphée (chef de chœur en scène). Connaissez-vous Œdipe roi, Antigone ou encore Electre ? Ce sont les pièces les plus célèbres du poète tragédien Sophocle (entre 496 et 494-406 av. J.-C.). Sur plus d'une centaine de pièces créées, sept nous sont connues. Contrairement à Eschyle chez qui les dieux jouent un rôle primordial dans les affaires humaines, l'œuvre de Sophocle semble influencée par le spectacle d'une Athènes démocratique à l'apogée de son système social et politique.
C’est d’ailleurs dans une Athènes déclinante, où les classes sociales, les traditions et les institutions deviennent vacillantes, qu’Euripide (480-406 av. J.-C.) compose ses 92 pièces, dont 18 seulement nous sont parvenues. C'est une œuvre qui rompt avec la célébration traditionnelle du passé et qui innove en s'interrogeant sur les passions des hommes de son temps. La modernité de son œuvre lui a valu une gloire posthume. De lui sont connues les pièces Les Bacchantes, Médée, Électre… Venons-en maintenant à Socrate (vers 470-399 av. J.-C.). Ce philosophe athénien, hostile à tout enseignement dogmatique, n'a jamais écrit aucun traité de philosophie. Sa pensée est surtout connue par Les Dialogues de Platon, Les Nuées d'Aristophane et Les Mémorables de Xénophon. Sa méthode repose sur des interrogations qui doivent amener ses interlocuteurs à dépasser leurs propres contradictions. En résumé, il s'efforce de perfectionner la devise : Connais-toi toi-même. Accusé d'impiété envers la religion d'État et de corruption de la jeunesse, il est condamné à boire la ciguë (plante toxique des chemins et des décombres) après avoir refusé de s'enfuir par respect des lois de la cité. De son côté, Démocrite (vers 460-370 av. J.-C.) hérite de la tradition philosophique d'Ionie. Aucun texte original ne nous étant parvenu, c'est Aristote et Diogène Laërce qui nous ont fait connaître sa philosophie. Fondateur de son école, sa pensée définit la nature comme une infinité d'atomes, particules invisibles, indestructibles et complémentaires entre elles, dont le mouvement dans le vide est à l'origine des êtres, des mondes et de l'univers. Pour lui, le bonheur est à rechercher dans la modération des désirs. Peut-être moins connu du grand public, Aristophane (vers 445-380 av. J.-C.) est un poète satirique fort apprécié de son temps. Il critique avec un humour caustique l’actualité sociale et politique. De son œuvre de 44 pièces, appartenant à la comédie ancienne, 11 pièces seulement nous sont parvenues. De tendance conservatrice, il attaque les démocrates en guerre contre Sparte dans Les Acharniens, raille les philosophes tels que Socrate ou Euripide dans Les Nuées et Les Grenouilles ou encore traite de problèmes sociaux dans L’Assemblée des femmes. Pour ce qui est de Platon (vers 428-348 av. J.-C.), on l'imagine dispensant son enseignement dans les jardins d'Académos, là où il avait créé son académie, le doigt levé, comme nous le montre Raphaël dans L'Ecole d'Athènes. La connaissance pour lui n'est concevable que si l'on dirige l'âme vers la contemplation du Bien et du Vrai. Toute son œuvre s'applique à transmettre cet idéal : L'Apologie de Socrate, Le Banquet (sur l'amour), La République (sur l'organisation de l'Etat), Les Lois (sur celles de la cité). Quant à Aristote (384-322 av. J.-C.), il fut le précepteur d'Alexandre le Grand à partir de 342 mais, plus encore, l'élève brillant de Platon. Très vite, pourtant, il crée sa propre école à Athènes, rivale de l'académie de Platon : le Lycée ou Peripatos, sorte de péristyle où l'on apprend en discutant et en se promenant. Aristote s'intéressera à la physique, à la métaphysique, aux sciences naturelles, à la littérature.
Littérature moderne
L’histoire de la littérature grecque moderne est étroitement dépendante de la question de la langue. Au IIIe siècle av. J.-C., quelques linguistes décident de figer le grec littéraire dans une sorte de crispation archaïsante. C’est la catharévoussa qui s’oppose totalement au grec vivant qui, lui, évolue au fil des siècles et qu’on appelle la langue démotique. Cette dernière triomphera dans la littérature à partir du XIXe siècle. Mais cette opposition linguistique a largement paralysé l’expression littéraire grecque. Forme du nationalisme, la littérature grecque a par ailleurs pâti d’un manque d’identification nationale face à de multiples occupants (Vénitiens, Génois, croisés, Ottomans). La poésie orale grecque est la première forme littéraire moderne à se structurer. On note ici le rôle du poète du XVIIe siècle Vitsentzos Cornaros qui, dans son Erotokritos, reprend la tradition des chants populaires crétois et rejette une langue figée et savante. Ces chants populaires locaux ont une importance primordiale dans l'émergence d'une littérature grecque moderne et permettent l'utilisation de la langue démotique, vivante et parlée, comme langage poétique et littéraire. Le clivage entre libéraux et réactionnaires perdure jusqu'au XIXe siècle. Le poète Dionysios Solomos (1798-1857) s'inscrit dans la lignée du chant populaire et réalise la synthèse poétique qui permet la victoire du démoticisme. La littérature grecque moderne est née ! Une figure domine cette nouvelle génération qui va s'illustrer jusque vers 1920, c'est le poète Costis Palamas (1859-1943), dont l'œuvre est le reflet du lyrisme nationaliste en vogue dans le nouvel Etat grec. La génération de 1880 puise allègrement dans le folklore populaire, comme A. Papadiamantis (1851-1911), maître en la matière.
Littérature contemporaine
Comme pour mieux faire écho à ses ancêtres, la Grèce a hébergé deux prix Nobel de littérature en 1963 et 1979, respectivement Georges Seféris et Odysseus Elytis. Le premier a reçu cette distinction pour « son exceptionnel lyrisme, inspiré par un profond sentiment de l'hellénisme ». Le second, proche de nos poètes surréalistes et ami de René Char et d’Albert Camus, a débuté en publiant ses premiers poèmes dans des revues, puis a édité en 1939 son premier grand recueil nommé Orientations. Son expérience de la Seconde Guerre mondiale sera évoquée dans Axion Esti (1951). Il reçoit en 1979 le prix Nobel « pour sa poésie qui, sur le fond de la tradition grecque, dépeint avec une force sensuelle et une clarté intellectuelle le combat de l'homme moderne pour la liberté et la créativité. »
Citons également Nikos Kazantzakis qui doit sa renommée à son œuvre la plus célèbre, Alexis Zorba (1946), adaptée au cinéma sous le nom de Zorba le Grec, avec Anthony Quinn dans le rôle titre. De son côté, Constantin Cavafy (1863-1933) continue à donner à la poésie grecque ses lettres de noblesse. Il a fait l’objet d’un ouvrage de sa traductrice, Marguerite Yourcenar, en 1958 : Présentation critique de Constantin Cavafy 1863-1933, suivie d’une traduction intégrale de ses poèmes. Voilà peut-être une bonne façon de découvrir cet auteur. Enfin Stratis Tsirkas (1911-1980) est considéré comme l'un des meilleurs romanciers contemporains. Sa trilogie Cités à la dérive (1960-1965) a remporté en France le prix du meilleur livre étranger. Des écrivains encore plus contemporains comme Vassilis Alexakis (1943-2021), Takis Théodoropoulos (1954-), Alexis Stamatis (1960-), Ersi Sotiropoulos (1953-), Rhéa Galanaki (1947-) ou Zyránna Zatéli (1951-) ont une production littéraire également remarquable et traduite à l'étranger.